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Des travailleuses du sexe à Surabaya (Indonésie) en 2014, avant la criminalisation de leur activité.
Des travailleuses du sexe à Surabaya (Indonésie) en 2014, avant la criminalisation de leur activité.
©JUNI KRISWANTO / AFP

Violences, maladies et pauvreté

C’est ce que montre la comparaison entre différentes régions indonésiennes ayant adopté des stratégies opposées.

Manisha Shah

Manisha Shah

Manisha Shah est professeur au Département de politique publique et directrice de la faculté The Global Lab for Research in Action (Laboratoire mondial de recherche en action) à l'Université de Californie, Los Angeles (UCLA).

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Atlantico : Dans une étude, vous avez analysé l'impact de la criminalisation de la prostitution en Indonésie, dans un contexte de faibles revenus. Pourquoi l'Indonésie vous a-t-elle semblé être un bon objet d'étude ?

Manisha Shah : L'Indonésie est un endroit idéal pour ce type de recherche car le marché du sexe y est depuis longtemps florissant, mais actuellement, dans certains endroits du pays, les gouvernements locaux décident de fermer les maisons closes et de criminaliser le travail du sexe. Cela se produit de manière inattendue et rapide, créant une expérience politique parfaite pour les chercheurs intéressés par l'étude des impacts causaux de telles mesures. 

Dans le district de Java Est, la prostitution a été criminalisée en 2014. Quel impact cette décision a-t-elle eu ?

Après la criminalisation de la prostitution en intérieur en 2014, nous observons quelques changements intéressants.

1. Le marché du sexe en intérieur se réduit dans un premier temps d'environ 50 % à Malang où la criminalisation est promulguée, ce qui est ce à quoi nous nous attendions puisque le coût du travail sexuel est augmenté, la police commençant à effectuer des descentes dans les maisons closes, etc.

Cependant, cinq ans après la criminalisation, le marché a retrouvé sa taille initiale, ce qui montre qu'il est pratiquement impossible de tarir le commerce du sexe. Le marché s'est simplement déplacé vers la clandestinité ou vers d'autres lieux, ce qui a des conséquences potentiellement dangereuses, car le travail clandestin a tendance à être plus risqué.

2. Nous observons également une augmentation des infections sexuellement transmissibles parmi les travailleurs du sexe après la criminalisation. Cela semble être dû à une moindre utilisation des préservatifs et à leur prix plus élevé.

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3. Nous trouvons également des preuves que la criminalisation diminue les revenus des femmes qui quittent le travail du sexe en raison de cette criminalisation. Cela réduit leur capacité à payer les dépenses scolaires de leurs enfants, ce qui augmente donc la probabilité que leurs enfants commencent à travailler pour compléter le revenu du ménage.

Votre étude traite des infections sexuellement transmissibles. Vous avez collecté des échantillons biologiques à partir de prélèvements vaginaux de travailleuses du sexe avant et après la mise en œuvre de la criminalisation. Qu'avez-vous observé ?

Nous constatons que les taux d'IST ont augmenté de 58% chez les travailleurs du sexe dans les lieux de travail criminalisés. Cette augmentation des IST semble être due à une réduction de l'accès aux préservatifs : les travailleurs du sexe des sites criminalisés étaient moins susceptibles de fournir un préservatif, le prix des préservatifs a augmenté de manière significative et les clients ont signalé une augmentation des rapports sexuels sans préservatif (non protégés) lors des transactions sexuelles. 

Nous fournissons également des preuves que, compte tenu de la taille inchangée du marché du sexe à long terme, cette augmentation des IST chez les travailleurs du sexe, ainsi que la réduction de l'utilisation du préservatif, impliquent des augmentations de la probabilité de transmission à la population générale.

En résumé, la criminalisation de la prostitution semble avoir plus d'effets négatifs que positifs. Dans quelle mesure votre étude peut-elle inspirer une réflexion sur le sujet dans un pays occidental, comme la France par exemple ?

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La France est un pays intéressant en ce qui concerne la prostitution car elle a récemment adopté le modèle de réglementation de la demande finale ou modèle nordique, qui criminalise les clients, ou le côté "demande" du marché (et non le travailleur du sexe, ce qui est le modèle plus traditionnel de criminalisation). L'idée est qu'en s'attaquant aux acheteurs de services sexuels, nous réduirons la taille du marché en imposant des coûts plus élevés du côté de la demande. En fin de compte, nous continuons à criminaliser le travail du sexe, même si nous nous attaquons maintenant à la demande plutôt qu'à l'offre. 

Des recherches récentes menées en Angleterre suggèrent que ce type de réglementation ne réduit pas la demande de services sexuels, mais qu'il modifie la composition de la demande en faveur de clients plus risqués.  Une autre étude récente menée en Suède montre que cette politique déplace la demande de travail sexuel de la Suède vers des pays comme la Thaïlande, où les hommes peuvent encore acheter des services sexuels légalement. Cette même étude révèle une augmentation de la violence à l'égard des femmes en Suède après l'entrée en vigueur de cette loi. Par conséquent, il semble que le modèle de fin de la demande actuellement utilisé par la France pourrait en fait accroître la violence à l'égard des femmes et ne pas réduire la demande de travail sexuel.

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