Contraindre ou convaincre ? Petites leçons de 3 années de pandémie sur les stratégies les plus efficaces face au Covid <!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne effectuant un test de dépistage du Covid-19.
Une personne effectuant un test de dépistage du Covid-19.
©DENIS CHARLET / AFP

Gestion de la crise sanitaire

Le ministre de la Santé affirmait ce dimanche que son bras ne tremblerait pas s’il fallait rétablir l’obligation de port du masque. A l’inverse Twitter a annoncé qu’il suspendait sa politique de censure de la désinformation Covid au regard de l’évolution des discours officiels.

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Quelles leçons avons-nous apprises ou devrions nous avoir appris sur la manière de lutter contre le Covid ?

Rafaël Amselem :La question est complexe mais intéressante car elle ne prend en compte que l’efficacité sanitaire dans la mise en place des politiques publiques en oubliant la question des libertés publiques. Le gouvernement n’a cherché que l’efficacité. Sauf qu’on ne peut juger le caractère vertueux des institutions sans l’existence de contre-pouvoirs capables d’évaluer la politique du gouvernement et de pouvoir contredire le narratif de l’exécutif. Or nos contre-pouvoirs ont été absolument inefficaces. Aucune considération du parlement, un conseil sanitaire qui prenait des décisions sous secret défense et le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel n’ont pas été attentifs. La crise a montré que nos institutions isolaient le pouvoir exécutif et compliquaient les contre pouvoirs.

François Braun a déclaré que son bras ne tremblerait pas s’il fallait rétablir le port du masque. Au regard de notre expérience de ces trois dernières, en France et ailleurs, la coercition est-elle gage d'efficacité ? La contrainte est-elle la bonne stratégie ?

Rafaël Amselem : Il faut d’abord souligner que le fait son "bras ne tremblera pas", peu importe. La vraie question, c’est de savoir si l’obligation du port du masque est légitime et proportionnée. Cela devrait être un véritable débat au parlement, argumenté, documenté, afin de donner un avis consensuel. Et nous n’avons pas cela.

Charles Reviens : Comme de tradition je rappelle que je ne suis ni médecin ni épidémiologiste et me limite donc à analyser les différentes politiques publiques, la pandémie covid-19 ayant constitué un événement mondial exceptionnel et dramatique particulièrement puissant en 2020 et 2021 et permettant un benchmark des différents écosystèmes publics et sanitaires nationaux.

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Rappelons d’abord la nature de la politique covid en France. En premier lieu, surtout sur la phase amont de la crise sanitaire, la saturation ou le risque de saturation des services d’urgence a constitué la principale variable de contrôle de la politique sanitaire et a été au cœur de la justification des décisions de confinement, de couvre-feu, de limitation des interactions sociales et d’interdiction temporaire d’activités économique et sociales considérées comme « non essentielles ». A partir de début 2021, la mise à disposition de vaccins covid (achetés à l’étranger car jamais développés en France) a constitué pour la politique sanitaire mais également la communication politique la « balle magique » permettant de scénariser un activisme efficace.

Il faut enfin noter une gestion politico-administrative de la vaccination combinant le refus politique et juridique de rendre la vaccination obligatoire (ce qui peut sembler étrange pour les personnes à risque de plus de 65 ans) avec la mise en place de dispositif de type pass (sanitaire puis vaccinal) conduisant à distinguer la participation à la vie sociale entre vaccinés et non vaccinés que le pouvoir exécutif assumait d’ailleurs la nécessité de les emm… au maximum, vocable présidentiel du début 2022 et donc de discriminer. La coercition a été donc puissante : plusieurs vagues de confinement, couvre-feu, auto-attestations, pass sanitaire, pass vaccinal… Avec cette politique la France a des résultats sanitaires (mesurés par exemple en termes de morts par unité de population) proches du monde occidental (2 350 morts covid par million d’habitants) mais au moins trois fois supérieurs à ce qu’il sont en Asie du Sud-Océanie et en Afrique.

