Dans la peau du Général, ou l’art de redresser la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Franz-Olivier Giesbert publie « Le Sursaut », premier volume de son « Histoire intime de la Ve République » (Gallimard). Époustouflant.
Franz-Olivier Giesbert publie « Le Sursaut », premier volume de son « Histoire intime de la Ve République » (Gallimard). Époustouflant.
©Gallimard / DR

Atlantico Litterati

Franz-Olivier Giesbert publie « Le Sursaut », premier volume de son « Histoire intime de la Ve République » (Gallimard). Époustouflant.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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Alternant  certains moments -clefs du roman national (de 1958 au 9 novembre 1970 -mort du Général de Gaulle) avec des  instants de son  adolescence, Franz-Olivier Giesbert  publie le premier volume de sa trilogie « Histoire intime de la Ve République- Le sursaut » (Gallimard). Un travail d’écrivain en ce qui concerne la forme, doublé d’une enquête de (grand) journaliste pour ce qui est du propos ; avec, au fil des pages, des épisodes peu ou mal connus de la guerre d’Algérie .Et  le déroulé des entreprises connues-ou pas- du Général pour que s’accomplisse l’indépendance de l’Algérie  ainsi que le redressement de la France. Les séquences objectives de la grande Histoire se juxtaposent  aux petits instantanés  Bergmaniens (cf. l’enfance du narrateur). Rythmant le récit de son charme nostalgique, l’autobiographie rajoute de l’intime dans la neutralité des  récits: cocktail très réussi. L’Histoire et moi. La guerre et l’enfance. L’éternel et le fugitif. Alger et  Saint-Aubin- Lès-  Elbeuf ( « où je vis retranché du monde, au milieu des ronces, des taillis giboyeux et des chèvres en liberté. Un jour il y a un vent de panique à la maison. « C’est affreux m’annonce ma mère alors que je reviens de l’école, les militaires sont en train de préparer un coup d’État. »)

Ce qui frappe le lecteur dès les premières pages du « Sursaut » c’est le souffle animant la narration . L’auteur  semble poussé par une nécessité telle qu’elle  augmente encore la force de son texte  et lui donne sa direction : à  quelques mois de la présidentielle, FOG -comme l’appellent ses lecteurs -« porte le deuil du pays », tel chacun d’entre nous ( en secret). « Si je me suis attelé à ce vaste projet - une histoire intime de la Ve République en trois époques -, c'était pour essayer de comprendre comment notre cher et vieux pays a pu, en quelques décennies, s'affaisser à ce point, dans un mélange de déni, masochisme et contentement de soi, sur fond de crise existentielle ».Il fallait du caractère, de la science et une solide expérience  du politique pour parvenir à comprendre aussi finement la psyché gaullienne- « Le grand homme »- comme l’appelle FOG,  qui parvient non seulement à ressusciter le Général, grâce  à l’art du romancier, mais nous offre en outre des informations inédites ( le talent du journaliste).La précision de l’information, la qualité de l’enquête, les chiffres, les dates, les faits cachés à ce jour et leur interprétation sont l’œuvre   de l’expert politique. «Dans ce premier tome, c'est le stupéfiant redressement du pays par le Général que je raconte, jusqu'à la chute du grand homme, après onze ans de pouvoir », dit Franz-Olivier Giesbert.  Et aussi : « L’histoire qui va suivre, celle du relèvement herculéen de la France, mériterait d’être méditée par tous ceux qui lui ont succédé et qui, à quelques exceptions près, la laissèrent par faiblesse ou indigence rouler un peu plus vers le fossé où croupissent les pays sans avenir. » L’auteur a comme son personnage, Charles de Gaulle son franc-parler. Pas de langue de bois dans « Sursaut ». Une voix ( cf. le romancier). Et la science du journaliste. Un alliage rare, ce pourquoi je prédis un grand succès de librairie à cet essai d’une actualité brûlante, mine de rien.

Dans les passages autobiographiques du « Sursaut » nous retrouvons le père de FOG, Frederick Julius Giesbert, ancien GI,  sa mère professeur de philosophie. FOG -doté de la double nationalité -  vit à Saint- Aubin-lès-Elbeuf en Normandie.Souvenirs, souvenirs…« Après le Débarquement, mon père avait rencontré ma mère lors d'un bal donné à Rouen en l'honneur des libérateurs. Et il s'était fixé en Normandie. Il me battait beaucoup. Il battait surtout maman. C'est pourquoi j'ai passé mon enfance à vouloir le tuer » ( « L’Américain » /Folio/Gallimard).

