Cour pénale internationale : le double piège dans lequel s’enferme la France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
©JIM HOLLANDER / POOL / AFP

Bras de fer

En apportant son soutien à la décision de la CPI de requérir un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense, la France adopte une position différente de celle de la plupart des capitales occidentales.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

Voir la bio »
Randy Yaloz

Randy Yaloz

Randy Yaloz est avocat franco-Américain et Président de Republicans Overseas Action (Worldwide) & France (Président des Républicains américains à l’étranger et en France).

Voir la bio »

Atlantico : Karim Khan, procureur général de la cour pénale internationale de justice, a demandé qu’un mandat d’arrêt soit émis contre Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour crime de guerre. De nombreux juristes se sont élevés contre cette décision. Selon vous, est-ce que cette décision est contestable ? 

Frédéric Encel : Les Israéliens et leurs amis le pensent et s’en indignent. De fait, on a, d’un côté, un groupe islamiste radical que l’Occident admet à juste titre comme terroriste, de l’autre une démocratie. D’un côté, le Hamas antisémite au dernier degré qui avait déjà massacré des centaines des civils israéliens pour détruire les accords d’Oslo dans les années 1993-96, et qui a perpétré un effroyable pogrome sur 1 200 civils avec prises d’otages le 7 octobre 2023, de l’autre un Etat qui avait quitté Gaza dès 2005 et dont le blocus (né du putsch du Hamas contre l’Autorité palestinienne à Gaza en juin 2007) était relativement peu « étanche » du côté égyptien et même devant les kibboutz alentours...

Cela dit, on peut aussi faire une lecture un peu différente ; s’il y a bien concomitance dans la requête du procureur de la CPI – assez logique puisque la guerre en cours oppose les deux belligérants – cela ne signifie pas mécaniquement équivalence. J’ajoute à cet égard un point essentiel et bien trop négligé ces derniers jours : M. Khan a pointé, à la tête du Hamas, non pas seulement les deux chefs militaires clairement à l’origine du carnage du 7 octobre mais aussi le chef de la branche dite politique de l’organisation islamiste, Ismaël Haniyeh ! Or le jour de la tuerie, il était – comme depuis des années – situé dans son luxueux hôtel de Doha, capitale du… Qatar. J’en tire deux conclusions géopolitiques majeures : d’abord, le procureur semble considérer que le Hamas dans son entièreté est vraisemblablement coupable de crimes contre l’humanité, et pas seulement des barbares armés sur le terrain, ensuite l’émirat gazier ayant joué la politique du pire avec le Hamas (et les Frères musulmans fanatiques dans l’ensemble du monde arabe et au-delà), l’accueillant et le finançant, est éclaboussé par la requête. Cerise sur le gâteau, ni le chef d’état-major de Tsahal, ni des généraux engagés à Gaza, n’ont été pointés du doigt…

Randy Yaloz : C'est Karim Khan, en tant que procureur général, qui décide de l'opportunité. Donc, le choix qu'il a fait était à un moment précis, dans un contexte politique et géopolitique particulier. La question est de savoir quand il a décidé d'émettre exactement ce mandat d'arrêt contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant, surtout en même temps qu'il émettait des mandats contre les leaders du Hamas, alors qu'il y avait déjà, depuis 7-8 mois, suffisamment de preuves pour émettre ces mandats d'arrêt. Mettre les deux sur le même pied d'égalité revient à comparer des terroristes qui ont violé, torturé et tué des enfants, des bébés, des personnes âgées, et kidnappé des innocents, avec ceux qui essaient de se défendre. Déjà, sur le principe, c'est contestable. Il y a déjà un recours déposé il y a plusieurs mois devant la Cour pénale internationale, affirmant qu'Israël avait commis des crimes contre l'humanité, mais cela n'a pas été retenu au moment de la plainte. Les Américains eux-mêmes ont mené une enquête et récemment, ils ont conclu qu'Israël agissait conformément au droit international. Il est important de noter que les leaders et les terroristes du Hamas utilisent les civils comme boucliers humains, que ce soit dans les hôpitaux, les écoles ou les bâtiments de l'UNRWA. Une fois que ces bâtiments sont utilisés comme bases par les terroristes, selon le droit international, ils deviennent des cibles légitimes pour l'armée. Il y a aussi des accusations d'affamer la population, mais il est étonnant qu'une enquête soit menée contre un pays qui fournit des centaines de camions d'aide humanitaire aux Gazaouis, a construit un port avec les Américains, pendant que les soldats d'Hamas détournent l'aide pour leurs propres profits. Israël fournit également l'électricité, l'eau et le gaz aux Gazaouis. Aujourd'hui, Israël subit une pression importante et a augmenté l'aide humanitaire, ce qui a été constaté par l'administration Biden. Décider d'ouvrir une enquête contre les leaders israéliens semble être une tentative de délégitimation, particulièrement de Netanyahou et de son gouvernement, et de mettre la pression sur sa stratégie à Rafah. Il est également pertinent de se demander pourquoi, depuis des années, il n'y a pas eu d'enquête sur le Hezbollah, l'Iran ou la Syrie, où des crimes contre l'humanité ont été commis. Aujourd'hui, un pays attaqué par une organisation terroriste, avec des milliers de morts et de blessés, voit ses leaders délégitimés pour arrêter une guerre qui permettrait au Hamas de continuer à exister. Cela soulève des questions sur la politisation de la Cour de justice. 

