De Gaulle, le nom de tout ce qui nous manque<!-- --> | Atlantico.fr
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Charles de Gaulle général histoire gaullisme France Hexagone
Charles de Gaulle général histoire gaullisme France Hexagone
©AFP

Bonnes feuilles

Henri Guaino a publié "De Gaulle, le nom de tout ce qui nous manque" aux éditions du Rocher. 50 ans après sa mort, son nom est partout. De Gaulle est le nom que beaucoup de Français mettent sur le sentiment d'un vide que les politiciens d'aujourd'hui peinent à remplir. Extrait 2/2.

Henri Guaino

Henri Guaino

Henri Guaino est un haut fonctionnaire et homme politique français

Conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, président de la République française, du 16 mai 2007 au 15 mai 2012, il est l'auteur de ses principaux discours pendant tout le quinquennat. Il devient ensuite député de la 3e circonscription des Yvelines.

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« Cet homme légendaire / Au milieu des vivants / Le jour où on l’enterre, je te parie cent francs… / Tu le regretteras, tu le regretteras, / Tu le regretteras longtemps », chantait Bécaud en 1965.

Longtemps, il n’y eut de véritables regrets que chez ceux qui avaient partagé l’aventure gaulliste et qui, peu à peu, quittaient à leur tour la scène. L’après-gaullisme, surtout après Pompidou, se construisit contre le gaullisme. La modernité était antigaulliste. On reprochait à De Gaulle d’avoir enjolivé l’Histoire en construisant le mythe d’une France résistante. La fierté nationale n’était plus de mise; la modernité, c’était la repentance. On reprochait à De Gaulle son style, sa façon de gouverner, ses allures monarchiques, son autorité, la Ve République, sa conception de l’État, son attachement à la Nation qui étaient d’un autre âge. De la droite à la gauche, en passant par tous les centres, le mot d’ordre était qu’il fallait tourner la page. Il n’y a pas si longtemps, quand quelqu’un se définissait comme gaulliste face à un journaliste politique, il s’entendait invariablement répondre que c’était de l’histoire ancienne qui ne parlait plus aux jeunes générations. Si quelqu’un disait qu’il était socialiste – une idéologie du XIXe siècle – ou libéral – une idéologie du XVIIIe –, nul journaliste ne lui rétorquait qu’il vivait dans le passé.

Mais les temps changent. En 2020, un demi-siècle après la mort de De Gaulle, bien des politiciens – Premier ministre, ministres, chefs de parti, candidats à de hautes fonctions – n’hésitent pas à s’étiqueter « gaullistes » sans qu’ils se voient accusés de passéisme. Cela ne signifie pas, loin de là, que tous ceux-là se soient convertis mais, au moins, qu’ils sont convaincus que cette référence a de nouveau une résonance dans l’opinion. Ne serait-elle que l’expression d’une nostalgie qu’elle ne serait pas anecdotique. Pourquoi, tout à coup, un regret pour un si lointain passé dont l’image que s’en font bien des Français d’aujourd’hui n’est que le pâle reflet d’une Histoire qu’ils connaissent à peine, et dont il ne reste que quelques vestiges, au demeurant bien abîmés? Un regret est toujours l’expression d’un manque. En 2020, De Gaulle n’est-il pas, au fond, le nom qui vient naturellement à l’esprit de beaucoup de Français pour désigner tout ce qui leur manque dans notre vie publique, et sur lequel les crises qui viennent ébranler tour à tour toutes nos institutions jettent une lumière crue?

