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Croissance au ralenti : la Chine connaît-elle la fin de ses “Trente Glorieuses” ?
©FRED DUFOUR / AFP

"Seulement" 6 %...

L'économie chinoise affiche une croissance de 6,2% au second trimestre de l'année 2019, la plus faible hausse du PIB depuis près d'une trentaine d'années. Conséquence de la guerre économique ou fin des "trente glorieuses" chinoises ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico: Le ralentissement de la croissance chinoise, après plusieurs "glorieuses" décennies pour l'économie, est-il dû à des causes internes (saturation du marché intérieur, fin de cycle de croissance, etc.) ou externes comme la guerre commerciale avec les Etats-Unis ?

Jean-Paul Betbeze : Pour Donald Trump, la cause est claire selon son tweet du 15 juillet : « La croissance chinoise du deuxième trimestre est la plus lente depuis 27 ans. Les tarifs (douaniers) américains ont un effet majeur sur les sociétés qui veulent quitter la Chine pour des pays non tarifés (?).  Des milliers de compagnies partent. C’est pourquoi la Chine veut un accord avec les États-Unis… ». De fait, la politique d’augmentation tarifaire décidée par Donald Trump a un effet sur les comportements des entreprises américaines. Elles changent leurs chaînes de production pour expédier des produits semi-finis au Cambodge ou au Vietnam et les y faire achever, avant envoi aux États-Unis, ce qui évite les hausses des droits de douane trumpiens.

De fait, les autorités chinoises reconnaissent aussi que les « conditions sont sévères, à la fois dans le pays et à l’extérieur ». Les enquêtes menées auprès des entreprises, des informations sur telle ou tel entreprise montrent que d’importants changements se mettent en œuvre. Les entreprises américaines ont pris en compte que leur logique antérieure : production dans un pays à moindre coût, mais avec des prestations de bonne qualité et d’importante quantité, pour servir les États-Unis et les autres pays industrialisés ne pouvaient continuer comme avant. Donald Trump veut taxer plus et, plus encore, vérifier plus l’usage de la propriété des savoirs américains, autrement dit empêcher ou freiner le « vol des savoirs américains » et les transferts technologiques forcés. Tariffs et Huawei : il avance ainsi sur ces deux logiques. Bien sûr, il se doute qu’il est impossible que les échanges extérieurs soient équilibrés entre Chine et États-Unis. La Chine épargne beaucoup, et trop, les États-Unis peu, trop peu. Mais, en inquiétant les entreprises américaines, et chinoises, il leur fait repenser leurs logiques de production. Un peu plus de produits seront donc réalisés aux États-Unis, bien plus au Vietnam et au Cambodge, avant qu’il ne se mette à taxer ces deux pays – mais il préfère d’abord affaiblir la Chine, en attendant que le Mexique bénéficie de tous ces rapatriements partiels (et qu’il s’en occupe) !

Au fond, la Chine a organisé ses « trente glorieuses » avec les États-Unis, car elle a bien vu qu’elle ne se sortait pas de la misère « en comptant sur ses propres forces ». La stratégie Mao était catastrophique : famines, misère, écart croissant avec les Etats-Unis, et même avec les pays voisins et socialistes. C’est bien pourquoi elle a voulu entrer à l’OMC, après plus de dix ans de discussions ! Mais les « trente glorieuses chinoises » ont aidé les « trente glorieuses américaines » ! En effet, quand la Chine produisait pour pas cher des biens de consommation, puis montait en qualité, elle les vendait aux États-Unis, qui en profitaient pour accroître leur niveau de vie. Mieux même : la Chine utilisait ses excédent extérieurs pour acheter les bons du trésor américain issus du déficit qu’elle provoquait et permettait de se poursuivre. La grande croissance américaine, ces « trente glorieuses », étaient donc l’envers des « trente glorieuses chinoises », dans une dépendance mutuelle.

L'économie chinoise, qui reposait globalement jusque-là sur une économie de rattrapage (technologique) et d'imitation, semble arrivée au terme de son modèle économique, comme la France au début des années 1970. Peut-on donc parler de "trente glorieuses" chinoises ? Si l'on prolonge l'analogie avec la thèse fourastienne, que peut-on prédire quant aux cycles de croissance à venir pour la Chine ?

En fait non : la Chine ne s’est pas développée par rattrapage seulement, de façon endogène, comme la France d’après-guerre, mais par le développement d’un modèle complémentaire de double déficit commercial et financier entre Chine et USA. C’est un modèle double, et ce modèle double s’arrête aujourd’hui. D’abord, la Chine devient une économie plus urbaine, de services et de consommation, plus vieille aussi. Sa croissance ne peut donc plus être la même, car la croissance de sa productivité ne peut plus être la même. La part de l’industrie chute, celle des services et des administrations explose. La croissance par l’export de produits industriels n’est plus à l’ordre du jour : la croissance du PIB chinois passe de 10 à 6%, en attendant moins. 

Mais, côté américain non plus, les choses ne peuvent plus continuer ainsi. Les États-Unis s’endettent trop et menacent leur expansion : c’est la crise de 2008, où le financement du logement américain par l’épargnant chinois montre ses limites ! En même temps, les États-Unis voient la montée technologique, monétaire, militaire et politique de la Chine. Ils ne bénéficient plus, ou plus assez, du modèle des deux « trente glorieuses ». Ils décident de l’encadrer avec Obama puis de le briser, par la finance, avec Trump. Car la Chine est surendettée : trois fois le PIB, pour les ménages, entreprises publiques et privées et collectivités publiques. Elle peut certes vouloir continuer à croître et éviter de passer au-dessous des 6% officiels (bien sûr), ce qui serait un problème politique. Mais encore plus de crédits aux ménages surendettés et aux entreprises zombies, privées et publiques, ne va pas de soi, sachant que Donald Trump bloque la dépréciation du yuan ! On dira aussi que les États-Unis sont endettés, mais eux ils ont le dollar ! C’est là-dessus qu’ils vont continuer à jouer, en augmentait leur déficit budgétaire et en baissant les taux : magie de la MMT, Modern Monetary Theory !

La croissance chinoise ne pourra donc se faire comme avant avec les États-Unis : les chaines de production entre eux sont devenues instables et vont changer, peu à peu d’abord, puis par pans. Mais on voit que la Chine prépare sa stratégie de rechange, par « les routes de la soie ». Il s’agira de s’appuyer sur les nouveaux réseaux d’échanges entre pays peu développés. Ils vont se développer, par échanges, copies et rattrapages. Ce sera leur « trente glorieuses » ! Avec la Chine !

Au fond, après le couple des deux trente glorieuses Chine/USA, chacun doit changer. Les États-Unis veulent bloquer le modèle chinois des routes de la soie, modèle de croissance à moyen terme pour ses membres, modèle économique et aussi politique. Les États-Unis vont tenter de bloquer la Chine, et inquiètent aussi leurs alliés ! Si leur stratégie se poursuit, ils vont une grande zone Amérique, peut-être moins prometteuse mais plus stable, en tout cas moins coûteuse à entretenir. Au fond, en Chine, aux Etats-Unis et en Europe, toute la question est celle des trois trente glorieuses à construire, en lieu et place des deux aujourd’hui en question, États-Unis avec Chine, dans le cadre d’une mondialisation dominance américaine qui ne veut plus s’assumer.

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