COP 15 sur la biodiversité : la 6e extinction de masse peut-elle vraiment être freinée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La COP 15 à Montréal est vitale sur les enjeux de biodiversité.
La COP 15 à Montréal est vitale sur les enjeux de biodiversité.
©Andrej Ivanov /AFP

Environnement

La COP qui vient de s’ouvrir à Montréal est présentée comme celle de « la dernière chance ».

Christian  Lévêque

Christian Lévêque

Christian Lévêque est directeur de recherches émérite de l'IRD, ex-directeur du Programme Environnement, Vie et Sociétés du CNRS, Président honoraire de l'Académie d'Agriculture de France.

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Jean-Paul Oury

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).

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Atlantico : Face à la disparition massive d’espèces animales et végétales, la COP 15 entend parvenir à un accord ambitieux visant à protéger 30 % des terres et des mers. Mais que savons-nous véritablement des causes de cette disparition ?

Christian Lévêque : En premier lieu il y a des problèmes de sémantique. Une espèce est éteinte quand elle a disparu de la surface de la terre. Les ONG utilisent le terme ambigu de disparue qui veut simplement dire qu’une espèce n’est plus présente dans un endroit donné, alors qu’elle peut toujours l’être ailleurs, ce qui n’est pas la même chose. On parle aussi d’espèces menacées de disparition qui est en réalité une estimation que font les écologistes sur les probabilités d’extinction si rien ne change dans nos impacts sur la nature. Ce n’est pas un fait d’observation mais une spéculation, pour laquelle les militants n’hésitent pas à forcer le trait sans aucune validation scientifique. C’est ainsi que l’on a dit qu’un million d’espèces étaient lemnacées de disparition, un chiffre qui est destiné de la communication des mouvements écologistes, mais ce n’est pas de la science. Il faut rappeler à ce sujet que des soi-disant experts ont tenu depuis des décennies de nombreux propos similaires, à qui fera la déclaration la plus alarmiste sur les extinctions d’espèces, qui se sont toutes révélées fausses (Lévêque 2022).

 Pour les causes classiques, nous savons que l’espèce humaine connait une explosion démographique qui implique de plus grands besoins en ressources et en espaces… Il faut se nourrir et urbaniser.  Cette question est délicate à aborder car elle désigne les pays dont la natalité est forte comme responsables de la situation. A l’ONU qui cornaque la COP, on évite ce genre de conflit donc on en parle peu. Nous savons aussi les humains disposent de moyens techniques bien plus considérables qu’autrefois pour modifier leur environnement.

De fait, on aborde peu les causes primaires. L’une d’elles est la pauvreté. Quand on a faim on se soucie peu de protéger la biodiversité. Tout est bon à manger, et l’exploitation de la viande de brousse y participe. Evidemment plus on est nombreux, et plus on l’exploite. Mais l’exploitation de la nature à petite échelle est aussi un moyen de gagner un peu d’argent pour s’acheter un vélo ou des gadgets genre téléphone portable… Des petits riens qui font beaucoup au niveau global !

Une autre cause qu’il est politiquement incorrect de mentionner à l’ONU, c’est la corruption. Il ne faut pas fâcher les potentats qui en profitent ! Pourtant les trafics de bois par exemple, ou les autorisations d’exploiter, sont souvent liés à ces comportements

On pourrait citer encore parmi les causes qui ne sont pas anecdotiques pour certaines espèces, les habitudes alimentaires (les ailerons de requin par exemple), les médecines traditionnelles (chinoise en particulier dont la corne de rhinocéros), la mode qui a été à l’origine de l’industrie des fourrures, et des plumes, etc.

Une cause de réduction des effectifs ce sont les épidémies. Cette question est mal étudiée, mais on sait par exemple que les ormes ont fortement régressé dans les années 1980 du fait de la graphiose, et il a été démontré que les parasites importés des abeilles, dont le varoa,  étaient une des causes principales de mortalité dans les ruches. 

Une des causes principales de l’extinction des espèces a été les introductions d’animaux domestiques ou commensaux sur les iles (chats, chiens rats) qui ont détruit, avec l’aide de la chasse, la faune en place qui avait évolué en l’absence des prédateurs. L’exemple célèbre est le dodo de l’ile Maurice. Ainsi une étude (Loehle et Eschenbach, 2011) [1] a comparé les taux d’extinction des oiseaux et des mammifères depuis l’an 1500 dans des îles et en milieu continental. Sur les continents, 6 oiseaux et 3 mammifères sont enregistrés comme éteints, contre 123 espèces d’oiseaux et 58 espèces de mammifères sur les îles. Soit 95% des espèces de mammifères et oiseaux qui sont éteintes sont des espèces insulaires. On pourra comparer ces chiffres validés mais qui montrent une érosion limitée sur les continents aux estimations outrancières fournies par les ONG et certains scientifiques qui leurs sont affiliés.

Jean-Paul Oury : La thèse principale de Greta a ressuscité Einstein mon nouvel ouvrage est que la politique a récupéré la science. Les COP qu’elles concernent le climat ou la biodiversité illustrent parfaitement cette idée. Ces événements servent à entériner des thèses présentées comme indépassables car, nous dit-on, elles font consensus. Les Climatocrates ne se réunissent pas pour débattre de la part que jouerait l’humanité dans le changement climatique et faire une évaluation sur les meilleures technologies à notre disposition pour faire face aux aléas climatiques, ou faire un calcul risque bénéfice des stratégies en présence, une analyse du retour sur investissement des politiques de mitigation et des sommes folles qui y sont consacrées. Non ils se réunissent pour réaffirmer un récit selon lequel l’homme et le principal coupable d’une catastrophe qui se déroule et envisagent des mesures politiques et/ou législatives (essentiellement sacrificielles et punitives). Il en va de même des Biodiversitocrates de la COP15 : il ne s’agit pas de débattre des difficultés méthodologiques soulevées par le comptage des espèces, de souligner qu’il y a ici et là de bonnes nouvelles concernant les espèces qui contredisent le récit mono-thématique de la catastrophe… non il s’agit de marteler aux yeux de l’opinion mondiale les données les plus catastrophistes qu’on aura trouvées, de renforcer l’idée qu’un consensus soutient derrière la thèse de sixième extinction, et d’établir une liste de mesures essentiellement législatives dont l’objectif sera de punir l’humanité dans une tentative veine et désespérée d’arrêter l’anthropisation et - soyons fous - de figer l’évolution. Il s’agit de formater l’opinion mondiale dans un moule qui allie données catastrophistes et diagnostics culpabilisateurs. A aucun moment donc vous n’entendrez parler des bonnes nouvelles qui concernent la biodiversité. Cela n’est pas possible puisqu’il s’agit de faire le procès d’une civilisation dont on a décidé qu’elle ne pouvait que détruire les autres espèces ainsi que son environnement… Vous me demandez alors si «  nous savons véritablement les causes de cette disparition ». Je vous réponds que c’est une manière simplificatrice d’aborder un problème compliqué. C’est une évidence de dire que des espèces disparaissent au quotidien puisque c’est le principe même de l’évolution. Par contre, c’est à mon avis un énoncé politique de dire que jamais autant d’espèces ont disparus et que c’est à cause de l’homme. D’ailleurs aucun des biodiversitocrates ne se cache du fait que la biodiversité est une science engagée. Le biologiste Robert Barbeault, un des principaux représentants de la biodiversité en France raconte l’origine de la création du mot et précise que "c’était pour lutiliser comme un drapeau, pour défendre sauvegarder la biodiversité, c’était de la science engagée… on peut discuter est-ce quune science est engagée ou pas… enfin quand on est conscient quon est engagé, cest plus sain que quand on croit quon nest pas engagé et quon lest quand même. »  Or à mon avis le fait que certains veulent s’engager ne devrait pas empêcher les débats d’experts car on observe en lisant les écologues qu’il y a débat au sujet de la biodiversité et ce à tout point de vue : de la définition de la notion d’espèce au comptage même de ces espèces. Et pourtant vous n’entendez jamais parler de cela dans les médias et ceux qui osent aborder le sujet se font traiter de biodiversité-sceptiques. 

« Avec notre appétit sans limite pour une croissance économique incontrôlée et inégale, l’humanité est devenue une arme d’extinction massive », a martelé le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Face aux problèmes évoqués lors de cette COP15, quelle est la part d’analyse lucide de la situation et quelle est celle qui relève d’un discours catastrophiste ? 

