COP 27, droits de l’homme et lutte contre l’islamisme : où va l’Egypte d’Al-Sissi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi prononce un discours lors du sommet de la COP27 sur le climat à Charm el-Cheikh, le 7 novembre 2022.
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi prononce un discours lors du sommet de la COP27 sur le climat à Charm el-Cheikh, le 7 novembre 2022.
© JOSEPH EID / AFP

Diplomatie

Un entretien d'Alexandre Del Valle avec le député égyptien Abdelrahim Ali, soutien du président égyptien.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Abdelrahim Ali

Abdelrahim Ali est écrivain, député et patron de presse égyptien.

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Suite à une campagne médiatique lancée durant la COP 27 contre l'Egypte du maréchal al-Sissi, accusé par des ONG, le Parlement européen et les Frères musulmans d'avoir fait incarcérer des centaines d'opposants politique et de violer les droits de l'Homme, le député égyptien Abdelrahim Ali, par ailleurs écrivain islamologue, patron de presse, et président du Centre d'Etudes sur le Moyen Orient (CEMO), basé à Paris, apporte un autre son de cloche. L'entretien qu'il nous a accordé sur la COP 27, la démocratie en Egypte et l'Occident, qui serait historiquement "responsable des dommages climatiques" et aurait "relayé" la campagne contre son pays, lancée selon lui par les Frères musulmans, lesquels ont pignon sur rue en Grande-Bretagne, donne un point de vue égyptien "loyaliste", certes discutable comme tout avis, mais qui a été peu présenté ces derniers temps dans la presse occidentale. Il mérite par conséquent d'être exposé, quoi qu'on en pense.

Abdelrahim Ali estime, premièrement que les pays du Nord industrialisés, historiquement responsables de la pollution planétaire et de la "catastrophe climatique" qui s'annonce, doivent "réparer" les "dommages" qu'ils ont fait subir aux pays émergents aujourd'hui les plus impactés, un point de vue proche de celui des Nations unies. Il répond ensuite aux détracteurs de son pays qui serait accusé, selon lui, à tort, sous couvert de la défense (légitime) des "prisonniers politiques", de violer les règles de la démocratie et les droits de l'Homme. Il affirme que les Frères musulmans ont tenté d'utiliser le contexte très médiatisé de la COP 27 pour lancer une nouvelle "révolution" subversive, et donc de "ternir l'image" de son pays, qui aurait pourtant fait ces dernières années des progrès en matière de droits humains et de démocratie pluraliste. Puis il reproche aux pays occidentaux, Grande-Bretagne en tête, d'avoir relayé la propagande anti-gouvernementale des Frères musulmans contre son pays alors que celui-ci doit lutter depuis des années non seulement contre l'islamisme politique des Frères musulmans, qui s'abrite souvent derrière les défenseurs des droits humains, mais aussi contre le terrorisme jihadiste, qui a fait des milliers de morts, tant dans le Sinaï que dans la capitale égyptienne. Il exprime enfin un certain pessimisme quant à la capacité des pays occidentaux à répondre au double défi de "réparer" leurs dommages climatiques historiques" et d'enrayer le réchauffement planétaire, dont l'Egypte et toute l'Afrique paient un tribut bien plus lourd que les pays industrialisés du Nord historiquement pollueurs. Une vision rejetée par les pays occidentaux durant la COP, mais qui permet de comprendre le point de vue de nombre pays du monde "multipolaire", et pas que "du Sud".. d'où le point de vue également "multipolariste" de Ali sur la guerre russo-ukrainienne.

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Alexandre del Valle : Monsieur le député, vous avez participé à la COP 27 qui s’est tenue à la station balnéaire paradisiaque de Charm el Sheikh. Quel est votre sentiment général sur cet événement mondial ?

Abdelrahim Ali : Cette année, l’Egypte a été en effet le pays hôte de la 27èmesession de négociations climatiques sur les pertes et préjudices causés par le changement climatique. Bien sûr, c’est un succès d’organiser cet événement mondial, étant donnée la période de huit mois dont disposait l'Égypte pour préparer la conférence. C’est une grande réussite, surtout si l'on tient compte des appels vains des Frères-musulmans à un soulèvement et à une révolution le 11 novembre dernier et de l’échec de leurs partisans à semer la violence et le chaos dans les rues durant l'évènement...

ADV: La COP27 s'est déroulée cette année dans un contexte climatique d’extrême gravité, particulièrement la crise énergétique et alimentaire mondiale liée à la guerre en Ukraine. En outre, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterrez, et les experts scientifiques ont averti que les gouvernements ne faisaient pas assez pour lutter contre les émissions de carbone et protéger l'avenir de notre planète. Qu’en pensez-vous ?Partagez-vous ce pessimisme ?

A.A: Je ne suis pas le seul à partager ce pessimisme, car tous ceux qui ont assisté à la conférence ont exprimé leurs critiques face à la réticence des puissances internationales à indemniser les pays pauvres qui ont été touchés par ces émissions causées par les pays riches. Cette attitude des grandes puissances qui ne prennent pas en compte leur responsabilité dans cette situation et donc ne changent rien, accroît la gravité de l’avenir climatique.

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ADV: Vous faites allusion au fait que le changement climatique cause des dommages coûteux aux pays (événements météorologiques extrêmes; désertification, l'élévation du niveau de la mer), or étant donné que cela est dû à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, principalement causée par des pays industrialisés riches, ceux en développement - les plus touchés - soutiennent qu'ils devraient recevoir une "compensation". Vous semblez partager cette vision "réparatrice" du Nord envers le Sud ?

A.A: Evidemment, je suis d'accord et je soutiens cette demande comme la plupart de ceux qui ont assisté à la COP 27. Ceux qui ont causé la catastrophe doivent contribuer à en surmonter les effets dévastateurs!

ADV: Le thème relancé par cette COP 27 a été notamment celui de la « Finance climatique », qui divise la planète entre les pays du sud et les pays plus développés et occidentaux à qui l’on demande d’assurer un soutien financier suffisant et important. La promesse annuelle de 100 milliards de dollars des pays développés est-elle encore possible dans l’avenir ? Sachant que cette promesse prise en 2009 à Copenhague par les pays riches n’a pas été tenue ?

A.A: Malheureusement, concernant les négociations qui ont porté notamment sur les pertes et préjudices causés par le changement climatique et sur le rehaussement du niveau d’ambition climatique des pays à travers leur contribution nationale déterminée (CDN), je pense que nous n’avons pas fait des grandes avancées...

ADV: L’Égypte est un grand pays doté de beaucoup de ressources et de cerveaux, mais sa population augmente très vite et dépend beaucoup de l’énergie du golfe et surtout du blé de l’étranger : avez-vous été durement frappé par la crise du blé ukrainien et le gouvernement égyptien a-t-il pris des mesures efficaces en matière de sécurité alimentaire et énergétique?

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A. A: Certes, l'Égypte a été touchée par la hausse des prix de l'énergie. Dans le budget 2022-2023, la part dédiée aux dépenses en matière d'énergie a plus que doublé, ce qui a porté le budget général à deux milliards de dollars supplémentaires. Ajoutez à cela la pénurie alimentaire et la hausse du dollar qui a affaibli la monnaie locale... L'Égypte a fermement affronté tous ces obstacles, et nous essayons toujours d’améliorer les performances de l'économie, de surmonter l'inflation et de bloquer les prix. La décision récente du Fonds monétaire international d'accorder un prêt à l'Égypte est une preuve de sa confiance en la capacité de l'économie égyptienne à surmonter la crise mondiale.

ADV: Votre pays est-il durement touché par le réchauffement climatique et les conséquences de la sécheresse?

A.A: Oui, bien sûr, nous avons souffert des conséquences du réchauffement climatique. Pour la première fois au cours de la dernière décennie, des torrents massifs ont entraîné d'énormes pertes dans un grand nombre de villes du sud de l'Égypte. Il existe également des études qui parlent de menaces sérieuses pour Alexandrie et la moitié des villes du Delta si le réchauffement climatique se poursuit à ce rythme et que ces émissions ne sont toujours pas prises en compte et réduites...

ADV: La cop 27 a-elle créé ou accentué une prise de conscience de la population et de la jeunesse ?

A.A: En fait, pendant toute la période de la conférence, il n'y a eu aucune conversation ni dans les rues, ni à la télévision, ni dans les journaux ou les pages des médias sociaux, qui ne soit pas consacrée à la conférence, à ses invités et les raisons de sa convocation.

ADV: La cop 27 a abordé des grands objectifs comme « l’Atténuation », c’est à dire comment les pays accroissent-ils leurs efforts visant à réduire ou à prévenir les émissions de gaz à effet de serre. Cela inclut l’utilisation de nouvelles technologies et des énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Pensez-vous que des progrès rapides sont possibles en Europe comme dans le monde arabe ou en Afrique ?

A.A: Je crois que la solidarité - en ce qui concerne la question climatique - entre les sociétés arabes, africaines et européennes est le devoir impératif du moment. Bien que l'Afrique soit la plus touchée, le résultat final sera pour nous tous la destruction de nos modes de vie et de nos valeurs humanitaires, et au-delà, la destruction de la Terre.

ADV: La Présidence égyptienne semble avoir mis cet objectif au centre et à rappelé aussi d’autres promesses mais les pays occidentaux historiquement les plus polluants tiendront ils compte de cela ?

A.A: Je vous ai dit que la question est très difficile parce que l'idée d'indemniser les pays touchés et de réduire leurs emissions de gaz ne me semble pas réellement acceptée par les pays riches qui tergiversent, ce qui empêche d’avancer rapidement pour atteindre l’objectif de sauver notre avenir sur la Terre.

ADV: Quel est votre avis sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie et sur les sanctions globales contre ce pays qui ont accentué l’augmentation des prix du gaz et du pétrole et des céréales et donc l'inflation, quelle est la position de l’Égypte ? La cause de l’Ukraine a-t- elle nuit à la cause climatique ?

A.A: Personne dans ce monde n’est censée accepter qu'un pays en envahisse un autre. C’était notre position, par exemple, devant l'invasion du Koweït par l'Irak de Saddam Hussein. Mais la question de la Russie et de l'Ukraine est différente. Malheureusement, l'Amérique a utilisé l'Ukraine pour entraîner la Russie dans cette guerre qui a impliqué l’Union Européenne dans ce soutien contre la Russie. Bien sûr, ce n'est pas seulement l'Égypte qui a été touchée par cette guerre, mais le monde entier.

ADV: La COP 27 a voulu Intégrer le genre dans l’action climatique donc du statut des femmes : voyez-vous cela d’un bon œil ? et quelle est la position du gouvernent égyptien sur la place des femmes ? Est-ce une priorité ?

A.A: Je ne perds pas de vue que la question des femmes est une priorité absolue, car elles sont les plus touchées par les conséquences de toute catastrophe environnementale. Regardez les incendies, les inondations et la faim en Afrique, et vous réalisez que les plus grandes victimes de ces catastrophessont les femmes africaines. Par conséquent, l'intégration de la question des femmes dans cette conférence était d'une grande importance et d’une grande reconnaissance à leur égard. L'Egypte, pour sa part, attache une grande importance au statut de la femme. Le gouvernement a fait de l’année 2021 l'année de la femme en Égypte. Aujourd’hui, les femmes en Egypte jouissent de beaucoup de droits dont elles étaient privées auparavant. Regardez le nombre de femmes au Parlement et au Sénat. Elles représentent 25% du nombre de représentants du peuple égyptien. Elles détiennent cinq portefeuilles ministériels au gouvernement. Dans ce domaine, nous assistons à des vraies avancées dans la pratique et dans les lois.

ADV: Beaucoup d’associations des droits humains et même des gouvernements étrangers ont profité de la cop 27 pour critiquer la présidence égyptienne et les violations des droits de l’homme et de la démocratie en Égypte : que répondez vous ?

