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Coronavirus : les Etats américains se révoltent contre Washington et Donald Trump
©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Sécession bis

Donald Trump s'est récemment emporté pour réaffirmer son autorité face aux critiques et aux choix de certains gouverneurs. La gestion de la crise et la communication du gouverneur de Californie, Gavin Newsom, et du gouverneur de l'Etat de New York, Andrew Cuomo, sont ainsi saluées par les citoyens américains.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico.fr : La Californie a déclaré la semaine dernière son indépendance vis-à-vis du gouvernement américain dans la lutte contre le Covid 19. Assiste-t-on aux prémices d'une nouvelle guerre civile entre partisans du Trumpisme et la nouvelle génération politique libérale américaine ? Que signifie la notion d'"État-nation" citée par le gouverneur de Californie Gavin Newsom ?

Christophe Bouillaud : Il faut d’abord y voir une illustration de l’extraordinaire division de la politique américaine entre Républicains et Démocrates. La présence de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis n’a fait qu’exaspérer une tendance bien visible depuis deux ou trois décennies à l’éloignement entre les deux grands partis historiques et leurs partisans respectifs. Il n’y a donc là rien de bien nouveau : on pourrait remonter au moins à la tentative de destitution de Bill Clinton par les Républicains dans les années 1990 pour témoigner de cette radicalisation des esprits de part et d’autre. 

Après, il est bien connu que les différents Etats des Etats-Unis ont des couleurs politiques plus ou moins marquées. Actuellement, la Californie est majoritairement démocrate. Son gouverneur, Gavin Newson, en utilisant cette expression d’Etat-Nation, a voulu réaffirmer le droit de la Californie à tout faire de son côté pour lutter contre la pandémie et ses conséquences sans attendre que « Washington », aux mains du républicain extrémiste Donald Trump, ne se décide à faire enfin le nécessaire. Je ne crois pas qu’il s’agisse des prémices d’un mouvement indépendantiste de la Californie vis-à-vis des Etats-Unis, qui existe certes mais reste groupusculaire à ma connaissance, mais simplement l’affirmation que les solutions peuvent être trouvées d’abord par une mobilisation locale efficace de l’Etat californien et de la société civile californienne. Il est vrai que cette société civile californienne comprend le gros des acteurs importants de l’Internet… Je ferai remarquer qu’à l’autre bout du pays, un autre gouverneur démocrate, celui de New York, Andrew Cuomo, s’est attribué lui aussi le leadership dans la lutte dans son Etat contre la pandémie et ses conséquences. Il y a là une logique à la fois spatiale et politique : la Californie et New York sont les deux grandes portes des Etats-Unis en terme d’échanges économiques et de circulation des personnes, respectivement sur l’Asie et sur l’Europe, deux  régions du pays donc très ouvertes sur le monde extérieur, donc particulièrement touchées par la pandémie, et ce sont actuellement deux bastions démocrates, alors que D. Trump lui reste plutôt l’élu de tout le centre et le sud  des Etats-Unis beaucoup moins ouvert sur le monde. 

Jean-Eric Branaa : Vu de France, on peut avoir l’impression que la Californie est en train d’essayer de faire du séparatisme avec les États-Unis. Un sentiment qui n’est pas si éloigné de la réalité car c’est une notion qui revient régulièrement en réalité dans les questions californienne. Il y a même eu un mouvement en 2018 visant à faire sécession avec les États-Unis pour créer trois états au sein de la Californie ou tout simplement sortir du pays. La Californie a les moyens de le faire: si elle venait à faire sécession, son PIB lui conférerait le rang de sixième puissance mondiale, juste devant la France. Seulement le gouverneur actuel, Gavin Newsom, s’était opposé à l’époque à ce mouvement. On n’imagine mal qu’il ait fait demi-tour deux ans après… 

En réalité, il s’agit d’autre chose. Gavin Newsom est dit politiquement « très progressiste », libéral, assez proche de Bernie Sanders. L’opposition à Donald Trump a été particulièrement forte en Californie depuis le premier jour du mandat présidentiel. Dès le 9 novembre 2016, « La Résistance », c’était le nom du mouvement à ce moment-là, né en Californie, a été d’une force inouïe. De violents échanges ont eu lieu, non seulement entre Gavin Newsom et Donald Trump mais aussi avec des sénateurs et des maires californiens. De fait, il s’est développé une conscience politique forte dans cet État. C’est la raison pour laquelle Newsom utilise le terme d’ « État-nation », qui ne se reconnaît pas symboliquement dans l’union dans 50 États, sans pour autant la remettre en cause. La Californie s’est par exemple déclarée très tôt « État sanctuaire »: les personnes issues de l’immigration illégale ne sont pas dénoncées aux autorités pour être renvoyées dans leur pays d’origine. Trump avait réagit en affirmant qu’il ne donnerait plus de fonds fédéraux à la Californie, ce qu’il n’a encore jamais fait. 

À la lumière de cette crise sanitaire majeure, la dynamique de conflit entre la Californie et l’administration Trump est restée la même. Au moment où Trump minimisait le danger, Newsom en parlait avec gravité, ce qui l’a conduit à être le premier gouverneur de l’ensemble de l’union américaine à prononcer le confinement, dès le 19 mars.  

Quels pourraient être les conséquences d'une telle décision dans la lutte des États-Unis contre le Covid 19 d'abord, puis sur le plan politique ?

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, la mobilisation locale des autorités des différents Etats et des sociétés civiles de ces dernières ne peut sans doute pas nuire à la capacité des Etats-Unis à contrevenir la pandémie et ses effets. Il est d’ailleurs  probable que l’ensemble des Etats finissent par adopter leur propre politique de lutte contre la pandémie, qui viendra compléter celle des autorités fédérales. Par contre, on voit déjà que cette politique de lutte localisée peut avoir une tendance à limiter la liberté de circulation entre Etats, et il est possible qu’elle finisse par compliquer la vie économique du pays. 

Ensuite, une fois les premiers effets de la pandémie passée, chaque Etat sera jugé sur pièces par les citoyens. Certes l’extraordinaire prégnance du biais partisan dans l’estimation de la situation de leur pays par les électeurs américains peut leur masquer certaines réalités désagréables, mais, au total, le camp, démocrate ou républicain, qui aura le mieux amorti les conséquences de la pandémie, en profitera sans doute. Pour l’instant, on entend surtout parler de la gestion calamiteuse de la part de Trump et du tocsin sonné dans leurs paroisses par les gouverneurs démocrates, mais qui sait on verra peut-être aussi des gouverneurs républicains se révéler de bons gestionnaires de la pandémie et de ses conséquences. 

Cela va évidemment peser sur la présidentielle et les autres élections prévues au mois de novembre, même si personne ne peut savoir quel sera l’état des Etats-Unis et du monde à ce moment-là. 

Jean-Eric Branaa : Au 19 mars, le positionnement de Newsom est toujours dans un affrontement très fort avec le trumpisme. Aujourd’hui, il est plus difficile d’en parler ainsi. La collaboration entre la Californie et  l’État Fédéral se fait malgré les prises de parole politique. Cela s’illustre simplement: l’envoi d’un bateau de l’armée dans la baie de Californie n’est pas rien. Des soldats de la Garde Nationale sont présents dans l’État de Californie pour aider les populations. La collaboration est effective et réelle sur le terrain.  En revanche, en ce qui concerne l’après-crise, il faudrait demander des comptes sur la gestion de la crise sanitaire. Les Républicains de Californie ont du mal à cacher leur satisfaction  devant la gestion de la pandémie par Newsom: sur 20 000 cas constatés, seuls 400 morts sont à signaler. Si on compare ces chiffres à ceux de l’État de New-York, on ne peut que constater que les californiens sont en train d’échapper au pire, grâce aux mesures rapides de confinement prises par le gouverneur. C’est en tout cas le constat de l’opinion. Mais le penseront-ils encore dans deux mois ? Le pic n’est peut-être pas encore arrivé en Californie, ce qui rend très incertaine toute projection politique. Une incertitude à laquelle s’ajoute celle du ressenti de sortie. Une étude produite par les économistes d’UCLA annonce un chômage à 16,2% pour la Californie seule, soit  2 à 3 millions de chômeurs supplémentaires, associé une crise économique d’au moins deux ans. Dans cette situation, à qui la population va-t-elle en vouloir ? Autant les citoyens en temps de crise apparaissent généralement satisfaits de leur premier interlocuteur, mais malheureusement c’est à lui aussi qu’on en voudra après la crise, en lui reprochant d’avoir tué l’économie en confinant trop vite. Une bonne gestion de la crise n’est pas signe de succès électoral. Entre les actes et le ressenti, c’est le ressenti des peuples qui l’emportera au sortir de la crise. 

À l'heure de la sortie de crise, les États-Unis présentent-ils un visage plus individualiste que les Européens dans la gestion politique de la pandémie?

Christophe Bouillaud : En fait, ce qui est frappant, si l’on compare les Etats-Unis et l’Union européenne, c’est que, face à la crise, on retrouve certes les mêmes tendances centrifuges du chacun pour soi ou plus charitablement du self-help. Chaque Etat fédéré des Etats-Unis ou chaque pays membre de l’Union européenne tend ainsi à chercher sa propre voie de salut face à la pandémie. C’est le résultat d’une triple logique : d’une part, celle simplement de la diffusion géographique de la pandémie et du temps à disposition ou non pour se préparer, et cela vaut dans ces deux grands ensemble continentaux que sont les Etats-Unis et l’Union européenne, comme cela vaut pour la Chine ; d’autre part, celle de l’existence préalable d’autorités politiques responsables devant leurs électeurs et bien identifiées par eux ; enfin, des capacités de réaction de chaque territoire face à un tel défi, qui dépendent de multiples facteurs, dont le principal à court terme semble tout de même être la qualité du système de santé et sa capacité de grossir vite sans trop perdre en qualité. On pourrait en effet faire remarquer que cette même différentiation territoriale de la réponse à la pandémie et les tensions qui en résultent se retrouve aussi en Italie avec les Régions, en Allemagne avec les Lander,  ou en Espagne avec les Autonomies. 

La grande différence entre les Etats-Unis et l’Union européenne tient par contre à l’existence aux Etats-Unis d’institutions fédérales complètes : un exécutif bien identifié et très puissant, la Présidence, un législatif, tout aussi bien identifié et tout aussi puissant, le Congrès, ayant le pouvoir de voter un budget important et de s’endetter, un pouvoir judiciaire, la Cour Suprême, contrôlant le tout, et enfin une Réserve Fédérale aguerrie par un siècle de gestion de crise, pour ne pas parler de l’armée des Etats-Unis, de tous les autres services publics fédéraux. Dans l’Union européenne, nous n’avons de vraiment fédéral et de vraiment prêt à agir à l’instant que la Banque centrale européenne. Heureusement, après une hésitation initiale, elle a tout de même réagi vite et fort. Par contre, comme on l'a vu ces derniers jours, se mettre d’accord entre dirigeants européens sur un package budgétaire anti-crise ressemble aux travaux de Sisyphe, et ni la Commission ni le Parlement européen n’ont pas de pouvoir budgétaire propre. Du coup, en pleine crise,  il faut en effet à la fois définir des objectifs, des moyens, et éventuellement une institution ad hoc. Aux Etats-Unis, c’est plus simple : le Congrès est habilité par la Constitution à voter toutes les mesures et toutes les dépenses que sa majorité souhaite – sous réserve bien sûr de respecter la Constitution. 

D’un point de vue européiste, on peut bien sûr regretter cette situation, et s’inquiéter de ces discussions de marchands de tapis, bien loin de l’idéal européen proclamé ; d’un point de vue eurosceptique, on y verra la confirmation que l’Union européenne ne sert vraiment à rien, voire fait preuve de sa nocivité, puisque ce sont les Etats membres et éventuellement les entités fédérées de ces Etats (Régions italiennes, Lander allemands, Autonomies espagnoles) qui font tout ou partie du travail. De fait, la lutte au jour le jour contre une pandémie repose beaucoup, presque par définition, sur des situations localisées : les contacts entre les humains susceptibles de donner lieu à transmission d’un agent pathogène sont avant tout dans l’espace du quotidien.  

Le cas français de ce point de vue-là est presque atypique : nous sommes du point de vue géographique un grand pays avec plus de 65 millions d’habitants, nous avons des régions, des départements, des intercommunalité, des communes, et pourtant le leadership dans l’espace médiatique en matière de réponse à la pandémie  – si l’on peut user de ce terme… - repose exclusivement sur l’exécutif national. Pour l’instant, aucun maire, aucun président de département, président de région, malgré des efforts de ci de là,  n’a réussi vraiment à casser ce monopole de « Paris » et de la monarchie présidentielle. La suite de la crise verra peut-être aussi émerger chez nous des pouvoirs locaux bien décidés à tout faire pour sauver leurs concitoyens. Il est vrai que chez nous le Ministre de l’Intérieur en est encore à attaquer en justice les maires qui voudraient rendre obligatoire le port de masque dans leur commune… 

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