Enfant aux joues froides, Franz-Olivier Giesbert  voulait devenir écrivain et  journaliste. C’est au quotidien « Paris Normandie »  qu’il remet ses premiers articles.  Dans « Le sursaut »,  ce récit politique et romanesque, le narrateur nous invite à la campagne. Celle de l’enfance. «  Le printemps s’est invité avec  trois jours d’avance et la France respire à pleins poumons la petite brise tiède qui l’accompagne, réveillant les pousses, les arbres, les bêtes jusque sous les haies : dans notre ferme de Normandie, une douce euphorie règne après l’annonce de la signature desaccords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie le 18 mars 1962. » Quant au Général vu par FOG, ce n’est pas un saint, Dieu merci. L’Histoire vue par Giesbert n’est pas politiquement correcte. « Même s’il s’est calmé sur le tard,  de Gaulle n’était pas le pur esprit insensible à la chair et à la gaudriole, complaisamment décrit par ses hagiographes qui veulent faire croire au bon peuple que le Général n’avait été fidèle qu’à une seule femme, hormis son épouse : la France. Il n’était pas du bois dont on fait les prie-Dieu »Par ailleurs, chez le Général, une certaine fourberie règne. De Gaulle a lu Machiavel. Le redresseur  de la France apparaît dans toute sa complexité. Le Général remet le pays  sur ses pieds en un temps record, mais sa duplicité ( il a lu Mazarin -1602-1661-et son « Simule et dissimule » figurant dans le Bréviaire des Politiciens. « Farde ton cœur comme on farde un visage. »De Gaulle travestit ses pensées :  pour ce qui est de l’Algérie, il a un plan tout tracé qu’il garde pour lui tout en menant ses hommes vers ce qu’il chérit : sa France. « Prophétique, machiavélique et prosaïque, il l’a remise debout en à peine un an, sans négliger les plus infimes détails, ni lésiner sur les roueries et  les mensonges. Le personnage que je dépeins dans « Sursaut » est bien plus complexe que celui de la légende.(…) Habitant au- dessus de lui-même, il travaille pour l’intérêt supérieur de la France, lequel à ses yeux passe avant celui des différentes catégories de français ou des destins individuels. »Le Général « aime bousculer les pots de fleurs » , c’est-à-dire qu’il ne dédaigne pas d’ enfumer son prochain. Notons d’ailleurs au passage question « vocabulaire enrichi » l’apparition dans la prose de l’auteur de mots d’argot ou encanaillés  ET ensoleillés  car jaillis  près de Marseille, dans le Midi. Giono apprécierait. Bel effet de style. Par ailleurs l’humour surgit ici ou là, au détour de la phrase.

- Alors Massu, toujours aussi con ? »

-Toujours aussi gaulliste, mon Général. »

Pendant ce temps, en Normandie, la grand-mère de FOG-tel Sartre dans « Les Mots »  souhaite mourir « au milieu des livres ». Le narrateur -soudain en culottes courtes- évoque  ce « cosmos » qu’est sa Normandie : « Mes livres, mes bêtes, mes rêves ».

La Boisserie est « sinistre ».De Gaulle « un puit de roueries »  qui se moque de sa cote de popularité et ne prépare jamais la prochaine élection, au contraire de certains que je ne nommerai pas, tout le monde pensant à sa réélection. Soudain, le narrateur enfant réapparaît :  « C’est à la ferme de La Capelle que j’ai appris le cosmos, l’amour,  la mort, les bêtes, les arbres. C’est elle qui m’a fait comprendre  que je n’étais qu’un rien dans le tout de l’univers, philosophie paysanne qui m’a beaucoup servi quand je suis monté à Paris, capitale des vanités et des apparences. »Nous sommes sous le charme, le rythme du livre donne à l’Histoire gaullienne, au FLN, à l’indépendance de l’Algérie son épaisseur documentaire  ( qu’a  -secrètement et sans en parler à ses ministres toujours voulue et organisée secrètement le Général, contrairement à son entourage. Les rêveries de l’enfant en son refuge normand nous permettent de fuir nous aussi vers le rêve, qui approfondit la lecture et permet l’écriture. «  Les vagues d’attentats de l’OAS et du FLN sèment la terreur des deux côtés de la Méditerranée. »Au « Chiquito », bistrot Normand, un garçon lit les journaux des grands et dévore Victor Hugo comme d’autres  le dernier album de Tintin, ignorant que grâce à Jean Valjean, il   va devenir  écrivain.  Et publier un jour« Le Sursaut », ce livre que nous lisons. « On a dit récemment que l’Algérie était la plus française des provinces de France. Plus française que Nice et la Savoie. C’est inepte, dit le Général. Nice et laSavoie sont peuplés de Chrétiens, parlent français et ne se sont pas, à cinq reprises soulevées contre la France ».