Vous avez parlé d'hommes politiques qui ont profité du vote musulman sans être forcément des islamistes. Cependant, on voit de plus en plus de candidats qui se revendiquent ouvertement islamistes et qui font campagne pour obtenir des sièges aux communes ou pour diriger des villes en menant une campagne explicitement islamiste. Quelle est la proportion du phénomène ? 

Randy Yaloz : Aujourd’hui Israël n’est pas signataire de la Cour pénale internationale. Israël est en guerre et, compte tenu de la situation, et peut ne pas vouloir ouvrir la porte aux enquêtes, et n'a aucune obligation en vertu du droit international de le faire. En ce qui concerne les mandats d'arrêt, cela n'aura pas non plus d'effet sur Israël, mais bien entendu, Netanyahou et Gallant, décident de partir à l'étranger et qu'un mandat d'arrêt a été émis, les pays signataires de cette convention internationale seront en principe obligés de les arrêter. La question aujourd'hui est de savoir pourquoi, dans certains cas, la cour décide de mener certaines enquêtes. On est confronté à des dizaines de guerres à travers le monde, alors pourquoi décider de poursuivre une enquête contre un pays en guerre qui lutte pour son existence après avoir été attaqué par des centaines de missiles ? Cela semble inverser les choses et rendre la situation très difficile pour l'État d'Israël. Israël mène ses propres enquêtes, et a ouvert la porte à plusieurs États, y compris les États-Unis, qui sont très exigeants quant au sort des civils gazaouis. Cela est légitime, mais même pendant les combats, Israël a pris soin d'évacuer les civils des hôpitaux avant de mener des combats très durs contre les terroristes du Hamas. Israël fait de son mieux. Les accusations portent souvent sur un deux poids deux mesures : d'un côté, Israël mène une guerre de légitime défense, et de l'autre, le Hamas mène une guerre génocidaire visant à éliminer Israël et en faisant mourir en martyr, sacrifiant les Gazaouis. Cela complique la situation pour les Israéliens et ne prend pas en compte le contexte. Israël a fait plus que toute autre armée moderne pour protéger les civils en temps de guerre, comme de nombreux rapports et experts le confirment. Cependant, les enquêtes, même si elles n'aboutissent pas, causent des dégâts symboliques en stigmatisant les leaders israéliens et le pays. Cela s'inscrit dans un contexte où des actes antisémites explosent dans le monde, avec des records d'augmentation. 

Comment apprécier la décision de la France de ne pas condamner, comme ses alliés, la demande du procureur général ? N’est-ce pas dangereux dans le bras de fer que se mènent le sud global et les démocraties occidentales ? 

Frédéric Encel : D’abord, je serais plus nuancé sur la position française ; Paris a simplement rappelé son attachement à la CPI et à son indépendance. Les Etats-Unis, par exemple, peuvent s’exonérer de ce rappel prudent car ils n’ont pas ratifié (à l’instar d’une quarantaine d’autres Etats) le statut de Rome fondateur en 1998. Or à l’heure où s’inscrivent ces lignes, le procureur n’a émis qu’une requête et la Chambre n’a pas encore statué. De surcroît, à l’Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères a clairement refusé l’équivalence entre le « Hamas terroriste » et la « démocratie israélienne ». Néanmoins, sur le fond du dossier, j’aurais tendance à rejoindre ce à quoi renvoie votre question ; si le gouvernement israélien actuel – en sursis tant il est contesté par une nette majorité de citoyens – est franchement problématique à plusieurs titres et sa politique très critiquable, Israël en tant qu’Etat ne peut pas être identifié à des régimes structurellement assassins tels ceux en place en Syrie ou en Iran, pour ne prendre que des exemples moyen-orientaux, ni à la fanatique et mortifère confrérie des Frères musulmans. Enfin, le « Sud global » est un concept creux, paresseux et inopérant – je l’ai démontré à plusieurs reprises – tant il est composite. Mais ceci est un autre sujet.

