La Corée du Nord face à une nouvelle famine<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Deux jeunes enfants, qui souffrent de malnutrition, se reposent à l'hôpital du comté Pongsan environ 100km au sud de la capitale nord-coréenne de Pyongyang. Photo prise en 1997.
Deux jeunes enfants, qui souffrent de malnutrition, se reposent à l'hôpital du comté Pongsan environ 100km au sud de la capitale nord-coréenne de Pyongyang. Photo prise en 1997.
©

Cerveaux lavés, estomacs vidés

L'union européenne vient d'annoncer le déblocage de 10 millions d'euros pour aider la Corée du Nord à faire face à une imminente crise alimentaire. D'après des experts qui se sont rendus sur place la situation est critique, et le régime n'arrive même plus à nourrir l'armée.

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot est historien et directeur de l'Institut d'histoire sociale

Voir la bio »

Atlantico : Comment l’aide humanitaire de 10 millions d’euros que vient de débloquer la communauté européenne afin d’enrayer la crise alimentaire qui risque de sévir en Corée du Nord sera utilisée sur le terrain et que pensez-vous de cette aide ?

Pierre Rigoulot : Cette aide n’enrayera rien du tout. La Corée du Nord est en situation critique sur le plan alimentaire de manière chronique parce qu’elle s’entête à suivre  un modèle communiste d’étatisation complète qui a montré depuis longtemps son efficacité. Je ne parle pas de planification. Il n’y a plus rien à planifier. L’économie nord-coréenne est déliquescente, les infrastructures par terre et l’agriculture, malgré les cartes postales de paysans moissonnant en chantant, est incapable de nourrir correctement la population.

Comment l’aide européenne sera-t-elle utilisée ? On n’en sait rien. Elle va passer par le canal du Programme alimentaire mondial. Or depuis des années, sinon des décennies, les bureaucrates de cet organisme justifient leur existence et leur action en Corée du Nord en parlant de « contrôle » sur l’aide. C’est une plaisanterie sinistre. La visite de quelques entrepôts ou la présence à quelques distributions de changent pas grand chose au caractère opaque du système nord-coréen.

Sans doute a-t-on exagéré l’idée de détournements au profit de l’armée. Il n’y a pas que l’armée qui détourne ! Et surtout le problème est de savoir si ces dons vont à ceux qui en ont le plus besoin. L’impossibilité de s’assurer de l’application de ce principe humanitaire de base a conduit les grandes ONG françaises comme MSF, Médecins du monde ou Action contre la faim à abandonner leurs efforts en direction de la Corée du Nord. Les fonctionnaires du PAM n’ont pas plus de garanties qu’elles.

Cela dit, une telle aide, pour minime qu’elle soit, va aider quand même des gens à mieux se nourrir. Kim Jong Il s’en moque mais la pitié, le respect de toute vie humaine, l’idée d’une solidarité universelle, ça existe en Europe. On ne peut empêcher ces dons, même si chacun sait qu’ils permettent aussi à un régime qui tient sa population en otage, de faire de cette manière des économie de devises…

Le fait que Kim-Jong-il d’habitude hostile à l’aide internationale, ait appelé celle-ci à l’aider pour faire face à une probable famine, n’est-il pas le symbole que la Corée du Nord est au bord du gouffre ?

Kim Jong Il n’est pas hostile à l’aide en principe. Il n’a pas de principe. Ca dépend de la conjoncture. Il en a déjà accepté beaucoup. Mais là, il joue assez fin en associant, lui aussi, tensions, fermeture politique d’une part et absence d’aide d’autre part. Les Occidentaux et leurs alliés européens ou asiatiques associent reprise des discussions sur le nucléaire à la reprise, ensuite, de l’aide. Lui les prend à leur propre jeu : aidez-moi d’abord. On discutera ensuite ! Quant à savoir si l’état de la Corée du Nord est « critique »…c’est difficile. Il est mauvais, la disette frappe différentes zones. C’est sûr. Il est sûr aussi que la Corée du Nord montre ses plaies pour faire financer ses acquisitions de céréales par la « communauté internationale ». Cela, ce n’est malheureusement pas nouveau…

Comment pouvons-nous être sûrs que cette aide sera utilisée à bon escient et ne sera pas détournée par le régime de Kim-Jong-il ?