Naturellement, il est vain de nous demander ce que ferait aujourd’hui le général De Gaulle s’il revenait parmi nous. La réponse n’est écrite nulle part, et le seul fil conducteur du gaullisme est celui d’une vie durant laquelle la pensée a évolué avec les circonstances auxquelles elle se trouvait confrontée. Imprévisible était, à la fin de la guerre, l’évolution sur les vingt ans à venir de la pensée du général De Gaulle concernant le destin de l’Empire colonial. Dans toute sa carrière militaire, il n’avait jamais montré une fibre coloniale particulière mais, à la Libération, il n’avait pas voulu céder une parcelle de souveraineté française, pas un pouce de territoire national, pas un pouce de l’Empire, même si en 1944, à Brazzaville, il avait ouvert la porte à une évolution vers l’autonomie des territoires français d’outre-mer. En 1946, il avait désavoué la reconnaissance d’un État libre du Vietnam au sein de l’Empire français. Mais revenu au pouvoir en 1958, il avait renoué avec le Vietnam et travaillé à la neutralisation de l’Indochine contre les États-Unis. En 1947, il avait dit que l’Algérie était une partie intégrante de la France. Dans les années cinquante, il avait parlé de « l’Algérie intégrée dans un ensemble plus vaste que la France ». En 1960, de « l’Algérie algérienne ». Puis, de l’autodétermination. Et, en 1962, la France de De Gaulle avait donné son indépendance à l’Algérie. Y avait-il toujours songé? Ce n’est pas certain. Ce qui l’est, en revanche, c’est que l’homme d’État, convaincu que la politique ne pouvait se faire qu’à partir des réalités, ne pouvait que prendre acte de ce que l’évolution démographique de l’Algérie, département français, rendait impossible l’assimilation de la population algérienne par la France et que, dès lors, un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre, elle s’en séparerait. Ce qui est certain aussi, c’est que l’homme d’État qui avait le mieux compris la force du sentiment national savait que celle-ci pousserait tous les peuples à réclamer leur émancipation et finirait par balayer les vieilles structures coloniales. Comment n’aurait-il pas vu que ce temps était venu et que la France s’épuiserait à retarder l’échéance que l’état du monde et tant d’erreurs dans le passé avaient rendue inéluctable? En 1958, la nouvelle Constitution avait offert aux anciennes colonies l’association de type fédéral au sein de la Communauté française et, à Brazzaville, il avait dit : « L’indépendance, quiconque la voudra pourra la prendre aussitôt. » Finalement, tous l’avaient prise et De Gaulle, au lieu de couper les ponts, avait substitué la coopération à l’association. On l’avait attendu dictatorial, il avait été démocrate et républicain. On l’avait supposé de droite, il avait été au-delà de la droite et de la gauche. On l’avait dit maurassien et il s’était plutôt révélé disciple de Bergson et de Péguy. Alors qui peut dire ce que ferait, aujourd’hui, cet homme qui avait si souvent déjoué les pronostics de tous ceux qui n’avaient pas compris la vraie nature de cette pensée libre, et les principes qui la gouvernaient?

La seule invocation du général De Gaulle ne nous aidera pas à résoudre les problèmes de notre temps, et nous ne trouverons pas dans ce qu’il a dit et ce qu’il a accompli des recettes pour tirer notre épingle du jeu dans le monde tel qu’il est aujourd’hui. Mais si l’on veut dire que cette pensée ne peut pas nous aider à penser le monde actuel et ce que nous y faisons, alors on a tort.

Bien sûr, depuis un demi-siècle, le monde a changé, la société a changé, les mentalités ont changé. N’avaient-ils pas changé plus encore entre les années 20 et les années 60? N’avaient-ils pas changé entre la parution du Fil de l’Epée en 1932 et celle du second tome inachevé des Mémoires d’Espoir en 1970? Et pourtant c’était la même pensée, armée des mêmes principes, qui avait épousé le cours tumultueux du temps mais qui savait où elle allait.

D’une certaine façon, le journaliste qui disait que le gaullisme était de l’histoire ancienne avait raison : nous avions, collectivement, pris tellement de distance avec cette histoire et si méthodiquement entrepris d’en effacer les traces qu’elle paraissait appartenir à un passé si lointain qu’il ne nous concernait plus. Mais d’une autre façon, il avait tort, parce qu’il ne voyait que ce qui change et il ne voyait pas ce qui demeure sous les apparences du changement. Ce qui demeure est ce pour quoi les mêmes causes produisent les mêmes effets dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui d’hier. L’illusion que tout change nous a conduits, au cours des dernières décennies, à croire, à tort, que certains évènements ne pourraient plus jamais se produire, au point de ne plus nous préparer à les affronter. Une crise financière comme celle de 2008 était devenue inimaginable, une pandémie comme celle de la Covid-19 aussi, tout comme le confinement de la moitié de la population mondiale, comme le retour de l’extrême droite en Allemagne, comme la racialisation de la société, comme les guerres de Religion, comme les guerres commerciales, comme le terrorisme et comme toutes les autres sortes de guerres qui ravagent le monde.