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Mais la performance covid ne peut s’analyser sur le seul volet sanitaire. Il faut également prendre en compte la perturbation induite du fonctionnement de la société et de l’activité économique. La politique française n’a pas du tout mis en centre de ses préoccupations la préservation de l’activité économique, bien au contraire, avec une baisse très forte de l’activité économique du fait de la rigueur des politiques de confinement, notamment le premier confinement de mars à mai 2020. Tout cela a été compensé par des politiques d’accompagnement budgétaires résumées sous le terme « quoi qu’il en coute » conduisant à des déficits historiques en 2020 (208mds€ et 9% du PIB, record en temps de paix) et 2021 (163mds€ et 6.5 %). Il faut noter ici une différence majeure avec la Suède, qui a refusé de déployer les politiques de restriction économique très dures de nombreux pays occidentaux et a donc beaucoup moins abîmé son économie tout en ayant à date une meilleure performance que la France en matière de mortalité covid.

Cette combinaison entre volet sanitaire et volet économique de la crise covid a été synthétisée dans une étude de 2021 du centre d’analyse économique qui a calculé pour 38 pays un « indice de sacrifice » ajoutant récession économique et surmortalité. La France se classe sur cet indice 26ème sur 38 en 2020 et 28ème en 2022.

Donc une politique combinant forte dose de coercition, niveau élevé des restrictions économiques et prodigalité dans l’octroi d’argent public conduit à la France à un positionnement relatif au mieux médiocre dans le concert des nations.

Entre adhésion des populations et coercition, quelle stratégie fonctionne le mieux ?

Charles Reviens : Différentes réflexions comparent la performance relative des politiques de coercition et d’adhésion du public. Ainsi un article d’une université norvégienne conclut aux limites de l’approche coercitive : la pandémie, choc perturbateur, nécessiterait le comportement rationnel de toute la population dans un court laps de temps. Mais la volonté de mettre en œuvre des solutions rapides conduirait souvent à des stratégies irréfléchies pour influencer le comportement des personnes, les entreprises et les organisations par l’'utilisation d'une force coercitive intrusive qui peut conduire à des oppositions résolues, à la perte de confiance et à l’augmentation des conflits. En revanche la parole d'experts légitimes et l'utilisation active de modèles d’exemplarité basés sur l’intégrité, la confiance et l’engagement constitueraient des options constructives pour transformer le comportement des gens de façon plus efficace.

Ces réflexions générales doivent toutefois tenir compte de contextes anthropologiques particulièrement variés et à des habitus dans la gestion du pouvoir. La France est depuis longtemps une « société de défiance » avec un niveau de confiance dans les représentants institutionnels particulièrement faible, ce qui donne des limites de départ forte aux stratégies basées sur la création de la confiance.

Un article Atlantico de Yann Alban en octobre 2021 constate la dégradation de la confiance dans la parole scientifique au cours de la pandémie (90% de confiance avant, 70 % un an après). Cette dégradation n’a pas aidé à renforcer l’efficacité des politiques publiques et a été notamment renforcée par le rôle central donné à un conseil scientifique principalement composé d’épidémiologistes peu légitimes pour conseiller les pouvoirs publics sur une crise ne se limitant pas à sa dimension sanitaire mais avec des aspects également psychologiques ou économiques. La faible confiance envers le gouvernement s’est ainsi diffusée vers les scientifiques à l’occasion de la crise.

D’un point de vue de politique publique, à quel point y-a-t-il besoin de confiance dans la parole publique pour qu’il y ait confiance et adhésion dans les mesures ?

Rafaël Amselem : Nous avons deux très bons exemples actuellement : le masque et la crise de l’énergie. Sur ces deux phénomènes, dans l’absolu, il pourrait être possible d’agir de manière non coercitive si chacun se prenait en responsabilité, que les autorités communiquaient les bonnes informations et comportements : porter le masque, réduire sa consommation. Or, cette spontanéité présuppose une confiance dans le personnel dirigeant qui nous fait cruellement défaut, du fait d’une absence de responsabilité et d’efficacité politique. Sur l’énergie par exemple, les efforts à fournir pèsent sur la population, alors que notre situation résulte de l’incurie des décideurs passés et actuels sur le nucléaire, qui a été sabordé pour des questions idéologiques.

