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La réforme de l'endettement infantilise les consommateurs
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Crédit à la consommation

La réforme Lagarde sur l'endettement, entrée en vigueur ce 1er mai, va produire ces premiers effets dans les prochains jours. Problème : en ignorant partiellement les motivations qui poussent les gens à s'endetter, elle déresponsabilise les consommateurs.

Anthony  Mahé

Anthony Mahé

Anthony Mahé est sociologue à l'ObSoCo (Observatoire Société et Consommation). Il est spécialisé dans les domaines de l'imaginaire de la consommation et de la sociologie du quotidien. Il a réalisé une thèse de doctorat sur le recours à l’endettement bancaire à l'Université Paris-Descartes.

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Le 1er mai 2011, entre en vigueur un nouveau volet de la loi « Lagarde », amorcée en 2010, sur la réforme du crédit à la consommation. Cette réforme vise à protéger davantage le consommateur en durcissant les règles d’octroi de crédits et d’obligation d’informations de la part des opérateurs bancaires.

Si un changement paraissait absolument nécessaire aux vues de la situation alarmante du surendettement et de la précarisation des ménages les plus fragiles, il convient d’interroger la pertinence de la réforme sur le fond.

Pour schématiser, la loi va dans le sens d’une révision à court terme des taux d’usures mais également d’une obligation à la transparence et à la responsabilité pour les opérateurs, l’obligation d’inscrire la mention pédagogique "Le crédit vous engage et doit être remboursé" pour ne citer que cet exemple.

Le problème est le suivant : est-ce que l’esprit de cette loi est en phase avec l’esprit qui oriente le recours à l’endettement ? Rien n’est moins sûr.

Le crédit, objet de polémiques depuis Socrate

Cette loi fait suite à de multiples débats, des propositions plus radicales visant à interdire le crédit dit "revolving" ayant même été proposées par un député socialiste. Cela rappelle ces sempiternels débats sur l’usure et l’emprunt qui ont eu cours à travers l’histoire. Plutarque dans l’Antiquité grecque, société qui aspirait déjà aux apparats du luxe, préconisait de renoncer à l’emprunt pour des choses qui n’étaient pas utiles, là où Socrate estimait que le renoncement conduisait à l’ennui et au misérabilisme et finalement apparaissait comme contraire à la sagesse.

On le sait, le crédit est un objet particulièrement ambivalent, à la fois sujet au mépris, au doute et à la fois reconnu pour son utilité car permettant d’accéder à certains produits de consommation. Il est en soi un objet de polémique.

Mais la philosophie de cette loi est particulièrement problématique parce qu’elle repose dans le fond sur un raisonnement qui n’est pas en phase avec la réalité vécue.

L'nfantilisation des consommateurs

Ce qui est implicite, c’est une considération de la consommation dont le principe repose sur l’hédonisme, la pulsion du « tout, tout de suite ». En somme, le consommateur se laisserait guider par ses pulsions et donc berner par la publicité, soumis à la tentation et manipuler par les marketeurs. Alors, dans une rationalité athénienne qui l’honore, notre gouvernement, attentif aux propos de l’opinion publique et des associations de consommateurs, a logiquement cru bon qu’un peu de pédagogie et une dose de restriction serait une solution. Egalement que les banques prennent leur responsabilité en ayant un devoir d’information. Informer les consommateurs que le crédit est dangereux, qu’il engage et qu’il doit être remboursé. Tels à des enfants, expliquons à nos endettés ignorants qu’ils sont engagés dans leur dette.

On ignore peut-être encore qu’un consommateur qui a recours à l’endettement sait développer sa propre éthique. En l’interrogeant en profondeur, on y trouvera toujours une forme d’angoisse, parfois même de la culpabilité. Parce que s’endetter représente toujours un risque. Dans un climat social où la précarité gagne sans cesse du terrain, où la projection de soi dans l’avenir, même proche, est pétrie d’incertitudes, comment ne pas être angoissé quand on s’engage à rembourser une somme d’argent dans le temps ? Face à la défaillance de l’Etat lui-même, les gens se replient naturellement sur ce qui leur est proche : le familier, la communauté, le domestique, ce qui leur reste pour exister socialement quand les grandes institutions comme le travail et le politique manquent à leur tâche d’antan.

Des banques plus flexibles pour mieux soutenir l'endettement

Les endettés ont parfaitement conscience de leur engagement parce qu’ils hypothèquent symboliquement et malgré eux leur existence sociale, leur équilibre familial devant la dette. L’angoisse de la dette est la peur de perdre l’espace protecteur qu’ils ont construit, par le biais de la consommation d’ailleurs, ce qu’on appelle le confort matériel qui fait symboliquement la force du foyer domestique. Cet espace d’intégration sociale oblige à une prise de conscience permanente. C’est cela qu’on appelle une éthique.

Le problème n’est pas de faire de la morale aux ménages français sur la conscience de leur endettement, ni de tenter de limiter ou réguler l’accès à l’endettement en prêchant implicitement un discours utilitariste sur ce qu’il est bon d’acheter à crédit ou non.

L’endettement est une réalité sociétale dont les enjeux de cohésion sociale qu’il soutient sont mal considérés. Malheureusement, le surendettement n’est pas fonction d’un trop d’endettement, il est fonction d’une articulation entre la précarité et la nécessité sociale de consommer pour s’assurer une existence matérielle normale.

L’important est de savoir comment mieux accompagner l’endettement. Adopter une politique de l’endettement durable parce qu’on a pas d’autres choix que de faire avec la réalité et chercher tant bien que mal un équilibre dans cette dynamique. Ce sont probablement les banques qui ont un rôle à jouer. Elles doivent se recentrer sur leurs clients avec la flexibilité qu’exige l’incertitude de notre monde. La donne a radicalement changé. Il ne s’agit plus de savoir comment répondre à un besoin en particulier mais de savoir s’adapter à des situations extrêmement fluctuantes et hétérogènes. Par exemple adopter une personnalisation de la relation bancaire plutôt que la standardisation. Pour reprendre une idée du psychologue D. Winnicott, il s’agit d’envisager un système de holding, une manière de porter et de soutenir plutôt que d’infantiliser et d’interdire. Nul doute qu’en gagnant en humilité nous gagnerons en efficacité.

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