On connaît la célèbre phrase de Paul Valéry, après la Première Guerre mondiale : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Nous l’avions oubliée. Comme nous avions oublié que les nations peuvent se défaire, que nos institutions les plus solides en apparence, comme la police, la justice, l’école ou l’hôpital peuvent, un jour, s’effondrer; que nos sociétés, pour aussi modernes qu’elles soient, ne sont pas à l’abri des calamités qui, depuis toujours, périodiquement, accablent l’humanité.

Ce qui nous manque, c’est l’incessant rappel que, parmi les réalités sur lesquelles doit se fonder une politique, il y a la dimension tragique de l’Histoire. Elle a été à la racine du gaullisme, mais ce n’est pas une idée du passé, c’est une idée de toujours. Si De Gaulle avait décidé de doter la France de l’arme nucléaire, c’était parce qu’il savait qu’un jour une plus grande puissance pourrait être tentée d’établir sur elle sa domination. S’il avait tenu à ce que l’article figurât dans la Constitution, c’était parce que la vie lui avait appris qu’un jour ou l’autre, même après que serait réglée l’affaire algérienne, il y aurait de nouveau des circonstances exceptionnelles qui exigeraient que le chef de l’État puisse disposer de pouvoirs tout aussi exceptionnels. S’il avait voulu un État fort, c’était parce que l’Histoire lui avait enseigné qu’un État faible serait toujours mis en coupe réglée par les féodalités de toutes sortes et que, comme par le passé, cela finirait mal.

En nous rappelant que, pour un homme comme pour une Nation, la vie est un combat, il nous avait rappelé que ce combat est d’abord un combat contre la sauvagerie qui est au fond de chaque homme, et dont tout le XXe siècle nous avait fait voir qu’elle était près d’emporter des nations entières, dès lors que les institutions qui sont chargées de la canaliser présentent le moindre signe de faiblesse. Qui peut, désormais, penser que ce constat ne s’appliquerait plus au XXIe siècle en voyant grandir les terribles désordres du monde dans lequel nous vivons?

Le pessimisme gaullien concernant la nature humaine n’avait jamais été un prétexte à désespérer, mais une raison de se battre avec la dernière énergie, et autant qu’il était possible, pour tirer de cette nature ce qu’elle avait de meilleur. Où est la politique aujourd’hui qui bâtit une espérance sur une telle lucidité? Et, du coup, où chercher l’espérance, cette vertu héroïque, victoire sui lui-même de l’homme qui refuse d’être asservi au sentiment de la fatalité? Mais toute victoire suppose de connaître exactement l’enjeu de la lutte.

Il nous manque, face à la montée des désordres où s’engouffrent, comme toujours, tant de violences une pensée lucide de l’ordre de type gaullien, non de l’ordre pour l’ordre, mais de l’ordre comme condition nécessaire du mouvement et du progrès.

Il nous manque une politique qui tire les leçons d’une histoire millénaire où l’on voit que, pour assurer sur la scène du monde son indépendance, la Nation doit d’abord être unie à l’intérieur. Ce qui, en France, passe par un État qui ne concentre pas tous les pouvoirs mais qui se donne néanmoins les moyens de surmonter tous les ferments de division qui, périodiquement, reviennent en force dès que l’État faiblit. Or, voici aujourd’hui notre État, de nouveau affaibli et la France en train de se désunir, parce que notre État est gouverné depuis trop longtemps par une idéologie qui, au fond, a déjà passé la France par pertes et profits, au nom de l’idée que le bonheur de tous est mieux assuré par les égoïsmes individuels que par la politique comme expression d’une volonté humaine qui s’exprime dans l’espace de la solidarité nationale.

Nous ne savons pas ce qu’aurait fait le général De Gaulle depuis cinquante ans, ni ce qu’il ferait aujourd’hui, ni comment il le ferait. Mais nous savons que tout au long de sa vie il a eu à répondre à bien des questions de même nature que celles qui se posent de nouveau à nous.

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Extrait du livre d’Henri Guaino, "De Gaulle, le nom de tout ce qui nous manque", publié aux éditions du Rocher

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