Crise alimentaire : de nouveaux facteurs de tensions pèsent sur la production mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agriculteurs récoltent des céréales dans un champ de blé dans la région de Kharkiv le 19 juillet 2022.
Des agriculteurs récoltent des céréales dans un champ de blé dans la région de Kharkiv le 19 juillet 2022.
©©SERGEY BOBOK / AFP

Sécuritaire alimentaire mondiale

Baisse de la production céréalière, hausse du prix des engrais ... Les récentes crises, notamment la guerre en Ukraine, ont rappelé la fragilité des systèmes alimentaires et agricoles

Matthieu Brun

Matthieu Brun est chercheur associé à SciencesPo Bordeaux et Directeur scientifique de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM). Twitter : @MatthieuBrun3

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Atlantico : Des cadres de sociétés telles que Bayer, Corteva, Archer Daniels Midland ou Bunge ont récemment déclaré que l'offre mondiale de produits agricoles restait limitée. A quel point la situation est-elle tendue ?

Matthieu Brun : La sécurité alimentaire est au coeur des discussions actuelles et est redevenue un motif de préoccupation au niveau mondial. Les récentes crises ont rappelé la fragilité des systèmes alimentaires et agricoles. Sur le volet de la production agricole, il faut différencier le type de production et les zones géographiques. Les sècheresses et incendies de cet été en Europe ou aux Etats-Unis et ailleurs mettent en péril les niveaux de rendements des prochaines récoltes à l’automne quand les pluies et inondations au Pakistan qui ont détruit des dizaines de milliers d’hectares dans un grand pays agricole par exemple font peser beaucoup d’incertitude sur le marché régional et mondial du riz. Concernant les céréales, il est vrai que la production a été revue à la baise, notamment en raison de la sècheresse dans l’hémisphère nord. La FAO estime la production céréalière en 2022 à environ 2 775 millions de tonnes. Cependant les stocks mondiaux, une fois de plus considérés à l’échelle globale, sont assez stable, voire en très légère hausse. Mais il faut bien comprendre qu’au delà de la production agricole mondiale, il faut aussi et surtout regarder dans les détails la géographie de la production, les sècheresses en Afrique subsharienne et les autres incidents climatiques couplés à la hausse du prix des engrais ou de l’alimentation animale posent un défi réel à la sécurité alimentaire du continent. De plus et c’est essentiel aujourd’hui dans un contexte d’inflation, il faut prendre en considération la capacité des ménages à acheter cette nourriture. Elle peut être disponible physiquement mais si les ménages n'ont pas les moyens de l’acheter ou même la capacité à vous rendre sur un marché pour le faire alors ils se coucheront encore avec le ventre vide.

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L’été a-t-il été insuffisant productif en matière agricole pour compenser la situation ? 

Il faut bien comprendre qu’il y a à la fois des productions que l’on récolte au printemps, d’autres en été et enfin une partie en automne, et les productions changent en fonction des hémisphères. En Europe, si la récolte de blé a été bonne cet été, les perspectives de récoltes sur le maïs par exemple sont moins encourageantes, la sècheresse et les températures élevées vont faire baisser les rendements. Les récoltes plutôt bonnes en Europe sont aussi intervenues au moment de la signature de l’accord pour libérer les stocks de productions coincés en Ukraine, permettant de calmer la hausse des prix. Mais ces derniers restent élevés. Ils sont redescendus à des niveaux d’avant l’invasion russe mais ils sont toujours très élevés, ce qui a des conséquences sur les quelques pays qui dépendent de l’extérieur pour une partie de leur sécurité alimentaire, comme l’Egypte, la Tunisie ou le Maroc.

Quels sont les principaux facteurs de tension ?

Aujourd’hui la planète agricole et alimentaire est marqué par des facteurs conjoncturels et structurels. Sur le plan conjoncturel, la guerre en Ukraine et la crise sur les prix de l’énergie font peser une tension très importante sur les capacités de production. La production agricole mondiale pâtit déjà et va pâtir encore plus de la pénurie d’intrants et d’engrais. Les pays d’Europe de l’Est comme la Russie et la Biélorussie en sont des exportateurs très importants. De plus, la production de ces engrais utilisent beaucoup d’énergie et de gaz. Le coût à payer pour les producteurs est donc très important. Cela menace directement les capacités de production pour les prochaines campagnes. Et c’est tout le système qui est ensuite mis à mal : ce sera aussi potentiellement moins de semences disponibles pour semer les productions végétales dans les prochains mois. N’oublions pas aussi que les économies ne sont pas encore rétablies des effets de l’éclatement de la pandémie de COVID-19. Une nouvelle crise économique liée au coût de l’énergie pourrait aussi déstabiliser les moyens publics de soutiens à l’agriculture. Du confinement en 2020 on pourrait se destiner à des situations de rationnement de l’énergie qui aura des conséquences sur la production.  Il ne faut pas aussi oublier les aspects plus structurels que sont le changement climatique. L’été chaud et sec dans l’hémisphère nord, les inondations nous le rappellent. La crise climatique et ses conséquences sont devant nous. La production est aussi mise en péril dans de nombreux endroits du monde en raison des guerres et des conflits. L’Ukraine est un exemple mais les conflits armés dans le Sahel et l’instabilité géopolitique sont aussi des facteurs qui mettent en tensions la production alimentaire. 

La terne récolte américaine est-elle responsable d’une partie des tensions actuelles ?

Il faut en effet regarder ce qui se passe au Etats Unis avec des perspectives de rendements sur le maïs par exemple à la baisse, on parle de moins 20 % dans les Etats de la Corn Belt qui produisent le maïs. Mais il faut aussi regarder à l’est vers la Chine qui a connu une sècheresse et manque d’aliments pour ses animaux, notamment ses porcs. La sécurisation des approvisionnements agricoles et alimentaires est une priorité pour Pekin. Cela risque d’aiguiser les contraintes sur les marchés et déstabiliser un peu plus la planète alimentaire.

Certains responsables de l'agriculture estiment qu'il faudra au moins deux années de récoltes exceptionnelles pour soulager la pression exercée par la sécheresse et la guerre en Ukraine. Est-ce le cas ? 

Les difficultés d’aujourd’hui sur la production agricole vont peser lourd sur les prochaines campagnes. Si vous ne disposez pas des bons outils, des engrais ou des moyens de multiplier les semences par exemple, alors la production sera elle aussi compliquée dans les prochains mois. Avec la crise sur les engrais, sur l’énergie et la difficulté pour beaucoup d’agriculture, notamment dans les pays du Sud, en Afrique et ailleurs à accéder aux intrants et à l’alimentation pour le bétail, c’est un cercle vicieux qu’il faut rapidement corriger par des politiques cohérentes et des soutiens orientés vers les filières et leur résilience. Cependant, à la fondation FARM, nous insistons sur le fait que de bonnes récoltes sont une condition nécessaire mais insuffisante pour permettre le développement durable des agricultures et une baisse de l’insécurité alimentaire. Il y a encore plus de 850 millions de personnes qui souffrent de la faim, et une grande partie sont des producteurs et des productrices. Une bonne campagne est un préalable important mais il faut qu’il n’y ait pas d’entraves au commerce et aux échanges, que ce soit sur des filières courtes avec les enjeux de sécurité, ou sur les filières courtes où la géopolitique peut limiter et contrarier les échanges. De plus, une fois la production récoltée il est nécessaire que des filières structurées prennent le relais, acheminent et transforment une production que le consommateur doit pouvoir aussi s’offrir au quotidien. L’équation est bien plus complexe et va au delà du stade de la production.

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