Covid-19 : Pourquoi la médecine française est devenue une médecine d’opinion plutôt qu’une médecine construite sur des données biologiques <!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme pulvérise de la peinture sur une affiche portant les portraits du ministre français de la Santé, Olivier Veran, et du médecin français Didier Raoult. Nantes, 4 septembre 2021
Un homme pulvérise de la peinture sur une affiche portant les portraits du ministre français de la Santé, Olivier Veran, et du médecin français Didier Raoult. Nantes, 4 septembre 2021
©SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Rigueur scientifique

À travers la gestion de la Covid-19, le débat a été focalisé sur le nombre de doses. Un non sens puisque le virus ne disparaîtra pas et que notre immunité doit être maintenue dans le temps. Comme la grippe, la vaccin doit être renouvelé régulièrement pour une protection optimale. Pourtant, de nombreux médecins dissuadent leurs patients de faire une dose de rappel. Comment expliquer ce non-sens scientifique ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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La médecine française est-elle devenue une « médecine d’opinion » plutôt qu’une médecine construite sur des données biologiques ? Comment expliquer ce constat ? 

Claude-Alexandre Gustave : Le qualificatif de « médecine d’opinion », s'illustre notamment par les déclarations du conseil scientifique rejetant le déploiement des 4èmes doses car, je cite, « cela pourrait être interprété comme un manque d’efficacité du vaccin » !?

Là, on est totalement hors du domaine scientifique, tant par la mécompréhension immunologique, que par le défaut d’information du Grand Public sur la raison d’être des rappels vaccinaux.

Les mêmes données biologiques que celles que nous utilisons, ont conduit des pays comme le UK, le Chili, Israël… à déployer les 4èmes doses pour toutes les personnes dites « à risque », en raison du constat simple de diminution progressive de la production d’anticorps neutralisants, et de la diminution de protection contre les hospitalisations et décès à l’échelle de la population.

Par « à risque », ils ont suivi les données cliniques et inclus tous les >75 ans ou tous les >60 ans, ainsi que tous les >12 ans présentant des facteurs de risques de covid sévère, ainsi que les populations les plus exposées (comme les soignants par exemple) ; en prévoyant également un déploiement plus large en population générale à l’automne (sous réserve que la situation ne se dégrade pas avant).

Quel est le rationnel, hormis électoraliste et sociologique, justifiant la limitation aux >80 ans en France ??? Les seuls pays à avoir fait ce même choix sont la Suède (qui s’est illustrée par une stratégie dangereuse d’immunité par infection qui lui vaut le taux de mortalité le plus élevé de toute la Scandinavie), et le Danemark (qui a basculé dans le déni sanitaire et bat actuellement ses records de mortalité par COVID).

Notre pays a tellement été pollué par les antivax qu’il en est réduit à ne même plus oser présenter des données scientifiques objectives de peur de susciter la défiance de sa propre population. C’est pitoyable.

C’est encore une conséquence de l’absence de réelle campagne de santé publique pour décrire le fonctionnement des vaccins, leurs limites, et les contraintes imposées par SARS-CoV-2, et notamment 3 grandes différences avec les virus grippaux :

  1. Une circulation virale pas limitée à quelques semaines durant l’hiver, mais intense tout au long de l’année
  2. Une évolution virale beaucoup plus rapide, avec désormais émergence de nouveaux clusters antigéniques, et donc un échappement immunitaire significatif
  3. Une virulence nettement supérieure  à celle de la grippe puisque même avec le bénéfice de l’immunité acquise à grande échelle, la COVID garde plus d’impact sur les hôpitaux et la mortalité en 1 seule semaine, que la grippe en une saison complète.

Quand je vois des médecins interpréter des sérologies en confondant « présence d’anticorps » et « protection », sans même savoir que la protection nécessite d’atteindre un seuil critique d’anticorps… Et que sur la base de leur mécompréhension, ils en viennent à dissuader leurs patients de faire une 3ème dose ou leurs rappels vaccinaux, je me dis que la santé publique est sur une très mauvaise voie dans ce pays, et je me dis qu’on a de grands progrès pédagogiques à faire y compris au sein des facultés de médecine.

Guy-André Pelouze : J'imagine que votre question peut se lire plutôt comme ceci: "plutôt qu’une médecine basée sur des évidences".

D'où vient la médecine?