Christian Lévêque : On est ici dans la surenchère médiatique des déclarations alarmistes qui participent à une campagne idéologique de stigmatisation de l’espèce humaine. Certains philosophes comme Dominique Bourg ont ainsi tenu des propos indécents sur France inter : "l'espèce humaine est la seule qui défèque et urine dans sa niche. Et en général nos dirigeants sont là pour optimiser ce petit jeu… ». On appréciera cette haine de l’espèce humaine qui transparait dans les propos de nombreux militants écologistes. Il faut un bouc émissaire..

Ce qui renvoie à une question de fond : pourquoi l’écologie ne parle-t-elle que sur le registre négatif de nos rapports à la nature ? pourquoi les humains ne sont-ils pas considérés comme une espèce qui participe comme les autres, à la dynamique de la biodiversité.  Il faut y voir un héritage de la pensée créationniste selon laquelle le monde créé par Dieu est nécessairement parfait. Toute atteinte à son intégrité est alors vécue comme une transgression de l’ordre établi. Cette vision fixiste de la nature on la retrouve dans les projets de restauration visant à retrouver une nature originelle. Il y a un biais cognitif manifeste en écologie à ne parler que des exactions des humains. Une attitude schizophrène si l’on considère que l’on qualifie la Camargue de parc naturel, un système écologique pourtant hautement anthropisé, et qu’il est labellisé site Ramsar de la conservation d la nature… Pourtant nous aimons vivre dans nos systèmes européens créés par les humains à l’instar des bocages, des alpages, des grandes zones humides comme la Brenne et la Sologne. 

Soyons clairs : dans une revue de l’état de la biodiversité en Europe et en métropole que nous venons de publier avec Bertrand Alliot pour l’association Action Écologie, nous montrons que le vrai sujet n’est pas la disparition des espèces, mais la diminution des effectifs de certaines d’entre elles. Cependant, ce qui n’est jamais clairement mentionné par les écologistes, c’est que beaucoup d’espèces se portent bien et ont même un très fort dynamisme démographique. En Europe comme en France, on constate depuis 30 ans une augmentation très importante des effectifs de beaucoup d’espèces de mammifères, qui résulte surtout de mesures de protection. Ce n’est pas ici de la spéculation, c’est confirmé par des chiffres et ce qui veulent en savoir plus pourrons se référer à notre étude.  Nous tirons une leçon importante de ces observations : les milieux naturels offrent toujours des ressources substantielles pour qu’elles puissent se développer. On ne peut donc pas parler d’une dégradation généralisée de nos systèmes écologiques ! Bien entendu cela relativise beaucoup les chiffres alarmistes et souvent biaisés diffusés par des ONG qui nourrissent artificiellement le catastrophisme écologique.

Voici un exemple qui montre comment les ONG manipulent les citoyens par des chiffres outranciers. Le WWF affirme que nous avons perdu 69% des populations de vertébrés sauvages depuis 50 ans. Ça interpelle ! Or deux travaux scientifiques utilisant la même banque de données relativisent sérieusement ces chiffres. L’un [2] montre que les populations ont régressé chez seulement 15% des espèces alors qu’elles ont augmenté pour 18% des espèces qu’elles sont restées stables pour 67%. L’autre [3] a montré que 2,4 % des populations sont en très fort déclin, alors que pour les autres la tendance globale est à une croissance légèrement positive.

Jean-Paul Oury : Monsieur Guterres ne manque jamais une bonne occasion de se faire remarquer en agitant le catastrophisme. Il avait posé à la Une de Time Magazine, photographié en costume avec de leau jusquaux haut des mollets sur la côte de Tuvalu, une petite île du Pacifique en titrant « Our sinking planet ». Je vous invite à lire l’analyse de Bjorn Lomborg à ce sujet qui démonte la mise en scène. Le secrétaire général de l’ONU s’est aussi fait remarquer de la même manière lors de la dernière COP27 en parlant d'un « suicide collectif » et soutenant que « nous sommes sur l'autoroute de l'enfer climatique ». En dénonçant « l’appétit sans limite pour une croissance économique incontrôlée et inégale » Guterres rejoint le message tenu par la majorité des Biodiversitocrates. J’ai pu constater que « la recherche du profit » était l’explication ultime, le point d’orgue de tous les discours sur l’érosion de la biodiversité. Si l’homme détruit la nature c’est, nous disent-ils, parce qu’il est vénal. Ainsi, Selon lastrophysicien Hubert Reeves, la transformation de lintelligence humaine est due au profit. Dans une conférence au sujet de la biodiversité, il parle de la centrale de Fukushima et du tsunami de 2011. Selon lui : « sécurité et profit ne font pas bon ménage » (…) «chaque fois quon regarde les menaces, cest toujours autour du profit. Cest la cause de la crise écologique contemporaine ». Cet argument était une constante chez les Biodiversitocrates. Le recours à ce genre d’argument relève de la récupération de la science par la politique, il s’agit de moraliser le discours sur la biodiversité en introduisant la catégorie de bien et de mal : « l’homme est un être malfaisant qui détruit son environnement » C’est une forme de sophisme qui nous fait dévier de l’analyse scientifique. Il faut se méfier de ce genre d’arguments qui de mon point de vue ne visent pas l’objectivité scientifique, mais visent à imposer un récit culpabilisateur. Un autre sophisme est celui qui affirme de manière réductrice que l’homme est la seule et la principale cause de la sixième extinction. Il n’est nul besoin d’être écologue pour comprendre qu’il s’agit d’un abus de language : chacun de nous peut imaginer qu’une espèce peut disparaitre pour une toute autre raison… ceux qui manquent d’imagination n’ont qu’à se remémorer les extinctions précédentes de la période glaciaire de l’Ordovicien à l’impact d’astéroïde du Crétacé… les risques existentiels bien supérieurs aux dégâts de « l’anthropocène » pullulent.

Faut-il voir à travers ces discours apocalyptiques une inquiétude sincère ou bien est-ce lexpression des projets politiques anticapitalistes ou anti civilisation occidentale ?

Christian Lévêque : La nature et la biodiversité sont pris en otage par des mouvements politiques qui dénoncent les méfaits du capitalisme. Il ne fait pas de doute que les ressources naturelles sont parfois surexploitées (cf la pêche maritime) dans une course au profit. La pêche maritime en est un exemple de même que certaines exploitations forestières. On connait aussi les conséquences de la mainmise des intérêts privés sur l’eau avec la privatisation du marché de l’eau en Australie. L’un des dangers de l’économie de marché est la tentation de faire le profit maximum dans le minimum de temps, connu dans le domaine qui nous préoccupe sous le nom de tragédie des biens communs de Harding. Mais cette démarche concerne aussi les pratiques commerciales.

La finitude des ressources a été largement évoquée dans les travaux du club de Rome. Elle est à l’origine des notions d’empreinte écologique et de jour du dépassement (WWF). Mais de fait, les progrès considérables de l’agriculture ont écarté le spectre des famines (hors zones de conflits) et l’expérience a montré jusqu’ici que lorsque certaines ressources venaient à se raréfier, on trouvait des solutions alternatives.

Il ne faut pas ignorer ces questions qui nous préoccupent depuis longtemps. On parlait autrefois de gérer en bon père de famille, ou de ne pas tuer la poule aux œufs d’or en matière de gestion des ressources.  Mais il ne faut pas non plus instrumentaliser la gestion de la nature par des propos excessifs voire outranciers

Ne tombons pas dans l’excès inverse de dire que tout va bien. Il y a des espèces pour lesquelles ont doit s’inquiéter, à l’instar du rhinocéros ou de nos cousins les grands singes. Mais chaque espèce est un cas dont les causes d’érosion sont spécifiques (la corne pour le rhinocéros) ou liées à la lutte contre les ravageurs (les hannetons par exemple) ou à la surexploitation (les baleines). Ce n’est pas avec des discours globalisants qui laissent croire que tout va mal partout, que l‘on pourra répondre à l’avenir des espèces menacées. C’est au cas par cas et souvent à un niveau régional qu’il faut trouver des solutions spécifiques aux causes de l’érosion.

Jean-Paul Oury : Je ne doute pas un seul instant de la sincérité de ceux qui s’inquiètent de l’érosion de la biodiversité et du fait que leur existence en dépend. Ce qui me gène davantage c’est la conclusion qu’ils en tire et les mesures discrétionnaires que certains voudraient nous imposer, dans l’optique de porter l’étendard de politiques anticapitalistes ou anti civilisation occidentale. Le biogéographe du CNRS Laurent Godet, s’interroge sur « Y a-t-il encore des solutions pour protéger la biodiversité ? ». Il a fait une méta-analyse pour classer les études qui portent sur le sujet et les a classé en trois catégories (articles qui renseignent sur l’état de la biodiversité, articles sur les menaces, articles sur les réponses). Commentant la troisième catégories, le scientifique « engagé » affirme qu’il faudrait davantage de sobriété et il ne peut s’empêcher de faire une remarque contre l’économie capitaliste « on sait aujourdhui que ce quon appelle lanthropocène, cest-à-dire cette domination de la planète par lhomme ça ne concerne quune fraction de notre humanité, si bien quon parle plus tôt aujourdhui de capitalocène que danthropocène. » Aussi, et c’est là à mon avis le plus gros problème des Biodiversitocrates (ceux qui veulent faire de la politique sur le dos de la nature), monsieur Godet affirme ne pas croire au techno-solutionnisme. Selon lui il s’agit de « mesures qui sont encore là pour sauver les meubles (…) Ce qui permettra de sauver la biodiversité ce sont des mesures de détachement de lactivité humaine de certains espaces. » Et tout en montrant une photo du groupe Extinction Rébellion en fond d’écran, notre chercheur secoue son auditoire : «non un projet daménagement autoroutier nest pas compatible le maintien de la biodiversité ». La lutte continue. Le problème c’est que certains biodiversitocrates se sont mis en tête qu’ils pouvaient bloquer toute activité humaine…Ceci peut mener jusqu’à des actions d’éco-terrorisme pour les plus extrêmes. Remarquons que de nombreux projets d’aménagement du territoire y ont été de leur frais. On peut désormais bloquer une route nationale pour préserver une famille de Crapaud… 

Que lespèce humaine soit responsable de ces disparitions, partiellement ou non, que sommes-nous vraiment capables de faire, dun point de vue réaliste pour lutter contre ces extinctions et freiner la dynamique à l'œuvre ?

Christian Lévêque : En réalité on fait et on a fait déjà beaucoup en Europe puisque les populations qui sont en expansion sont le résultat de mesures qui ont été prises depuis de nombreuses années. Il est donc faux de dire qu’on ne fait rien et que la situation s’aggrave de plus en plus, à moins de vouloir entretenir à tout prix une ambiance anxiogène. Comme nous l’avons vu, des populations de mammifères et d’oiseaux autrefois classés menacés, se reconstituent. A force de faire du catastrophisme on oublie qu’il y a aussi de bonnes nouvelles. Ce qui interroge sur les motivations de ces cassandres ?

On peut aussi faire confiance à la nature pour se reconstituer après que les espèces ne soient plus chassées ou à la suite d’événements qualifiés de catastrophiques. Les populations de baleines sont ainsi en voie de reconstitution pour la plupart depuis un moratoire sur la chasse. Et quelques années seulement après la pollution massive des côtes bretonnes par l’Amoco Cadiz, la faune marine s’était entièrement reconstituée.

En milieu marin, les résultats montrent que les zones protégées ont en général un impact très positif sur la faune. Le constat est beaucoup plus mitigé pour les aires protégées terrestres. 

Nous avons aussi entrepris de réduire les pollutions et la biodiversité de nos cours d’eau s’est nettement améliorée par exemple en quelques décennies. Si on accuse souvent l’agriculture et ses pesticides, il ne faut pas oublier que les pollutions urbaines sont omniprésentes, et on parle de plus en plus des pollutions lumineuses.

