Convention démocrate : tout ce qu'Hillary Clinton ne comprend pas de notre monde <!-- --> | Atlantico.fr
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Hillary Clinton, la candidate démocrate à l'élection présidentielle américaine, et son co-listier Tim Kaine.
Hillary Clinton, la candidate démocrate à l'élection présidentielle américaine, et son co-listier Tim Kaine.
©CBS News

DAILY BEAST MAISON BLANCHE 2016

Alors que s'ouvre la Convention nationale démocrate, il faut se rendre à l'évidence : les politiques défendues par Hillary Clinton en tant que secrétaire d'Etat sont maintenant un problème pour la candidate démocrate.

Nancy A. Youssef

Nancy A. Youssef

Nancy A. Youssef est journaliste au Daily Beast

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Copyright The Daily Beast - par Nancy A. Youssef

Quand Hillary Clinton était secrétaire d'Etat, l'Amérique était supposée procéder à de grands changements. Hillary Clinton dirigerait la refonte des relations américano-russes. Elle allait ouvrir une ère nouvelle d'activisme démocratique permise par Internet. Et plutôt qu'enliser le pays dans d'interminables guerres au Moyen-Orient, elle tournerait les Etats-Unis vers l'Asie. Rien de tout cela ne s'est vraiment produit. S'il existe un fil rouge dans le mandat d'Hillary aux Affaires étrangères, c'est d'avoir sur-estimé la capacité des Etats-Unis à piloter les événements autour du monde et sous-estimé les conséquences de ces changements.

Dans des pays comme l'Egypte, ce n'est pas la démocratie, mais un retour à un état policier encore plus agressif qui a eu lieu, avec des centaines d'opposants en prison, la fin de la liberté d'expression et un pays où les jihadistes islamistes confortent leur emprise. 

En lieu et place de relations améliorées avec la Russie, les Etats-Unis tentent aujourd'hui d'éviter une guerre sous prête-nom avec l'ancien bloc soviétique en Syrie. Les Etats-Unis soutiennent les opposants au président syrien Bachar el-Assad par des frappes aériennes qui concurrencent celles de la Russie, qui elle soutient le régime en place. Et en Asie, il n'y a pas eu de 'pivot' : les Etats-Unis se sont contentés de garder un oeil sur une région du monde qui change rapidement. La Chine réclame de plus en plus énergiquement sa part de pouvoir dans la mer de Chine du sud. En Corée du Nord, les essais de missiles balistiques de Kim Jong-un ont secoué l'allié des Américains, la Corée du Sud. En d'autres mots : le job qui était supposé préparer le mieux Hillary Clinton à être la prochaine présidente des Etats-Unis pourrait aussi être l'albatros de sa campagne, à cause du monde chaotique qui a émergé depuis qu'elle a quitté ce poste en 2013. Les campagnes présidentielles américaines ne sont pas connues pour leur sens de la nuance en matière de politique étrangère. Mais celle-ci promet d'être particulièrement primaire, alors que l'un des candidats a dirigé la diplomatie amériaine durant l'une des phases les plus complexes de son histoire. Le candidat républicain Donald Trump ne semble pas comprendre le genre de quarts de tour qui ont conduit à l'échec de sa stratégie. La campagne Clinton ne peut pas se permettre de ressasser.

Prenez le discours d'acceptation du candidat Trump, qu'il a donné jeudi dernier. Il a attaqué Clinton pour avoir permis que l'Egypte soit “confiée aux Frères Musulmans, ce qui a obligé l'armée égyptienne à reprendre le contrôle.” La critique est acceptable. La gestion des printemps arabes par le gouvernement américain (surtout en Egypte) durant le mandat de Clinton est rétrospectivement un échec total. Mais les Frères musulmans n'ont pas pris le pouvoir. Ils ont été élus démocratiquement. Et les militaires ont choisi de sortir de leurs casernes et de déstituer le président élu. Un an plus tôt, des images devenues légendaires montraient des milliers d'Egyptiens envahissant la place Tarhir au Caire durant ce qui a été appelé une “révolution Twitter”. La diplomatie américaine a dans un premier temps hésité à soutenir le soulèvement contre le président égyptien Hosni Moubarak. C'est uniquement quand la chute de Moubarak semblait inévitable que les Etats-Unis ont cautionné l'armée pour assurer l'intérim. Mais pour ceux qui manifestaient, c'était trop tard. Ils ont vu l'Amérique altermoyer. Et pour les partisans de Moubarak, dont certains sont maintenant de retour au pouvoir en Egypte, il s'agissait d'une trahison.Les Etats-Unis ont tiré peu de bénéfices de la décision, vue comme audacieuse à l'époque, du Département d'Etat de Clinton : abandonner un allié de trente ans.