Randy Yaloz : Le soutien exprimé par la France aujourd'hui concernant les mandats d'arrêt, montrant ainsi une attitude ambivalente : d'un côté, la France soutient Israël lors de la célébration de son indépendance, et de l'autre, elle appuie des mesures qui peuvent sembler contraires aux intérêts israéliens. Cette double posture est, à mon avis, dangereuse, car elle attise les tensions en France. En confondant Israéliens et Juifs, certains alimentent la confusion et les préjugés, ce qui contribue à l'explosion des actes antisémites en France et dans le monde, atteignant des niveaux records dans certains pays. Il est crucial de se poser des questions sur ces choix politiques, car ils ont de réelles conséquences continues.

Une telle décision, qui suggère qu’Israël ne fait pas preuve de retenue dans la bande de Gaza, ne risque pas d’accentuer l’importation du conflit en France et la montée de l’antisémitisme qui l’accompagne ? 

Frédéric Encel :L’antisémite n’a pas besoin de la cause palestinienne pour entretenir et exprimer sa haine, sa jalousie et son complotisme à l’encontre des Juifs. Il instrumentalise cette cause – légitime quand elle est exprimée en respectant la Loi et en ne niant pas le droit légitime à l’existence d’Israël – et les Palestiniens le savent fort bien. Ceux qui importent le conflit en France sont, au mieux, des irresponsables clientélistes, au pire, des criminels. Je note du reste que lorsque des Palestiniens se font massacrer en Syrie (Yarmouk), la place de la République demeure désespérément vide. Idem pour toutes les autres situations où des millions de civils sont victimes de la barbarie, du Soudan au Congo en passant par le Yémen ou, récemment, la Birmanie et l’Ethiopie… Et je le dis ici avec d’autant plus de force et de vigueur que j’ai toujours durement critiqué l’aile extrémiste de l’actuelle coalition Netanyahou, et défendu la solution des deux Etats souverains (Cf. L’Express, 16/5/2024).   

Plus globalement, pensez-vous que nous sommes face à une politisation de la justice internationale dans cette affaire ? 

Randy Yaloz : Je pense qu'il y a une polarisation de la justice, influencée par ceux qui la dirigent. Par exemple, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies est souvent présidée par des dictatures, ce qui soulève des questions sur leur légitimité à mener ce genre de commissions. On peut se demander pourquoi les Nations Unies ont tardé à reconnaître les actes terroristes et les crimes de guerre commis contre le peuple israélien, impliquant 27 nationalités différentes. Ils ont attendu pour émettre un mandat d'arrêt contre les leaders du Hamas le même jour que pour Netanyahou et Gallant, mettant ainsi sur un pied d'égalité des leaders d'un pays démocratique et des terroristes. Cette situation permet de dire que Netanyahou est équivalent à un terroriste, ce qui est une absurdité. La décision d'émettre ces mandats d'arrêt au même moment semble politiquement motivée et vise à discréditer les dirigeants israéliens. On peut s'interroger pourquoi ces enquêtes ne sont pas menées contre des pays comme la Chine, qui a tué des dizaines de milliers de Tibétains, ou contre les responsables des camps de concentration des Ouïghours, ou encore contre les crimes commis en Syrie et par le Hezbollah au Liban. Cette focalisation sur Israël alimente un discours médiatique qui accuse Israël de génocide, un terme utilisé à la légère. Cela réduit la confiance dans les institutions internationales et montre une justice utilisée pour des fins politiques. Israël continue de respecter les droits internationaux, malgré un adversaire qui utilise des civils comme boucliers humains. En conclusion, la cour internationale n'a pas apporté de solutions mais a plutôt créé plus de problèmes. Elle renforce un climat d'incertitude pour les Juifs français, victimes d'actes antisémites, et nourrit une confusion entre Israéliens et Juifs, véhiculant une image fausse de peuple génocidaire. Cela a un impact réel sur leur vie quotidienne, leur travail et l'avenir de leurs enfants en France. Le soutien de la France à ce genre de démarches est perçu comme une trahison par beaucoup de Juifs français, créant une angoisse palpable au sein de cette communauté.

Frédéric Encel : Vous savez, cela fait trois décennies que j’enseigne la géopolitique à l’Université, et je pense être en mesure de vous affirmer le point suivant : à la fin des fins, même les questions juridiques et morales sont subordonnées au politique et, en l’espèce, au géopolitique. Et la CPI n’échappe pas à la règle.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !