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Coup de pouce sur la CSG des retraités : les mauvais calculs politiques et financiers du gouvernment
©GEORGES GOBET / AFP

Dialogue de sourds

Des enquêtes d'opinion montrent que les retraités craignent davantage pour leurs descendants que de souffrir de la pauvreté. Un ressenti qui se lit également dans les décisions macroniennes : pas touche aux droits de succession mais une CSG en hausse pour les retraités. Mais dans le même temps, rétropédalage sur la CSG, avec un geste fiscal pour 300 000 d'entre eux

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Au regard de l'échéance électorale européenne qui approche à grands pas, des sondages d'opinions toujours plus inquiétants pour l'exécutif et de l'importance électorale des seniors, peut-on estimer qu'Emmanuel Macron craint davantage les urnes qu'il n'est fidèle à ses promesses électorales ? 

Jacques Bichot : Cette enquête montre que les retraités sont réalistes : ils semblent avoir compris que leurs descendants, qui n’ont pas eu autant d’enfants qu’il le faudrait pour un bon fonctionnement des retraites par répartition, risquent fort d’être déçus par ce qu’ils percevront une fois à la retraite, en dépit des fortes cotisations qu’ils auront versées pendant toute leur vie pour leurs aînés. 
Cette prise de conscience est intéressante : encore un petit effort, et l’on comprendra le message d’Alfred Sauvy quand il disait, dans les années 1970, « nous ne préparons pas nos futures pensions par nos cotisations, mais par nos enfants ». Les pouvoirs publics ont commis une grave bévue en faisant croire aux citoyens quelque chose de très différent, et de complètement faux : qu’ils préparent leur propre retraite en cotisant pour leurs aînés. 
Cette bévue, l’actuel président de la République l’a commise en passant commande à Jean-Paul Delevoye et à ses collaborateurs d’un système de retraites dans lequel chaque euro cotisé donnerait les mêmes droits, que le cotisant soit artisan ou salarié, fonctionnaire ou professionnel libéral. Ce faisant, il accréditait la fable selon laquelle il est logique que cotiser pour ses aînés donne des droits sur ses cadets. On ne peut espérer quelque chose pour l’avenir qu’en investissant, que ce soit dans les entreprises, les technologies et les infrastructures (retraites par capitalisation) ou dans les êtres humains (retraites par répartition). Toutes les pensions de retraite découlent d’un investissement préalable, et si l’investissement est insuffisant ou mal orienté les pensions versées ne seront confortables qu’en exigeant des actifs des transferts excessifs au profit de leurs aînés. 
Les retraités commencent à pressentir que le législateur leur a menti, que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles en matière de retraite : cette prise de conscience est une bonne nouvelle ! Nouvelle d’autant plus réjouissante que nous sommes incités à croire au Père Noël par toutes sortes de charlatans – songeons par exemple à la vogue des cryptomonnaies, à celle des éoliennes, à la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, etc.
Essayer de deviner ce qu’il y a dans la tête d’un homme politique n’est pas chose facile, et je me garderai de spéculer sur une crainte d’Emmanuel Macron au niveau électoral. On peut d’ailleurs penser qu’il préfère affronter le désamour des électeurs assez tôt dans le quinquennat, et qu’il réserve les gâteries pour se concilier les faveurs des électeurs lors d’échéances plus décisives que les élections européennes. 
Je crois plutôt que le « rétropédalage sur la CSG », de faible ampleur, et qui ne va pas bouleverser la donne électorale, est le signe que ce jeune Président a conservé les habitudes acquises à Bercy, où l’on adore multiplier les micro-mesures. Le « fine-tuning » fiscal, ça fait branché, comme un concert de rapp à l’Elysée, et beaucoup de décisions de ce genre portent à croire que notre Chef de l’Etat aime assez les gestes symboliques dans lesquels des esprits moins superficiels verraient un divertissement pascalien.
Philippe Crevel : Après l’annonce de la désindexation partielle des pensions par rapport à l’inflation, le Gouvernement avait confirmé qu’une mesure serait prise en faveur des retraités. le Premier Ministre a annoncé un dispositif de lissage pour les retraités dont les revenus se situent juste au-dessus de l’application de la  hausse de CSG de 1,7 point intervenue au 1er janvier 2018.  Cette hausse s’applique aux retraités dont le revenu fiscal de référence se situe au-dessus de 14 404 euros pour une personne seule, et 22 051 euros pour un couple. 60 % des retraités, soit 7,5 millions de personnes, sont actuellement concernés par la hausse de la CSG. Le taux applicable est de 8,30 % au lieu de 9,20 % pour les revenus d'activité. Sur ce pourcentage, 5,90% sont déduits du total des pensions soumises à l'impôt sur le revenu (au lieu de 6,80% pour les revenus d'activité).
Les 40 % restants, exonérés de CSG ou soumis à la CSG à taux réduit (3,8 %), ne sont pas touchés par la majoration de 1,8 %. En vertu du dispositif retenu par le Gouvernement, Il faudra être passé pendant deux ans en continu au-dessus du seuil arrêté l’année passée pour être concerné par cette augmentation de la CSG. A priori, 300 000 personnes devraient bénéficier de cette mesure dont le coût est évalué à 350 millions d’euros pour les finances publiques.
Cette mesure vise à atténuer la politique de transfert intergénérationnel que le gouvernement assume depuis sa constitution. L’objectif d’Edouard Philippe est de réduire les charges qui pèsent sur les actifs, allègement compensé par la majoration des prélèvements sur les retraités dont le niveau de vie est supposé supérieur à celui des premiers.
L’exécutif craint une révolte dans les urnes des seniors et tente de les amadouer en annonçant une mesure qui ne concernera que 300 000 personnes. Il n’est pas certain que cela change l’état d’esprit des retraités. En revanche, l’efficacité et la lisibilité de sa politique en souffriront. En optant pour un raffinage excessif de sa politique, le gouvernement met les sabots de l’ancien monde, un coup à droite et un coup à gauche à moins que cela ne soit que la traduction du « en même temps ».