Quand la présidence de l'islamiste démocratiquement élu Mohammed Morsi s'est retrouvée en difficulté, l'armée égyptienne a déposé Morsi. Ce qui a provoqué la colère des deux camps contre les Etats-Unis. Les partisans de Morsi soupçonnent les Etats-Unis d'avoir organisé le putsch en coulisses. L'armée reproche aux Etats-Unis leur absence de soutien. Les relations entre les Etats-Unis et l'Egypte sont tendues depuis lors, même si l'Amérique a maintenu sa coopération et son aide militaires. “L'administration Obama croyait qu'elle soutenait la démocratie quand elle a reconnu les islamistes élus après le printemps arabe mais ces islamistes se sont comportés comme des tyrans et ont mis l'Egypte à genoux. Beaucoup d'Egyptiens en ont alors voulu aux Etats-Unis pour ce qu'ils interprétaient comme un soutien aux islamistes'' analyse Eric Trager, expert sur les politiques égyptiennes au Washington Institute for Near East Policy.

Dans son livre publlié en 2014, “Hard Choices”, ses mémoires de son mandat de secrétaire d'Etat, Hillary Clinton reconnait qu'elle a hésité au moment du printemps arabe, qu'elle n'était pas convaincue que les militaires feraient beaucoup mieux que Moubarak. “Il y avait peu de raisons de croire que le pouvoir militaire restauré aurait été plus supportable qu'il ne l'était sous Moubarak. Pour ce faire, il devrait être plus fédérateur, plus responsable face aux besoins du peuple, et, à terme, plus démocratique” écrivait Clinton. Elle décrivait aussi celui qui est actuellement le président, Abdel Fattah el-Sissi, et qui a annoncé la destitution de Morsi, comme quelqu'un “qui parait sortir du moule classique des dictateurs du Moyen-Orient.” Pour ce qui est de la Libye, Trump a longuement évoqué l'attentat contre le consulat de Benghazi le 11 septembre 2012. Des analystes plus fins soulignent un problème plus important : l'appel de Clinton à intervenir en Libye, un an plus tôt. Des sources à l'intérieur de l'administration Obama disent que l'échec de Clinton en Libye a été double et remontait à une période antérieure à l'attentat de Benghazi. Ce qui avait commencé comme une mission humanitaire pour sauver les habitants de Benghazi de l'assaut des forces du gouvernement libyen durant le soulèvement de 2011 a peu à peu évolué en un changement de régime. Qui a pris la décision ? Et pourquoi ? Les critiques attendent toujours une réponse convaincante.

Pour empirer les choses, une fois la décision du changement de régime prise, personne n'a pris en compte ce que la Libye était après la chute de Mouammar Kadhafi, son président depuis quarante ans. L'ancien secrétaire d'Etat Robert Gates a expliqué au Daily Beast qu'un plan post-Kadhafi n'existait tout simplement pas. “Nous naviguions à vue” se souvient-il. La Libye est devenu un pay fracturé qui se bat contre la menace naissante du djihadisme. Daech a établi une tête-de-pont dans la ville de Syrte, ancien fief de Kadhafi. Durant son témoignage devant le Congrès en janvier 2013, Hillary Clinton a concédé que les événements en Syrie avaient pris un tour inattendu. Mais elle juge que les critiques dont elle fait l'objet sont trop souvent motivées par des raisons politiques, et non pas pour améliorer la stratégie américaine.

