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Comprendre la politique économique actuelle avec Keynes
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Prospérité économique

Pour Jean-Marc Daniel, la crise actuelle est une fausse crise et la croissance ne dépend que d'une nouvelle régulation du système économique international. C'est aux politiques encore plus qu'aux économistes d'agir. Extraits de " Ricardo, reviens ! Ils sont restés keynésiens" (1/2).

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Pour les économistes keynésiens, le cycle ne trouve son origine ni dans des facteurs agissant à la marge de l’économie ni dans la situation monétaire mais dans un décalage temporel inhérent au fonctionnement même de la production. Le cycle ne peut être un cycle de prix, dans la mesure où les économistes keynésiens fondent leur raisonnement sur la rigidité des prix. La traduction économique du cycle et sa mesure portent sur l’évolution des quantités produites.

À la vision classique qui fait se succéder inflation et déflation, les keynésiens substituent une vision dans laquelle s’enchaînent périodes de forte croissance marquées par une tension sur les capacités de production et périodes de récession avec chômage et capital sous-utilisé. Ce chômage, comme la sous-utilisation d’une partie du stock de capital, ne correspond pas à la somme des résistances individuelles à la déflation mais bel et bien aux conséquences incontournables de la dynamique de l’investissement.

Le modèle de référence en la matière est l’oscilla­teur de Hansen-Samuelson, Alvin Hansen étant le conseiller économique du président Harry Truman dont nous avons déjà parlé[1].

Dans ce modèle, le mécanisme de l’investisse­ment, décrit comme dépendant exclusivement des débouchés anticipés par les entreprises, conduit à l’apparition d’un cycle économique.

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Dans ce contexte, le chômage peut s’analyser non pas comme un problème durable de l’économie mais comme étant associé à une phase transitoire à laquelle succède une phase de croissance vigoureuse et donc de résorption du sous-emploi. Comme dans le modèle de Marshall, l’origine du cycle est une distorsion d’information entre le moment où l’on investit et le moment où l’on vend – chez Marshall, le moment où l’on plante et celui où l’on récolte.

Une fois ce modèle décrit, la question qui se pose est de savoir si l’évolution d’une économie comme l’économie française permet de conforter l’idée qu’ef­fectivement il y a bel et bien un cycle. La description de la croissance française depuis 1960 dans le gra­phique ci-contre permet de confirmer l’existence d’un cycle. Il dure neuf ans : la période la plus noire, celle de la récession ou du ralentissement, apparaît en 1975, en 1983, en 1993, en 2002 et en 2009. Dans ces conditions, on peut affirmer que la récession de 2009 correspond à l’évolution cyclique de l’investissement et n’est pas l’annonce de la fin inéluctable du capita­lisme financier.

En pratique, l’économie oscille, du fait des déca­lages dans le temps des informations dont disposent les acteurs économiques, autour d’une tendance que l’on va définir comme la croissance potentielle. C’est cette tendance, c’est-à-dire la production potentielle de l’économie, qui est fonction, de l’utilisation de l’éner­gie, du progrès technique, de la capacité d’usage du capital et en particulier de l’organisation du travail et de l’évolution de la population active. La différence entre la production potentielle et la production réelle s’appelle en économie l’« écart de production » ou, selon sa traduction anglaise, output gap.

Aujourd’hui, les experts, notamment au sein de l’OCDE, essaient de définir pour chaque économie à la fois son PIB potentiel et son output gap. Ils calculent également ce qu’ils appellent le taux de croissance potentielle, c’est-à-dire le taux d’évolution théorique du PIB potentiel. En Europe, lorsque les dirigeants ont adopté en 2000 la « stratégie de Lisbonne », cette croissance potentielle avait été évaluée à 5 %, 3 % en volume et 2 % d’inflation. Ce que l’on peut en dire, c’est que le résultat fut très loin de cet objectif, ce qui doit nous inciter à comprendre pourquoi.

Insistons simplement à ce stade sur le fait que le modèle de l’oscillateur de Hansen-Samuelson ne peut prétendre parfaitement décrire la situation d’un pays parce qu’il donne une vision trop restrictive des mobiles de l’investissement et parce que, dans son résultat, il donne une évolution de la produc­tion qui, compte tenu de sa forme selon une fonction trigonométrique, passerait par des valeurs négatives. Le modèle de l’oscillateur de Hansen-Samuelson a une vocation heuristique, il permet de comprendre mais pas de décrire. Il trouve sa limite dans le fait qu’il repose sur deux hypothèses extrêmes. La pre­mière est l’hypothèse d’une rigidité absolue des prix, c’est-à-dire que toute modification dans l’environne­ment des entreprises se traduit par une modification de la quantité produite. La seconde est celle d’une détermination exclusive de l’investissement par les anticipations de débouchés faites par les entreprises. Ces anticipations se fondent sur l’évolution de la croissance passée et correspondent à une vision de l’économie dans laquelle l’égalité entre l’épargne et l’investissement se réduit à un simple constat comp­table sans aucune implication économique.

Il n’en reste pas moins qu’il permet de conclure trois choses. D’abord, l’élément régulateur, explica­tif de la croissance économique, est l’investissement. C’est sur lui que doit porter l’effort de la politique éco­nomique. Puis, l’économie est cyclique. Enfin, l’éco­nomie alterne des phases d’inflation et des phases de chômage, c’est-à-dire des phases où l’output gap est positif et des phases où il est négatif.

L’adoption de la notion de cycle permet de don­ner une nouvelle interprétation du keynésianisme en en dépassant la version périmée qui a fondé les poli­tiques travaillistes des années 1950-1960 et améri­caines depuis 1945. C’est à la lumière du cycle qu’il faut construire la politique budgétaire et la politique monétaire.

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Extrait de Ricardo reviens ! ils sont restés keynesiens, BOURIN EDITEUR (15 mars 2012)


[1]Le modèle est présenté en annexe.

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