On ne peut manquer d’évoquer ici la politique d’aires protégées qui est le fer de lance de l’action des ONG. Il s’agit pour faire bref de sanctuariser la nature pour la laisser s’exprimer librement et recouvrer en quelque sorte une nature originelle non modifiée par l’homme qui est ainsi sacralisée. La pureté de la nature est une fiction à moins de considérer que l’homme est un intrus car, comme toute espèce biologique, il ne vit qu’aux dépens d’autres espèces. C’est pourtant cette politique que l’on peut qualifier d’anti humaniste qui consiste à exclure les humains de la nature qui est privilégiée par les ONG. Peu importe le devenir des humains que l’on parquera dans des ghettos urbains tandis que, sous prétexte de protection, les gardiens du temple que sont les écologistes pourront admirer cette belle nature enfin libérée des humains. C’est évidemment un peu caricatural, mais c’est ce comportement a qui a présidé à la mise en place des parcs naturels en Afrique comme l’a rappelé l’historien Guillaume Blanc. Cette politique s’inscrit dans la démarche philosophique d’une dualité homme-nature qui est remise en cause actuellement. Les humains sont des acteurs de leur environnement comme toutes les autres espèces. Nos systèmes anthropisés européens que nous aimons sont ainsi le produit d’une transformation radicale de la nature, et pourtant ce ne sont pas des déserts de biodiversité, loin de là. Pour les asiatiques, les rizières sont des milieux naturels. Ce parti-pris systématique de considérer que nous détruisons la nature est d’origine théologique, mais dans les faits il n’y a pas incompatibilité a priori en matière de coexistence des humains et des non humains. Oui nous transformons la nature, mais le climat aussi ! Donc faire de la politique d’aires protégées le principal moyen d’action c’est non seulement manifester un profond mépris des hommes, mais c’est aussi s’inscrire dans une démarche mystique de sacralisation de la nature.

Il reste à faire sans aucun doute mais dire que l’extinction est en marche en raison de notre inaction c’est un discours partisan et mensonger destiné à maintenir la pression anxiogène sur un public mal informé par la médiatisation de fausses informations. Cette manipulation à grande échelle par des grandes ONG environnementales et des mouvements militants n’est pas sans rappeler les pratiques de la religion chrétienne aux siècles derniers pour imposer ses croyances au monde entier. 

Jean-Paul Oury : Comme nous venons de le voir il y a une tendance chez les biodiversitocrates à vouloir bannir toute forme d’activité humaine dans cette optique de préserver, voire de rétablir une chimère qui serait une nature vierge de toute présence humaine. C’est la raison pour laquelle, l’agriculture est une cible de choix. Certains biodiversitocrates lui font porter une lourde responsabilité. Le recours aux intrants, l’anthropisation des paysages, la monoculture… tout cela a forcément des conséquences sur l’environnement. Cependant, à moins de penser qu’on peut se passer d’agriculteurs il est plus que jamais nécessaire d’abandonner l’agri-bashing pour adopter une attitude constructive et faire le bilan des différentes techniques agricoles pour voir celles qui sont les plus respectueuses de l’environnement et ont le moins d’empreinte écologique. Or on peut être parfois surpris. Si je vous demande de choisir entre l’agriculture biologique et l’agriculture raisonnée laquelle est la plus respectueuse de la biodiversité, je suis certain que vous choisiriez la première sans hésiter. Et pourtant des études ont montré que la deuxième avait de meilleurs résultats (voir à ce sujet les analyses de Philippe Stoop sur land sharing vs land sparing ). La question n’est donc pas comment arrêter l’homme - à moins de penser qu’il ne fait pas partie d’un continuum avec la nature - mais comment faire en sorte que ce dernier qui doit en permanence s’adapter à son environnement réussisse à trouver un équilibre permanent. 

Quelles sont les limites de nos actions ?

Christian Lévêque : Nous sommes assez démunis pour faire face à la croissance démographique de l’espèce humaine. Mécaniquement, plus il y a d’humains et plus notre empreinte est forte. Si l’on peut espérer que la transition démographique se produira avec l’amélioration du niveau de vie dans les pays à forte natalité, elle ne fait que s’amorcer. C’est un sujet tabou. 

Nous devons prendre acte des fluctuations climatiques qui ont de tout temps bouleversé les systèmes naturels. Ceux qui disent que nous vivons une extinction massive sans précédent ont la mémoire courte, ou feignent d’ignorer qu’il n’y a pas si longtemps, 20 000 ans ce qui est hier à l’échelle géologique, la calotte glaciaire s’étendait en Europe jusqu’à la Manche, la France était en zone de permafrost et un immense glacier recouvrait les Alpes. On peut imaginer que cet événement qui s’est produit à plusieurs reprises dans l’histoire et a concerné tout l’hémisphère nord, a été à l’origine d’extinctions massives de la biodiversité qui n’ont pas été chiffrées faute d’archives disponibles. Mais nous en avons quelques preuves avec l’extinction de grands mammifères.

