La cuisine, plaisir bien réel d'un monde de plus en plus virtuel <!-- --> | Atlantico.fr
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Le fringant jury de Master Chef accompagnée de la pétillante Carole Rousseau
Le fringant jury de Master Chef accompagnée de la pétillante Carole Rousseau
©STARFACE/TF1 - Julien Cauvin

Master Chef

Nouveau numéro de "Master Chef" ce jeudi soir sur TF1. Un vrai succès d'audience tout comme "Top chef" ou "Un dîner presque parfait" autres émission sur M6 de compétition culinaire. De quoi agacer Robert Redecker qui vient de publier dans Le Monde une tribune intitulée "La cuisine dénaturée par sa surmédiatisation". Réponse au philosophe.

Julien Tort

Julien Tort

Julien Tort est bloggueur, photographe, chroniqueur gastronomique et traque l'excellence culinaire. Guide et professeur de cuisine, il se refuse à opposer la santé et le plaisir.

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Dans l'édition du Monde de mardi, Robert Redeker, philosophe réactionnaire exemplaire, se plaint que notre société accorde trop de place à la cuisine, et s’en prend à Master Chef et à Un Dîner Presque Parfait parce que, dit-il, ils « dénaturent » la cuisine. Quelques réflexions sur ce nouveau papier énervé et lénifiant qui, à la différence de ceux qui ont rendu Redeker célèbre, n’aura sans doute pas de suite judiciaire. 

D’abord, une question : sérieusement ? De toutes les choses à laquelle notre société accorde sans doute trop d’importance, c’est la cuisine qui pose problème et question ? L’argent, le spectacle, les fringues, les marques, l’excitation, les modes, la vitesse sont là, mais c’est à la cuisine à la télé que notre RR s’en prend ? Haussement d’épaules. Mais admettons. Après tout, la place de la cuisine n’est-elle pas dans la cuisine ? C’est ce que font les philosophes, non, dire qui est à sa place où ? 

Redeker s’en prend à ses vieux ennemis, le sport et la télé-réalité. En gros, son problème avec Demorand (ou en tous cas avec Master Chef), c’est qu’il amène la barbarie au milieu de ce qui devrait être civilisé, le culte de la compétition dans l’univers du partage, le spectacle au lieu de l’authenticité, en en somme « l’illusion de communauté » en ersatz de la vraie,  l’authentique eucharistie.

Y a-t-il un peu de pensée là dedans ? En gros, la critique de la cuisine à la télé est une critique de la télé. Figurez-vous qu’il semblerait que celle-ci ne fasse pas que nous élever et nous rendre meilleur. Il paraît même que, chez certains, elle échoue à remplacer l’étude soigneuse de l’Ethique de Spinoza et de la République de Platon. Mais ce n’est pas là où Redeker veut en venir, semble-t-il. Son problème, ce n’est pas que la cuisine à la télévision nous empêche de penser, mais qu’elle en compétition avec un autre mode de non-pensée. Comme tant d’ignorants, il se moque du classement de la gastronomie au patrimoine mondial en déplorant que « l’identité d’une civilisation, ce n’est plus sa religion, c’est sa cuisine ».

Bob, reprends-toi : ça n’a jamais été ni l’une, ni l’autre. Le veau d’or à la crème et aux petits oignons ? C’est vraiment ça qui te soucie ?

Ce qui est amusant aussi, c’est que le Redeker nous sert la tarte à la crème du « sens », comme Mougeotte et Le Lay dans leurs heures de gloire à TF1 : « La cuisine se fait passer pour remède à la crise du sens ». Si on veut vraiment philosopher sur l’importance, en effet remarquable, de la cuisine dans notre société médiatique, au lieu d’en revenir obsessivement à des modèles liturgiques, on pourrait simplement observer ce que la cuisine apporte et dont notre monde manque. Redeker le dit lui-même : « l’essence de la cuisine réside dans le don ». Mais pas un mot sur le fait que nous vivons dans une société qui fait de moins en moins de place à la gratuité, dans laquelle tout se vend, tout se monnaye : le temps, l’eau, bientôt l’air.

La cuisine, c’est aussi la matérialité. Alors que la vie de la plupart d’entre nous est de plus en plus virtuelle, que nous vivons de plus en plus, professionnellement comme personnellement, dans le cyber-espace. Et ce n’est pas qu’une question de technologies. Notre société de consommation a en son cœur la création de nouveaux besoins, chaque jour plus artificiels, plus arbitraires. Face à cela, manger, et bien manger, c’est s’ancrer dans un besoin fondamental et dans un plaisir dont la réalité n’est pas entièrement sociale et construite.

Alors, bien sûr que les gens s’attachent de plus en plus à la cuisine, et la font de plus en plus, et bien sûr que la télé s’en empare – c’est leur boulot. Mais franchement, la cuisine a bon dos.

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