Guy-André Pelouze : De l'extension évolutionniste des comportements innés de prévention et d'aide existants chez les mammifères. C'est le développement de centres neurobiologiques des valeurs humaines qui explique le développement des soins et de la médecine chez homo sapiens. Depuis l'utilisation de plantes médicinales et les premières interventions chirurgicales salvatrices dont les plus exceptionnelles comme la trépanation la médecine s'est développée sous la convergence de l'empathie pour la souffrance de l'autre et l'observation la plus rationnelle pour trouver un traitement. La médecine est devenue depuis la découverte de l'ADN par Watson et Crick un prolongement de la biologie moléculaire. Comprendre le mécanisme des maladies au niveau moléculaire et trouver des solutions thérapeutiques est l'aventure de la médecine moderne. Cette transition est en cours à la vitesse de la loi de Moore. La médecine précédente était essentiellement anatomique et empirique mais surtout dominée par l'ignorance des grands mécanismes physiopathologiques s'agissant des grandes pathologies. C'est pourquoi chaque médecin mettait en avant son expérience et des théories variées soit anciennes et transmises soit inventées au fil de l'exercice.

Un modèle unique explique la place disproportionnée de la médecine d’opinion

Guy-André Pelouze : La situation que nous connaissons en France est plutôt le résultat d’une fâcheuse exception culturelle largement alimentée par l’étatisme du système universitaire, de la pratique médicale et de facultés de médecine d'État. Il est urgent de laisser faire la recherche arbitrée par le consensus des pairs sans lien avec les chercheurs en question, il est urgent que l’Université soit diverse tout en restant fidèle à son exigence d’excellence c’est à dire de résultats. Or en raison du verrouillage du système hospitalo-universitaire les obstacles à l’innovation, à la recherche sont trop élevés pour être franchis. Quand l’innovation était rare, les externalités d’un tel système étaient faibles. Depuis que la médecine dépend avant tout de l'innovation, nous dépendons de plus en plus du flux de technologies et d’innovation qui vient de l’étranger. Cela n’est pas dû à une incapacité à se saisir des sujets de l’innovation mais à une série de freins, d’obstacles et d’interdits, certains résultant de la structure académique, nous l’avons déjà évoqué, d’autres de la superstructure administrative qui est la somme des couches défensives, précautionneuses, “écologiques”, financières que l’état, seul maître du jeu, a empilé. Ces conditionsempêchent de plus en plus le fonctionnement optimal du système de soins et de la médecine française qui est au cœur de ce dernier. Il y a par ailleurs des externalités négatives à un tel fonctionnement. Le blocage de toute pensée évolutive et des mécanismes rationnels et indépendants de validation de la recherche laisse un espace considérable pour la pire alternative, celle des fausses nouvelles, de la contestation du temps qu’il fait, des faits facilement observables au motif d’un “complot mondial”, d’une “paranoïa victimaire” dénonçant big pharma, des résultats des vaccins, des médicaments et tout cela par des gens qui n’ont jamais soigné un patient mais aussi, malheureusement, par des médecins peu scrupuleux habitués depuis longtemps à ce qu’on les "croit" sur parole. Pour sortir de ce dilemme il n’est pas besoin d’une commission de la transparence, forum de paroles sans action, il faut s’ouvrir à la société civile et libérer le monde universitaire, scientifique, médical de l’état et de ses institutions.

D’où vient ce modèle unique?

Guy-André Pelouze : Pour expliquer ce modèle unique, il est utile de citer l’essai de Laetitia Strauch-Bonart « De la France ». Celui-ci met l’accent sur une sorte d'inclination française qui privilégie l’induction plutôt que la déduction. Cette inclinaison concerne tous les secteurs de la politique. En France, certains médecins mettent trop souvent en avant les idées, les concepts, les théories avant les faits dans un pur schéma inductif. Ce schéma inductif est un obstacle à l'évaluation non biaisée des solutions médicales. Ce dénigrement des probabilités ou leur incompréhension est grandement explicable par le choix d'adopter par induction une théorie. Dans le monde médical international en particulier anglo-saxon, on teste des hypothèses en concevant des expériences qui aboutissent à des faits mesurables appelés résultats. Ces résultats sont testés grâce aux probabilités pour connaître la validité de ces résultats et en particulier évaluer l’incertitude, le risque d'erreur et les liens de causalité.

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