A.A: Ce discours ne prend pas en considération la réalité de ce qui se passe en Egypte aujourd’hui. Car le peuple égyptien a entamé depuis quelques mois un dialogue national ouvert à tous les courants politiques, pour retrouver ensemble les voies de la liberté, et contribuer ensemble à définir un avenir que nous espérons meilleur.Visiblement, les militants et les associations sont actuellement sur le point de faire une avancée décisive dans le domaine des droits de l'homme et de la liberté d’expression. C’est ce que le Parlement européen n'a pas vu, puisqu’il s’est basé - dans ses critiques - sur les rapports tendancieux de la Confrérie des Frères-musulmans. En effet, pendant que l’Egypte organisait cette Cop 27, le 11 novembre, en plein milieu de la conférence, les Frères-musulmans ont appelé au soulèvement et à la révolution, et ont incité leurs partisans à la violence. Mais grâce à la vigilance du peuple égyptien et des services de l’ordre, nous avons évité le chaos voulu par la Confrérie et soutenus par certains participants officiels de la COP 27.

ADV: Des centaines de manifestants se sont rassemblées samedi en pleine COP 27 pour réclamer la libération d’Alaa Abdel Fattah, blogueur pro démocratie, devenu icône du Printemps arabe, en danger de mort après sept mois de grève de la faim dans une prison égyptienne. Des centaines de militants se sont rassemblés en pleine COP autour de la sœur du détenu politique égypto-britannique. Et Alaa Abdel Fattah a durci son bras de fer avec les autorités pénitentiaires de sa prison, qui retiendraient selon les ONG 60 000 détenus politiques en Egypte. Que répondez-vous aux associations qui lancent des appels à la communauté internationale, notamment à Londres et aux dirigeants occidentaux qui ont évoqué son cas avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, notamment Joe Biden ? Ou l’ex-président Barack Obama, qui a beaucoup soutenu les printemps arabes et les révolutions des démocrates libéraux ainsi que des Frères-musulmans en Égypte et ailleurs...

A.A: Concernant Alaa Abdel Fattah, on ne peut pas exiger d'un pays souverain doté d'un pouvoir judiciaire indépendant, qu'il libère un individu condamné pénalement pour avoir incité à de nombreuses reprises à tuer des militaires, prendre d'assaut le ministère de l'intérieur et encouragé à assassiner les parents et les enfants des officiers de la police et des forces armées... Le gouvernement britannique, qui a demandé à plusieurs reprises au gouvernement égyptien de se réconcilier avec les Frères musulmans, a repris les éléments de la propagande des Frères et a soulevé le cas de ce blogueur militant qui a la double nationalité égyptienne et britannique. Selon les allégations des Frères – il serait injustement détenu pour avoir tout simplement "exercé ses droits et exprimé librement et pacifiquement ses convictions". Je précise tout de même que l'homme a publiquement incité via son compte Twitter à "kidnapper les parents et les enfants des policiers et des officiers des forces armées", à "incendier le siège du ministère de l'intérieur", sans oublier la bizarrerie d’appeler à "couper les mains des soldats et des officiers". C’est ce qui a conduit à son procès et à sa condamnation à cinq ans de prison, qu'il purge actuellement. On est loin d'avoir affaire à un simple opposant libéral-prograssiste pacifique et blanc comme neige...
Remarquons aussi que le président et le gouvernement égyptiens ont bien discuté de ce cas avec les participants qui ont parfaitement compris la position officielle égyptienne. D’ailleurs, l'homme a immédiatement arrêté sa grève de la faim, et les participants ont cessé de mentionner cette question dont on n'entend plus parler depuis dans les médias... Il n’est pas inutile de rappeler par ailleurs que le printemps arabe a coûté à la région et à l'Égypte de pertes de centaines de milliards de dollars et de milliers de vies humaines pour aboutir finalement à l’avènement du régime des Frères-musulmans hostiles à la démocratie et aux libertés (avant que le Maréchal Al-Sissi ne prenne le pouvoir et ne les renverse en 2014, NDLR).

La même histoire se répète plus ou moins dans les modèles voisins libyen et tunisien... Les citoyens ont bien appris la leçon, et lorsque la Confrérie a appelé à une nouvelle révolution le 11 novembre dernier, pas un seul citoyen n’a répondu à cet appel ! C’est pourquoi j’ai l’intime conviction que ce qu'on a appelé le "printemps arabe" ne se reproduira jamais plus, du moins en Égypte.

Crédit : Abdelrahim Ali / DR

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