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Un agent de santé prépare une dose du vaccin contre le coronavirus Pfizer Covid-19 à l'hôpital Zainoel Abidin de Banda Aceh le 9 novembre 2021.
Un agent de santé prépare une dose du vaccin contre le coronavirus Pfizer Covid-19 à l'hôpital Zainoel Abidin de Banda Aceh le 9 novembre 2021.
©CHAIDEER MAHYUDDIN / AFP

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Alors que l’OMS lance l’alerte sur le retour de l’épidémie en Europe, quels sont les modèles qui auraient vraiment fait leurs preuves en matière de prédictions depuis 2020 ?

Samuel Alizon

Samuel Alizon

Samuel Alizon est directeur de Recherche au CNRS, affecté au laboratoire MIVEGEC à Montpellier. Il travaille en écologie évolutive, plus précisément sur la modélisation des maladies infectieuses. Ses recherches portent en particulier sur les parasites humains (HPV, VIH, VHC, paludisme).

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Mircea Sofonea

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Pour tenter de comprendre les prochains mouvements du virus, des scientifiques du monde entier ont développé des modèles épidémiologiques avec plus ou moins de succès. Aujourd’hui lorsque l’on compare les différents modèles (Pasteur, Imperial College, …) lesquels ont été les plus fiables ? 

Mircea Sofonea: Il n’est pas possible de répondre à cette question pour plusieurs raisons. Il y a plusieurs modèles, ceux à moyen terme qui ont été utilisés pour déterminer quand l’effet de la vaccination se ferait sentir, quel serait l’effet d’un confinement, l’effet du variant delta, etc. Cela a été fait par des modèles mécaniques dynamiques. De l’autre côté, on trouve les modèles autorégressifs, par exemple via des méthodes de machine Learning. Ils sont utilisés dans des méta-modèles ou modèles d’ensemble qui agrègent, avec une pondération, différents modèles. Ces modèles ne sont pas du tout utilisés pour les mêmes questions. Le modèle Pasteur fonctionne pour la France, celui de l’Imperial College pour le Royaume-Uni. On peut citer l’IHME qui rassemble plusieurs pays. En France, nous sommes quatre équipes de modélisation en temps réel de l’épidémie. Nous travaillons chacun de notre côté et nous avons des résultats qui sont la plupart du temps convergents, avec quelques différences. Nous nous voyons régulièrement afin de mettre en commun nos résultats. Donc il n’y a pas de « meilleur modèle ». 

Samuel Alizon: IIl faut bien saisir qu’un modèle vise, en théorie, à répondre à une question précise. On peut faire des modèles au niveau épidémiologique, pour comprendre comment se développe une épidémie, mais aussi au niveau intra-patients, pour comprendre comment les cellules sont infectées. Idéalement, il vaut mieux avoir plusieurs modèles différents pour une seule question. Si l’on se restreint aux modèles de dynamique hospitalière, en France on anticipe assez bien les tendances au niveau national, sauf lors de changements brusques : un confinement, un déconfinement, des vacances scolaires, etc. Dans ces périodes de transition, les modèles sont très limités. Plus généralement, en modélisation épidémiologique, on explore des scénarios : du type « si cette hypothèse est vérifiée alors que se passe-t-il ? ». Dans notre équipe, par retour d’expérience, nous avons vu que, sur un an, nous avons eu une visibilité à cinq semaines environ sur les chiffres hospitaliers. Sans changement brusque, ceux de Pasteur ou ceux de notre équipe sont assez similaires, nous arrivons à capturer la dynamique au niveau régional comme avec notre application COVIDICI. La grosse inconnue vient des perturbations, or c’est là qu’on attend souvent les modèles.

Y-a-t-il eu des erreurs et si oui, qu’est ce qui peut les expliquer ? 

Mircea Sofonea: Il y a plusieurs façons de modéliser l’épidémie et pas une solution. Il y a une telle inertie de la maladie qu’il est facile de prédire une évolution inférieure à deux semaines. En revanche, au-delà, on peut essayer de voir plus loin mais si on se trouve dans l’après-coup d’une nouvelle mesure ou d’un nouveau variant dont on ne connait pas encore les paramètres, on peut se trouver en situation de se tromper. Ça nous est arrivé, fin janvier, lorsque nous n’avions pas encore une idée précise de l’effet du couvre-feu. C’est également arrivé à la sotie du troisième confinement, fin avril. Depuis nous l’avons documenté. Les modèles sont bons quand les mesures de terrain sont fiables, précises et suivent une vitesse de croisière. Dès qu’il y a un changement majeur, il n’est jamais certain que l’on suive le bon scénario ou la bonne hypothèse.

Sur le court terme ces modèles sont fiables mais sur le long terme tout dépend de ce qui est recherché. Il n’y a pas de prévision possible au-delà de deux semaines. Mais dans une situation où les paramètres sont bien maitrisés, alors on peut avoir une projection qui soit compatible avec qui se passe dans la réalité.

Samuel Alizon: L’exemple de l’année dernière est frappant. Fin octobre 2020, Emmanuel Macron avertit que « quoi que nous fassions » 9000 personnes seraient en réanimation à la mi-novembre. Un chiffre très élevé qui s’appuyait sur les données de l’Institut Pasteur. Le chiffre existait mais l’erreur a été l’interprétation. En réalité, il existait plusieurs scénarios et ces chiffres correspondaient à celui où on imaginait laisser filer l’épidémie. D’autres scénarios explorant des mesures de contrôle limitées ou des mesures très fortes (ce qui a été choisi). On ne peut faire que des suppositions mais vraisemblablement ce modèle est remonté jusqu’au président au travers de personnes qui ne comprennent pas bien comment fonctionnent les modèles et leurs limites. Et ce qui était un scénario catastrophe est devenu par erreur la seule prédiction. Pour éviter ces erreurs, les Anglais ont considéré qu’il fallait limiter les intermédiaires entre les chercheurs et les décideurs. Pour revenir sur les difficultés d’anticipation, en période de variation, on ne peut que formuler et explorer des scénarios. En juin, notre équipe a été la première à voir que le variant delta se propageait en France plus rapidement qu’alpha. A partir de là, nous avions envisagé quatre scénarios car nous ne savions pas ce qui serait décidé et une décision majeure aujourd’hui peut inverser la dynamique hospitalière dans deux semaines. Prévoir à plus de deux semaines revient à prévoir les décisions de santé publique. Plus précisément, on peut distinguer trois composantes dans la propagation d’une épidémie : la dimension physique, facile à appréhender, la composante biologique, par exemple l’évolution des variants qu’on a du mal anticiper, et enfin la composante sociale, qui elle est presque impossible à prévoir.

Y-a-t-il un modèle de référence à l’international ? 

Mircea Sofonea: Non, il faut regarder pays par pays. Plus on connait les bases de données du pays, plus c’est facile. Tous les pays gèrent différemment leurs flux hospitaliers. La définition de la réanimation change d’un pays à l’autre par exemple. Il n’y a pas un modèle maitre applicable à tous les pays et il n’y a pas une équipe qui se démarque. Plusieurs modèles comme l’IMHE arrivent à avoir une approche globale, mais ça ne veut pas dire qu’il faudrait privilégier ce dernier pour la France. Il est bien pour avoir un aperçu sur une seule page mais est moins précis. 

La vaccination et le pass sanitaire permettent-ils d’avoir des modèles plus ou moins fiables et stables ?

Mircea Sofonea: Notre modèle comporte très peu de paramètres et ne va pas être perturbé. Plus il y a de paramètres, plus l’incertitude sur les prédictions va augmenter. On peut effectivement rajouter des paramètres mais nous ne sommes pas en mesure de dire quelle mesure va agir de telle ou telle façon isolée. On peut comparer avec l’historique pour le déterminer, mais seulement a posteriori. Ce sur quoi les politiques et les médias buttent, c’est sur leur besoin d’une valeur médiane là où l’incertitude se détermine selon la gamme des possibles, avec un plancher et un plafond qui relèvent de l’intervalle de confiance. Quand un résultat est confirmé par modèles différents, il a une forme de robustesse sur laquelle les politiques peuvent s’appuyer pour prendre des décisions. 

Après un an et demi de pandémie, appréhende-t-on mieux les variables ?

Samuel Alizon: On en sait énormément plus bien sûr. Des études ont par exemple montré que la saisonnalité expliquait 20% des variations. D’autres, plus délicates, essaient de classer les mesures pour contrer l’épidémie selon leur efficacité. Un article montrait par exemple que l’interdiction des petits rassemblements était l’une des mesures les plus efficaces. Cette étude montrait d’ailleurs l’importance de la diffusion des savoirs à la population pour endiguer l’épidémie. Ce qu’on ne sait pas faire aujourd’hui c’est dire avec précision quelles interventions il suffit de mettre en place pour contrôler l’épidémie. Aujourd’hui, l’épidémie repart un peu à la hausse, ce qui n’est pas surprenant en raison de la saisonnalité. Malheureusement, on ne peut pas dire quelle intervention précise permettrait de la contrôler. En revanche, on sait prendre en compte la couverture vaccinale et l’efficacité vaccinale pour indiquer que l’on peut se permettre une vague épidémique de telle ampleur tout en évitant la saturation du système hospitalier. C’est ce que nous montrons sur l’application en ligne COV impact. Encore une fois, les tendances à plus de 2 semaines ne sont que des scénarios. Pour les prochains mois, il faut par exemple envisager différents effets possibles des vacances scolaires (couperont-elles aussi bien la dynamique que l’année dernière?) ou de la diminution potentielle de la protection vaccinale et les différentes stratégies de vaccination (extension d’une première dose ou d’une 3 e dose ?) Le modèle ne peut pas prédire le futur mais il aide à raisonner. Si tous les scénarios concordent, comme en mars 2020, les conclusions peuvent être très fortes. S’ils divergent, cela signifie qu’il existe plusieurs options. En règle générale, les modèles ne se substitueront jamais à la décision. Il ne sont que des guides pour éviter de recourir aux intuitions hasardeuses.

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