“Nous nous trouvons dans une nouvelle réalité. Nous tentons de comprendre des changements que personne n'avait prévus mais avec lesquels nous allons devoir vivre” a-t-elle témoigné. “Soyons honnêtes avec nous mêmes. Evitons de tout tourner en football politique.” Loin du Moyen-Orient, Hillary Clinton avait proposé un réchauffement des relations avec la Russie, qui étaient alors au plus bas après l'attaque de la Géorgie par la Russie en 2008. Elle a même donné au ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, un véritable bouton rouge où était écrit (on le supposait) “Redémarrer” en russe. Lavrov dira plus tard que le mot russe était en fait “surtension.” Le 'rebooting' ne s'est pas mieux passé ensuite. Par le passé, la Russie avait autorisé l'armée américaine à survoler son territoire en route vers l'Afghanistan et les deux camps avaient acccepté de réduire leur arsenal nucléaire. Mais depuis, la Russie a revendiqué la Crimée, contribué aux troubles en Ukraine et braqué l'OTAN, qui craint que Vladimir Poutine ne se lance dans une expansion territoriale dans les pays membres de l'OTAN, comme la Pologne. Et surtout, le 30 septembre dernier, la Russie a effectué des frappes aériennes pour le compte du président syrien Bachar el-Assad. L'administration Obama, à une époque, voulait qu'il parte. Grâce à l'intervention russe, Assad a ressuscité son emprise presque moribonde sur le pouvoir. A certaines occasions, la Russie a attaqué des forces alliées des Etat-Unis, dont une frappe le mois dernier en Syrie du sud. Dans une interview d'octobre 2015 avec PBS, Clinton a refusé d'admettre qu'elle s'était peut-être trompé sur les Russes, répondant à la présentatrice de l'émission 'NewsHour', Judy Woodruff : “Non, je ne le pense pas du tout.”

Pour l'Asie, l'administration Obama a cherché à présenter l'image d'un pays qui ne s'impliquerait plus au Moyen-Orient mais tournerait son attention vers l'Asie. Le premier voyage de Clinton en tant que secrétaire d'Etat a été en Asie. Tout comme un quart de ses déplacements à l'étranger par la suite. Mais comme le 'rebooting' des relations avec la Russie, et exception faite de petits succès, le 'pivot' prévu n'a pas eu lieu. Durant son audition de confirmation, l'actuel secrétaire d'Etat John Kerry a été ambivalent en évoquant le 'pivot' vers l'Asie : "Je ne suis pas convaincu qu'un renforcement de la présence militaire (dans la zone Asie-pacifique) s'impose actuellement”. Chose encore plus éloquente, la candidate Clinton a pris ses distances avec la secrétaire d'Etat Clinton pour ce qui concerne l'accord de partenariat transpacifique, un accord commercial entre les douze pays riverains du Pacifique, dont les Etats-Unis font partie. Il suscite la colère de ses opposants, qui craignent que l'accord détruise des emplois en Amérique et passe sous silence la manipulation des cours des devises qui en résulterait. L'accord était un pilier de la stratégie de 'pivot' vers l'Asie. Certains voient la nouvelle position de Clinton sur ce sujet comme l'exemple même d'un virage opportuniste pour se concilier les syndicats. “Ce que j'en sais, au jour d'aujourd'hui, c'est que je ne suis pas en faveur de ce que j'ai appris sur l'accord” a déclaré Hillary Clinton durant la même interview accordé à PBS. La campagne de Trump, qui donne très peu d'informations sur ce que Trump ferait pour contrer l'émergence de Daech, les visées de la Russie et l'émergence d'un terrorisme inspiré par la religion, ne permettent pas à Clinton de minimiser son rôle dans l'état actuel des affaires du monde. L'équipe de campagne de Clinton n'a pas répondu à un mail du Daily Beast demandant des commentaires sur son mandat de Secrétaire d'Etat. Jusqu'ici, Trump a suggéré une politique d'appaisement envers la Russie, un rôle peut-être réduit des Etats-Unis au sein de l'OTAN et d'augmenter l'isolationisme américain. Mais il n'a jamais détaillé comment ces changements de politique allaient avoir lieu, ou leurs conséquences possibles. “La plus grande différence entre notre programme et le programme de nos adversaires est que notre programme mettra 'America First' (L'Amérique en premier). L'américanisme et non le mondialisme, sera notre credo. Aussi longtemps que nous serons dirigés par des politiciens qui ne placent pas l'Amérique en premier, nous pouvons être sûrs que les autres nations ne respecteront pas l'Amérique. Tout ceci changera en 2017” a annoncé Trump lors de la Convention nationale républicaine, dans ce qui a été sa déclaration la plus précise sur le futur. Nous verrons si Hillary Clinton peut faire mieux quand les démocrates se réuniront à Philadelphie cette semaine.

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