Coronavirus : et si l’immunité de groupe était plus proche que ce qu’on croyait ? <!-- --> | Atlantico.fr
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masques population coronavirus covid-19
masques population coronavirus covid-19
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Atout contre le virus

L'immunité de groupe représente un atout dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Est-elle la même au sein des différentes catégories de population ? L'immunité de groupe constitue-t-elle réellement la meilleure solution face à la pandémie de Covid-19 ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : L'immunité de groupe apparaît-elle comme une solution à notre portée dans la lutte contre le coronavirus ?

Stéphane Gayet : Notre système immunitaire est d’abord et avant tout conçu pour lutter contre les agents infectieux pathogènes. Depuis que l’incidence (nombre annuel de nouveaux cas) des cancers est devenue importante – en particulier à la faveur du vieillissement de la population – et que leur étiopathogénie (leurs causes et la façon dont leurs causes agissent pour favoriser leur développement) est de mieux en mieux connue, on sait que le système immunitaire a également un rôle majeur dans la lutte contre le cancer qui est lui aussi – comme les agents infectieux – un élément (devenu) étranger et agressif.

Dans les régions tempérées du globe, les agents infectieux pathogènes sont essentiellement les bactéries et les virus. Dans les régions chaudes, les parasites (unicellulaires : protozoaires ; pluricellulaires : vers, larves…) occupent aussi une place importante dans l’éventail des agents pathogènes de l’être humain.

Les bactéries pathogènes ne donnent plus beaucoup de grandes épidémies, car nous savons lutter efficacement contre elles grâce à la prévention sanitaire, aux antibiotiques surtout et pour certaines grâce à la vaccination (pneumocoque, méningocoque, bacille typhoïdique, vibrion du choléra, bacille diphtérique…). L’arme essentielle dont nous disposons vis-à-vis des bactéries est les antibiotiques et – en dépit des résistances – les situations d’échec complet en antibiothérapie sont très rares (y compris en milieu hospitalier). Notre système immunitaire est souvent pris en défaut avec les infections bactériennes.

Avec les virus pathogènes, c’est bien différent. Nous n’avons que très peu de médicaments curatifs efficaces ; les antiviraux n’ont pas grand-chose à voir en efficacité avec celle des antibiotiques sur les bactéries : si les antibiotiques n’étaient pas plus efficaces sur la bactérie d’une septicémie que ne l’est le remdésivir sur le SARS-CoV-2, on assisterait tous les jours à beaucoup de décès par septicémie. On peut également prendre l’exemple de l’infection à VIH-1 : il faut trois antiviraux pour ne faire que stabiliser l’infection, alors que la plupart des septicémies (bactéries) sont rapidement guéries par un seul antibiotique.

Ainsi, c’est aujourd’hui avec les virus pathogènes que notre système immunitaire est le plus attendu. On sait pertinemment que l’immunité naturelle ou innéec’est-à-dire celle qui existe alors que notre corps n’a encore jamais rencontré le virus en question – est souvent insuffisante, alors que l’immunité acquise ou adaptativec’est-à-dire celle qui s’est constituée après un premier contact avec ledit virus – est en règle générale toujours efficace ou presque.

Entre ces deux types d’immunité, on pourrait parler d’immunité « semi-adaptative » : c’est une immunité acquise après un ou plusieurs contacts avec un ou différents virus ayant des antigènes en commun avec le virus en question ; on parle plus couramment d’immunité « croisée ». C’est cette immunité croisée que l’on invoque quand on cherche à expliquer pourquoi les sujets jeunes (enfants, adolescents, adultes de moins de 30 ans) semblent protégés contre le SARS-CoV-2 ; cette immunité croisée serait consécutive à des infections antérieures par des coronavirus bénins (rhumes surtout, ainsi que parfois des gastroentérites aiguës virales).

Je pense que l’on a compris que l’on ne faisait pas la guerre à un virus et que l’on ne pouvait encore moins l’éradiquer. Ces paroles politiques illustrent la difficulté de communiquer avec pertinence et clarté sur des questions complexes.

Les masques sont une barrière aseptique assez efficace, mais les êtres humains ne peuvent pas vivre dans l’asepsie : ce n’est ni possible ni souhaitable. Les virus sont présents chez tous les êtres vivants ou presque ; l’Homme n’échappe pas à cette règle du monde vivant. Nous devons donc trouver un état d’équilibre entre l’espèce humaine et le SARS-CoV-2, je ne vois pas d’autre issue possible (à moins bien sûr d’évoquer la fin de l’humanité…).

Il est temps de cesser de brandir la menace d’une soi-disant « deuxième vague » et de réfléchir sérieusement et honnêtement à ce qu’il y a lieu de faire pour nous protéger de façon optimale. C’est justement, pour répondre à la question posée, sur l’immunité de groupe ou collective que se fondent nos espoirs. C’est grâce à elle que cet état d’équilibre pourra être atteint. Le monde est injuste et même parfois inique : certaines personnes sont plus sensibles que d’autres au pouvoir pathogène du SARS-CoV-2 ; beaucoup en sont déjà mortes et d’autres en mourront encore ; il est impossible de protéger et de sauver tout le monde, penser le contraire serait de l’angélisme ; la mission du système de santé est de protéger efficacement un maximum de personnes et au coût le plus raisonnable possible (vu le coût du remdésivir, on est déjà largement en dépassement avec ce produit, sans parler de sa médiocre efficacité et de sa toxicité : comprenne qui pourra).

Si l’on poursuit ce raisonnement, on en arrive logiquement à la notion d’immunité collective ou de groupe, comme la solution réaliste, acceptable et durable pour surmonter la pandémie, à commencer par l’épidémie en France. Le verbe « surmonter » me semble préférable au verbe « vaincre » pour les raisons que j’ai indiquées.

Or, cette immunité collective ou de groupe ne peut – dans l’état actuel de nos connaissances – être obtenue que par deux moyens : l’infection et la vaccination. Notons que lorsque la vaccination est effectuée par le moyen d’une souche virale dite atténuée (souche de virus « vivante »), c’est également une infection, mais non naturelle.

Bien sûr, cela va de soi, mais mérite d’être rappelé, il est dans l’intérêt de chacun de nous de renforcer son immunité naturelle (vitamines A, D et E, sommeil, alimentation, exercice physique : l’hygiène de vie, en somme…).

Apoorva Mandavilli est une journaliste d’investigation américaine qui s’est spécialisée dans les sciences médicales. Elle a naturellement une formation universitaire. Elle signe un article dans le New York Times sur l’immunité de groupe ou collective dans la CoVid-19. S’appuyant sur plusieurs travaux scientifiques, son article est une longue discussion sur cette immunité collective et ses variations. En substance, elle affirme que l’extinction de la pandémie CoVid-19 passera par l’acquisition d’une immunité collective suffisante, ce dont plus personne ne peut raisonnablement douter à l’heure actuelle. Elle remet en question la valeur consensuelle de « 70 % de personnes immunisées », en évoquant la possibilité d’une immunité collective efficace à « un niveau inférieur à 50 % », mais sans rien affirmer.

Pour répondre à la question posée : oui, l’immunité collective ou de groupe apparaît comme une solution à notre portée pour surmonter la pandémie CoVid-19.

L'immunité de groupe est-elle la même au sein de toutes les catégories de population ?

Apoorva Mandavilli dispose bien entendu pour son analyse, de nombreux résultats de dosages d’anticorps. Il faut préciser qu’il existe deux approches pour le diagnostic biologique de l’infection par le SARS-CoV-2 : primo, la détection de l’ARN viral par méthode PCR grâce à un écouvillonnage (désagréable) de l’arrière-gorge ; secundo, le dosage des anticorps (immunoglobulines) spécifiques anti-SARS-CoV-2 dans le sang.

Manifestement, la ville de New York s’est donné d’importants moyens de diagnostic et elle dispose à présent d’une véritable cartographie quartier par quartier de l’immunité anti-SARS-CoV-2.

Schématiquement, dans les quartiers les plus pauvres, où les logements sont petits et sous-équipés et les habitants concentrés et faiblement instruits, l’immunité collective spécifique se situe à un niveau très élevé, jusqu’à 80 %. À l’inverse et sans surprise, dans les quartiers les plus riches, où les logements sont spacieux et bien équipés et les habitants dispersés et bien instruits, l’immunité collective spécifique est à un niveau très faible, inférieur à 20 %. Nous avons la démonstration – mais était-ce nécessaire ? – que les conditions d’une circulation intense du virus induisent une immunisation également intense ; cependant, on ne parle pas bien sûr de toutes les personnes qui sont mortes de la CoVid-19 dans les quartiers défavorisés.

L’intérêt de cette analyse est de mettre l’accent sur les variations de l’immunité acquise anti-SARS-CoV-2 selon le niveau socio-économique des quartiers. On pouvait s’y attendre, mais les différences sont vraiment importantes et c’est un résultat tout à fait frappant.

Est-elle la meilleure solution dans la lutte contre le coronavirus ?

On ne vaincra pas le virus pas plus que l’on ne l’éradiquera : il faut se faire à cette idée. Mais on parviendra à surmonter la pandémie et en l’occurrence l’épidémie en France.

Ce n’est certainement pas grâce au remdésivir…, mais par le moyen d’une prévention collective raisonnée et rationnelle (c’est-à-dire certainement pas le port d’un masque pour les activités physiques en plein air, comble de l’aberration…). Le port d’un masque à l’intérieur des locaux et en cas de proximité a permis, permet et permettra de ralentir la circulation du virus. Grâce à une circulation active, mais ralentie, la population poursuit son immunisation collectivement et ce double processus – masques portés raisonnablement et rationnellement ; circulation active, mais ralentie du virus – devrait conduire en plusieurs mois à la lente extinction de l’épidémie. Donc, on peut affirmer que l’immunité collective est en marche (phrase politiquement correcte).

Maintenant, quelle sera la place de la vaccination dans ce processus d’immunité collective ? Étant donné la compétition mondiale dans cette course aux vaccins et les enjeux économiques et financiers que les vaccins anti-SARS-CoV-2 constituent, il est bien délicat de se prononcer sur ce point, d’autant plus que nous sommes en France où le courant antivaccin est nombreux et actif.

La vaccination anti-CoVid-19 sera-t-elle obligatoire ? Nous en reparlerons en temps utile.

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