Autrement dit les mesures de conservation qui consistent à protéger l’existant s’inscrivent dans une vision fixiste de la nature alors que cette dernière ne cesse d’évoluer sous l’influence du climat. Ainsi restaurer une zone humide est une mesure à court terme car si la pluviométrie diminue, cette zone humide est probablement appelée à disparaitre. Beaucoup de projets qui concernent la préservation de la biodiversité manquent ainsi d’anticipation sur l’avenir. On gère le présent mais nous ne sommes pas maitres du futur. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, mais nous devons rester modestes car tout est éphémère. Plutôt qu’une démarche normative qui consiste à sanctuariser des situations, il nous faudrait adopter une démarche adaptative qui tienne compte de la dynamique des systèmes écologiques. Ainsi nos systèmes européens évoluent rapidement actuellement en raison de la naturalisation de nombreuses espèces venues d’autres continents. Certains considèrent que c’est une forme de pollution de la flore et de la faune autochtones, d’autres que d’est un enrichissement de la biodiversité. Quoiqu’il en soit le phénomène et difficilement maitrisable de telle sorte qu’il est appelé à s’amplifier avec la mondialisation. La seule solution efficace serait d’interrompre le commerce international… sinon, nous devons faire avec… 

Il faut aussi avoir une attitude réaliste. La vision bucolique de la nature assimilée à Mère nature par les écologistes, est une fiction destinée à nous culpabiliser. Les citoyens savent bien dans leur vécu quotidien que la nature est certes une source d’émotions positives, mais qu’elle est aussi une sources de nuisances.   Est-on prêt à tout protéger, les tiques, les guêpes, les rats, les moustiques, etc. ? Et les vecteurs de maladies, et les ravageurs de cultures ? Il n’est pas certain que tous les citoyens souscrivent à cette idée ! Dans l’esprit de beaucoup, protéger la biodiversité c’est protéger des espèces pour lesquelles nous manifestons une certaine empathie. A l’heure où le changement climatique va modifier lui aussi les systèmes écologiques, et où les transferts intercontinentaux d’espèces, enrichissent notre biodiversité pour le meilleur et pour le pire, la question n’est pas de protéger ou de restaurer une nature supposée originelle qui est une fiction, mais de s’interroger sur la nature dans laquelle nous souhaitons vivre. Et ce n’est pas la nature sauvage dont rêvent certains, source d’émotions positives mais aussi de nombreuses nuisances. C’est une nature sous contrôle, qui corresponde à nos attentes de bien-être c’est-à-dire de vivre dans un environnement qui nous sécurise sur le plan de la satisfaction de nos besoins vitaux mais également sur le plan de notre intégrité physique.

Jean-Paul Oury :Il y a forcément des limites. J’en vois deux qui se présentent à nous sous formes de dystopies. D’une part l’écologisme, d’autre part le trans-humanisme. L’écologisme nous invite à renoncer à la civilisation prométhéenne et le trans-humanisme nous propose de remettre notre destin entre les mains d’une caste de technocrates qui planifieraient l’évolution. Dans les deux cas de figure, nous abandonnons nos libertés pour nous soumettre intégralement aux déterminismes du tout naturel d’une part et du tout culturel de l’autre. Il convient donc de trouver le bon équilibre entre ces deux extrêmes. Il faut trouver un juste milieu. Pour cela rien de tel que la confiance en des individus libres et responsables. Si on revient à notre sujet de la biodiversité, il n’y a pas mieux que la propriété privée, n’en déplaise aux pourfendeurs de la « Capitalocène ». En tant que possesseur d’un verger, par exemple, j’ai intérêt à ce qu’il soit bien entretenu pour avoir des fruits et je fais tout pour préserver cet éco-système. N’ayant pas le temps de faucher l’herbe moi-même je laisse un agriculteur y mettre ses ânes et sa jument. C’est un bon équilibre. Les limites ne peuvent être découvertes et respectées que par des individus libres et responsables. L’erreur serait de croire que celles-ci peuvent être imposées de l’extérieur par des biodiversitocrates munis de tableur Excel qui leur permet de recenser les espèces et de croire ainsi qu’ils peuvent figer l’évolution.

Jean-Paul Oury a publié "Greta a ressuscité Einstein" chez VA Editions.

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