Concernant ce qu’il appelle « la colonisation à l’envers », le Général craint-et ne s’en cache pas- l’invasion, voire la submersion. » Qu’en est-il presque soixante ans plus tard ? » s’interroge FOG : « Le chiffre le plus sidérant concerne la part de l’immigration dans l’accroissement démographique : après avoir représenté 26 % en 2006, elle s’élève à 44% en 2017. Sur la question de l’immigration, Emmanuel Macron, un demi-siècle après de Gaulle, s’en est tenu à la politique de la plupart des présidents, celle des vaches qui regardent passer les trains.

« C’est une fiction de considérer  ces gens-là comme des Français pareils aux autres s’insurge le Général devant témoins. Il s’agit en réalité d’une masse étrangère et il conviendra d’examiner les conditions de sa présence sur notre sol » (Charles de Gaulle, le 26 octobre1961)

Le « Sursaut »  n’est pas seulement un bon livre, cet exercice de style impertinent et très réussi, c’est aussi un acte politique. L’espoir jaillit  chez le lecteur de Franz-Olivier Giesbert : soudain  le  changement pour tous parait possible.On sent que l’auteur, sans doute las d’entendre à gauche comme à droite  tout et n’importe quoi concernant le personnage du Général, a sans doute voulu repenser l’homme providentiel et le chef -d’État  tel qu’il le fut, loin des légendes et des statues. Mais surtout,  l’on pressent que l’exemple donné par le  déroulé de la guerre d’Algérie et  le redressement  miraculeux d’une France à genoux- vrai sujet de cet essai brillant- nous est  livré  au bon moment, pour nous donner  du grain à moudre, de quoi penser,  et raffermir nos intentions à six mois de l’élection présidentielle. Non, nous ne sommes pas condamnés à mort, semble dire l’auteur. Oui, il faudrait  retrouver un jour l’homme qui, de près ou de loin, possèderait cette sorte de trempe, ce caractère exceptionnel, cette  volonté de fer, cette vision qui déplace les montagnes.

« Même s’il règne sur la France  l’ambiance funèbre des tombées du soir avant l’orage, jamais je ne pourrai tourner le dos à mon époque tant qu’il y aura de l’amour, le Mont-Saint-Michel, des fleurs, des chèvres, des mers, le Mercantour, des livres, la Dordogne, des forêts, l’abbaye de Sénanque, des cieux étoiles, la baie de Somme, des sourires d’enfants, des traînées d’or sur la garrigue. Sénèque est toujours le plus moderne des anciens qui disait : «  Hâte -toi de vivre et vis chaque jour comme si c’était une vie en soi. »  Cette phrase dit tout  de Franz-Olivier Giesbert et de son livre : la richesse du sujet, la profondeur de champ, la tendresse du romancier pour son héroïne : la France, dont le narrateur, comme la plupart d’entre nous « porte le deuil »  au fur et à mesure  de sa décrépitude.

«  Le Sursaut » fait  le portrait saisissant de notre grand homme de la modernité, celui que tout le monde cite désormais, celui dont tous et toutes se recommande à droite mais aussi à gauche : Charles de Gaulle. Ce faisant  et après avoir écrit beaucoup d’essais politiques - tous passionnants-, Franz-Olivier Giesbert publie  son meilleur texte de non-fiction ( très romanesque au demeurant comme quoi l’auteur peut s’affranchir des genres). De la chair, de la pensée, du savoir, des souvenirs, de l’amour,  des réponses et cette curiosité qui anime FOG depuis toujours : curiosité partagée par  la plupart des Français en cette période  politique particulière qu’est l’élection présidentielle. Conclusion : « De tous les présidents, Macron est celui qui, entre deux mea culpa sur la poitrine de la France, aura le plus préféré la position à genoux, au point que l’on peut s’inquiéter pour ses rotules, mises à rude épreuve par son obsession de la repentance. »

Pourquoi une Histoire « intime » de la Ve République,  demanderait à Franz-Olivier Giesbert son lecteur enchanté. -"Intime" parce que ce retour sur un passé récent entend inclure aussi le regard que portaient naguère les contemporains sur l'odyssée gaulliste qu'ils étaient en train de vivre : je cherche à décrire un monde et une manière d'être français dont le souvenir commence às'éteindre. Dans ce premier tome, c'est le stupéfiant redressement du pays par le Général que je raconte, jusqu'à la chute du grand homme, après onze ans de pouvoir.

Puisse ce récit personnel permettre de tirer, pour aujourd'hui, les leçons d'une résurrection française qui, sur le moment, semblait impossible.

Et que le Dieu des écrivains entende ( c’est celui de tout un chacun).

Annick GEILLE

Le sursaut/Histoire intime de la Ve République/Gallimard/22 euros

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