Hésitations autour de l'impôt à la source, reculade sur le plan vélo, et maintenant la CSG... Au-delà des promesses de campagne et d'un calendrier qui paraissait à l'origine très bien ficelé, assiste-t-on au retour de l'ancien monde, essentiellement basé sur des considérations électorales dictant la politique des autorités ?

Jacques Bichot : Je ne suis pas persuadé que « l’ancien monde », celui dans lequel les préoccupations électorales - voire même électoralistes – sont prédominantes, soit derrière nous. Emmanuel Macron s’est construit une image de jeune homme surdoué capable de changer la donne, mais il a surtout été l’auteur d’un blitzkrieg très habile qui lui a ouvert la route de l’Elysée. Jusqu’à présent, sa réussite la plus importante a été la conquête du pouvoir, pour laquelle il a montré un talent exceptionnel, même si les faiblesses de ses concurrents ont joué un rôle majeur.
Conquérir le pouvoir est une chose, l’exercer, et surtout l’exercer dans le sens du bien commun, en est une autre. Emmanuel Macron est un tacticien, pas un stratège. Il est donc en mouvement permanent, un peu comme Bonaparte, mais sans avoir, me semble-t-il, un projet aussi ambitieux. Comme le Premier consul devenu Empereur des Français, il s’occupe de tout, avec une présence d’esprit stupéfiante et la même capacité à se contenter de très peu de repos.
La différence tient au fait que le jeune énarque ne peut pas avoir, comme le jeune artilleur, un projet impérial. La démocratie parlementaire est un exercice usant qui exige d’immenses efforts pour mener à bien de modestes projets. Comme pour le loup de La Fontaine, « point de franche lippée, tout à la pointe de l’épée » : la moindre réalisation exige des trésors de diplomatie, d’intrigues et de cadeaux. 
Je ne suis pas certain que les vrais destinataires du cadeau CSG en direction d’un petit contingent de retraités soient ces braves gens sur qui le prélèvement socio-fiscal sera un peu allégé : il s’agit plus probablement de faire plaisir à quelques hommes politiques qui ont cru avoir l’idée du siècle en imaginant cet allègement. 
Le Parlement regorge de pense-petit qui essaient de laisser une trace, fut-elle infime, dans le sable de nos lois et décrets. Le Président lui-même, puisqu’il a choisi de s’occuper de tout, doit se saisir de ces gamineries, afin de fidéliser des troupes qui commencent à oublier que, sans lui, elles ne peupleraient pas les bancs de l’Assemblée. Naturellement, ce n’est pas comme cela que la République française accomplira de grandes choses, mais les vertus de la réforme constitutionnelle de 1958 sont quasiment épuisées, tout comme celles de l’Union européenne, que même le Brexit ne parvient pas à sortir de sa torpeur. Nous n’en avons pas fini de tripoter les taux de CSG au lieu de construire l’avenir.  