On ne peut en être sûr, comme je vous l’ai dit. En Corée du Nord, ce sont les fonctionnaires de l’Etat qui mènent le bal. On n’est pas dans un pays à l’administration déliquescente mais dans le cadre d’une hypertrophie étatique…

La position des américains qui utilisent l’aide humanitaire comme carotte pour négocier avec les nord-coréens sur le dossier du nucléaire ne vous choque-t-elle pas ?

Il n’y a pas que les Américains qui tentent d’amener les Nord-Coréens à la table de négociations en interrompant leur aide ! L’aide et la main tendue, la politique pratiquée précédemment, n’a rien donné. Progressivement, on en est donc venu à une politique de pression et de contrôles. Toute une flottille occidentale tente de contrôler le commerce nord-coréen : ventes d’armes, de drogues, de fausse monnaie, achats de produits de luxe pour la minorité régnante. C’est une politique pratiquée par le Japon et la Corée du Sud, par les Etats-Unis et les pays européens.  Et cette politique tente, par une politique plus ferme, ce qu’elle n’a pas réussi à obtenir par une politique plus souple. Je dois dire que le résultat n’est guère brillant : les Coréens du Nord se sont tournés vers la Chine dont ils sont devenus une sorte de protectorat. Peut-être qu’à long terme cette situation nouvelle sera prometteuse. Après tout, les Chinois « poussent » en faveur d’une stabilité de la péninsule coréenne. Ils développent de grands projets économiques au nord de la Corée du Nord. Il y peut y avoir par ce biais des retombées positives, en particulier  sur l’économie voire la politique nord-coréennes.

La dictature de Pyongyang a, quelques mois auparavant, acheté à la Chine des équipements anti-émeute par peur de révoltions à la manière du printemps arabe. Pensez-vous qu’une telle situation puisse se produire en Corée du Nord ?

Si l’information est avérée, les dirigeants nord-Coréens pensent sans doute aux incidents qui ont poussé des citoyens nord-coréens à s’opposer, parfois violemment, à la fermeture de petits marchés jusque-là tolérés par le régime mais dont il ne veut pas entendre parler désormais car c’est un nid de développement de l’ »esprit capitaliste » ! Si un vrai soulèvement avait lieu, on ne se contenterait pas du harnachement anti-émeute ! Ce serait plus violent encore que ce que font les dirigeants syriens…Ce ne sont pas les remords qui étoufferaient Kim Jong Il !

La famine ne serait-elle donc pas orchestrée par la dictature afin d’affaiblir la population et éviter qu’elle ne se révolte ?

La famine n’est pas orchestrée par la dictature. Cette idée d’orchestration signifierait qu’elle la provoquerait, qu’elle serait maîtresse de la situation agricole. Elle ne l’est pas. Elle subit. Si elle veut quelque chose, c’est s’en tenir à ce qu’elle a toujours fait. Avec en conséquence une situation catastrophique pour la population. Mais qu’importe la vie de la population, pourvu que le djouché (l’idéologie nord-coréenne) soit exalté !

Le Figaro s’est procuré des vidéos clandestines provenant de Corée du Nord montrant des soldats affamés. Il semblerait que le régime n’arrive plus à nourrir l’armée. Pensez-vous que celle-ci peut se rebeller et désapprouver Kim-Jong-Il ?

Il est sûr que le troufion nord-coréen ne s’amuse pas tous les jours. Il est sûr aussi qu’une rébellion de l’armée est un des scénarios que les experts évoquent de temps à autre. Mais ils parlent plus de révolution de palais venue de cadres militaires supérieurs qui ne supporteraient plus l’affaiblissement du pays ni le monopole du pouvoir par une famille dirigée par un satrape…Mais les contrôles sont très serrés. Les opposants doivent  garder le silence, comme l’a fait il y a quelques années Hwang Yang Jop, l’idéologue du régime. Après des décennies de silence, et même d’applaudissements au régime, il s’est enfui. C’était sans doute la seule solution pour lui. Mais une solution qui ne favorisait pas une action collective…

Cela dit, l’Histoire sort régulièrement de sa besace des solutions auxquelles nous n’avions pas pensé, même si on explique après, savamment, qu’elles étaient logiques, normales et quasi-prévisibles ! Je garde espoir dans ce mixte de différents facteurs : les pressions occidentales, plus la pénétration parmi la population nord-coréenne des informations et des marchandises venues de l’extérieur, plus les grands projets économiques chinois…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !