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De Bruno Roger Petit à Aurélie Filippetti, pourquoi l'interchangeabilité entre politiques et journalistes révèle leur égale impuissance à agir sur le réel
©Caroline Brenière / RTL.fr

Commentaire

Éditorialiste pour l'hebdomadaire Challenge, Bruno Roger Petit vient d'être nommé Porte-Parole de l'Elysée. Dans le même temps, plusieurs personnalités politiques ont fait le chemin inverse, en devenant chroniqueurs (Aurélie Filippetti, Julien Dray, Jean Pierre Raffarin etc...).

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : En quoi cette porosité interroge-t-elle sur l'interchangeabilité des fonctions ? Faut-il voir une acceptation de l'impuissance politique au profit du simple commentaire, du magistère de la parole ? 

Bertrand Vergely : Globalement, tout le monde s’accorde sur le fait qu’un homme politique n’est pas un journaliste ni un journaliste un homme politique. Si la tâche des politiques est de faire la société, celle des journalistes est de faire l’opinion. De même, tout le monde s’accorde sur le fait que la politique a besoin des journalistes pour communiquer et, à l’inverse, que les journalistes ne sont pas sans avoir une influence politique par leurs enquêtes, leurs interviews et leurs éditoriaux. D’où un croisement entre politique et journalisme, le politique étant nécessairement amené à s’occuper de communication et le journalisme à s’occuper de politique.  Tout change toutefois quand, ce sont les subjectivités et non plus la déontologie tacite qui se met à régler les rapports entre politique et journalisme.

Ainsi, c’est Emmanuel Macron, par sa personnalité,  qui change ces relations en faisant venir un journaliste à l’Élysée pour expliquer sa politique. Comme c’est la personnalité d’Aurélie Filippetti ou bien encore de Jean-Pierre Raffarin qui bouscule également les donnes en décidant de passer de la politique au journalisme.  De la part du chef de l’État, il y a  une volonté d’indiquer qu’étant le chef il a décidé d’imposer son style en insistant sur la communication et l’économie. De la part des politiques devenant journalistes il y a le désir d’indiquer que, eux aussi désirent faire ce qu’ils veulent en ne se donnant pas de barrières. Point commun entre le journalisme devenant politique et le politique devenant du journalisme : le désir de durer en faisant ce que l’on veut. Témoin  le chef de l’État qui se dit qu’avec un éditorialiste réputé il va peut-être pouvoir redorer son image dans l’opinion. Ou bien encore les politiques devenant journalistes se disant qu’ils vont pouvoir, en écrivant des articles, continuer à  exister, à avoir une influence et à faire parler d’eux. En ce sens, dans la confusion entre journalisme et politique, il y a beaucoup d’opportunisme.

Impuissance du politique ? Face au règne souverain des subjectivités, certainement. L’heure est au pragmatisme cynique dans lequel tous les coups sont bons pour pouvoir exister. D’où le fait que le journalisme envahit tout, en imposant la communication et l’information comme règles de la culture et de la politique. Avec la bénédiction du politique, qui, en retour, envahit le journalisme en imposant le politique comme règle de celui-ci. Ce qui a comme effet de permettre de tout faire en faisant de la politique avec du journalisme et du journalisme avec la politique. Chose très satisfaisante pour qui a décidé de n’en faire qu’à sa tête. Comme c’est le cas de la culture individualiste libérale.

Tout en expliquant que sa politique est rationnelle, un gouvernement a tendance à se réfugier derrière un problème de communication ou un manque de pédagogie à la moindre critique. Le problème de communication dont il est question n’est-il pas une conséquence de cette confiance en la rationalité ? Et le recours à cette même communication ne cache-t-il pas une attitude dogmatique ?

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément, disait Boileau. On ne peut pas séparer le fond et la forme. Quand une idée est claire on a les mots qu’il faut pour la dire. Quand les mots manquent, c’est qu’elle n’est pas claire. En politique les choses sont plus complexes. Une politique peut être rationnelle et de ce fait bonne. Mais, pour autant, elle peut se heurter à un refus. Pour des raisons politiques, le refus d’une politique étant le fait du refus du pouvoir qui la propose. Ce pouvoir a alors comme choix soit de passer en force soit de contourner habilement l’opposition afin de faire par sa politique.  Face à une opposition, histoire de ne froisser personne et de ménager tout le monde, il arrive que des politiques expliquent que le problème ne vient pas d’eux ni d’ailleurs de leurs adversaires mais d’un problème de pédagogie ou bien encore de communication.  Nous ne sommes pas d’accord, mais ce n’est pas grave. Avec le temps, en s’expliquant, nous parviendrons à surmonter notre désaccord, tout venant de ce que vous ne me comprenez pas et que je m’exprime mal. Cela peut marcher. Cela peut aussi ne pas marcher, cette attitude étant faussement ouverte. C’est parce que l’on a décidé de ne pas se remettre en question que l’on accuse la communication ou la pédagogie. C’est toujours plus facile. D’où l’échec de ce type d’attitude, celle-ci masquant  un excès de confiance en soi.   

Quelle a été l'évolution de cette tendance au cours de ces dernières décennies ?

Nous vivons aujourd’hui une explosion de la communication et de l’information dans le champ politique, social et culturel. Cette explosion a commencé quand, dans la culture contemporaine à la suite de la psychanalyse, il a été fait remarquer que l’important n’est pas tant ce que l’on dit que la manière dont on le dit. Cette approche formelle s’approfondit quand pour comprendre la forme du discours qui est tenu on se réfère non pas simplement à la vie affective mais aux relations sociales. Il est alors établi comme un dogme que l’on ne pense que parce que l’on communique et pour communiquer. Très vite le marketing commercial, politique et cultuel voit le profit qu’il peut tirer de cette découverte. Ramenons tout à un jeu de relations. En comprenant leur mécanisme et en agissant sur lui, il devient possible de faire acheter, de faire réagir et de faire penser comme on veut. Aujourd’hui, cette vision est à son comble puisque le monde est identifié à un vaste réseau de communication et que la définition de la vie se résume à cette formule Je communique donc je suis. Les réseaux sociaux participent activement à cette explosion de la communication en invitant tout le monde à communiquer avec tout le monde à propos de tout, chacun devenant ainsi politique, journaliste, commentateur et s’imaginant pouvoir changer le monde grâce à son commentaire. D’où une sur-communication planétaire, un bavardage mondial, une logorrhée impénitente manipulée par les politiques et manipulant les politiques. Et la transformation de la démocratie en dictature de l’opinion, comme l'avait prévu Tocqueville.

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