Quelles seront les personnes concernées par ce geste fiscal et quelle en sera l'ampleur à titre individuel ? 

Philippe Crevel :Il faut rappeler que tous les retraités bénéficiant des minimas sociaux n’acquittent pas la CSG tout comme ceux dont les ressources de l'avant-dernière année sont inférieures à un certain seuil. Pour 2018 (revenus de 2016), le seuil retenu s'élève à 11 018euros pour une personne seule, 16 902 euros pour un couple, plus 2 942 euros par demi-part supplémentaire. Le taux de 3,8 % concerne tous les retraités dont les revenus sont supérieurs à ces seuils d'exonération, mais inférieurs à 14 404 euros pour une personne seule, 22 095 euros pour un couple, plus 3 845 euros par demi-part supplémentaire.
Les personnes concernées sont celles qui se situent autour des seuils de passage au taux de 8,3 % soit 14 404 euros pour une personne seule, et 22 051 euros pour un couple et dont les revenus fluctuent. Ils devraient donc rester au taux de 3,8 %. Cela devrait permettre un gain entre 400 et 1200 euros par ménage sur l’année. 300 000 foyers devraient être concernés.

Entre gestes fiscaux et ralentissement de la croissance, quel est aujourd’hui l'écart entre les ambitions de réduction des déficits et la réalité ?

Philippe Crevel :Emmanuel Macron entend gagner les élections européennes ou du moins pas trop les perdre. Or, le retraité est un électeur qui a encore la méchante manie de voter. Autrefois, il ne fallait pas désespérer Billancourt ; aujourd’hui, c’est plutôt les seniors qu’il ne faut pas trop brusquer. En 2017, les retraités avaient massivement voté pour le Président de la République. Depuis, ils s’en sont fortement détourné en raison de la CSG, du gel partiel des pensions et du style de l’occupant de l’Elysée.
La multiplication des petits cadeaux électoraux ne facilite pas le rééquilibrage des finances publics mis à mal par le ralentissement de la croissance et de la faible appétence du pouvoir à trancher dans les dépenses. Le plan de redressement des comptes publics risque d’être un souvenir car le calendrier électoral ne se prête guère à l’orthodoxie. Après les européennes, il y aura les municipales, les départementales et les régionales. La République en Marche, peu implantée sur le terrain, devra se faire sa place au sein des collectivités locales. Pour amadouer des élus locaux qui sont souvent des retraités pour le moment revêche, il faudra sans nul doute une légère inflexion de la politique budgétaire. Déjà 2019 sera budgétairement difficile. En ce qui concerne 2020 et 2021, sauf accélération de la croissance, le gouvernement sera confronté comme bien des précédents à la quadrature du cercle. 

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