Twitter a mis fin à sa politique de lutte contre la désinformation sur le Covid-19 en raison de l’évolution des discours officiels. Peut-on comprendre cette logique ?

Rafaël Amselem : Oui et non. D’une part, cette décision est tout à fait légitime car le consensus scientifique qui s’est construit autour de la politique sanitaire, de la vaccination, a évolué. Et c’est une bonne chose. C’est ainsi que le processus scientifique fonctionne. Les données sur la vaccination ont évolué. Et dans une situation soumise à des changements aussi importants, il me semble difficile d’établir ce qui est un fake news et ce qui n’en est pas, du moins on risque vite de tomber dans la répression d’opinions.

Mais le vrai sujet, c’est la capacité des plateformes à pouvoir réguler l’expression. Les algorithmes sont capables de donner une visibilité supérieure ou inférieure à tel ou tel camp. C’est une forme de privatisation de la liberté d’expression. De ce point de vue, il ne me semblerait pas illégitime de réguler les plateformes. Non pas à la manière de la loi Avia mais en facilitant une protection de la liberté d’expression.

A l’heure actuelle, est-il encore possible de restaurer la confiance dans la parole publique, face à cette vague qui arrive ?

Rafaël Amselem : C’est une question fondamentale. Et il y a deux leviers d’actions mais ils nécessitent un débat. Il s’agit d’abord de questionner les institutions. S’il n’y a pas de confiance c’est en partie car il n’y a pas de mise en jeu de la responsabilité des décideurs - favoriser les bons et punir les mauvais, situation qui résulte des institutions de la cinquième République, qui isolant la figure du président. C'est déjà ce que constatait Raymond Aron en son temps. C’est devenu encore plus vrai depuis le passage au quinquennat avec concomitance de la présidentielle et des législatives. Et cet isolement de l’exécutif nuit à la démocratie. Il faut de la vitalité dans le débat, que les représentants soient de vrais relais de l’opinion publique, etc. Si nous le faisions, puisque la parole publique serait plus en accord avec la société, nous pourrions, je l’espère retrouver de la confiance, y compris les élites français.

A quel point la confiance dans la parole publique s'est-elle révélée déterminante pour l'adhésion et l'efficacité au mesure ? Est-ce ce qui nous fait le plus défaut aujourd'hui ?

Charles Reviens : Il ne faut pas oublier que la compétition électorale est souvent beaucoup plus importante pour les acteurs politiques que l’efficacité des pouvoirs publics. C’est bien entendu le cas en France où les considérations de communication politique et électorale l’emportent depuis de nombreuses années sur l’efficacité de l’action publique ou la recherche du bien commun.

La gestion de la crise sanitaire covid-19 n’a pas échappé à cette règle et en a même constitué un exemple saisissant. L’explication de la politique sanitaire par les considérations électorales est ainsi beaucoup plus aisée que par la recherche de la meilleure efficacité sanitaire et la lecture des sondages explique beaucoup mieux les choix publics que les données sanitaires. La mise en place des pass était soutenue par une majorité de Français : 64 % favorables au pass sanitaire en septembre 2021, 63 % favorables au pass vaccinal en janvier 2022, en particulier les Français âgés et les retraités, populations assurant le contrôle du succès électoral et qui ont voté à plus des deux tiers pour Emmanuel Macron au second tour des élections présidentielles et garanti son succès.

La question de l’efficacité sanitaire pouvait donc sembler très accessoire par rapport à l’opportunité politique. Il y a eu ainsi une nette domination du « cliver fracturer diaboliser » électoral sur le « tester tracer isoler » de la santé publique.

Comment interroger la proportionnalité des mesures ?

Rafaël Amselem : C’est là toute la difficulté.D’une part, l’absence de majorité absolue est à même de permettre aux oppositions de transformer l’Assemblée nationale en lieu d’évaluation des politiques publiques. D’autre part, il faut réorganiser nos institutions en vue d’accorder plus d’importance aux contre-pouvoirs, donner des moyens financiers et techniques à l’Assemblée pour accomplir cette mission, consacrer une véritable place au Conseil constitutionnel et au Conseil d’Etat.

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