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Consommation d’information post-déconfinement : comment trouver la juste dose
©FRANCK FIFE / AFP

Vigie face à la crise

Les Français ont été submergés par l’information ces derniers mois. Cette "dépendance" aux médias va-t-elle se poursuivre lors de la phase du déconfinement ?

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico.fr : Les Français ont été submergés par l’information ces derniers mois. Parfois soumis à des fake news, des contradictions… Tout le monde est davantage à l’affût de l’information. Au déconfinement, ces consommateurs d’informations vont-ils continuer à en dépendre ?

Jean-Paul Mialet : N’ayant plus autant de temps libre, on peut supposer qu’ils seront moins derrière leurs écrans à guetter les nouvelles informations. Ils ont eu le temps de s’habituer à l’infection et n’attendent plus autant de renseignements qu’au moment où l’épidémie s’est déclarée. Ils connaissent bien ce que l’on sait et ce que l’on ignore du virus, ils ont entendu les experts se contredire, ils ont compris les enjeux politiques : bref, ils ne sont plus sous le choc de la nouveauté. 

Mais le déconfinement est une étape. Le virus va-t-il se propager rapidement ? Une nouvelle vague est-elle à redouter ? Comment vont être organisés les transports ? On voit bien que ce  retour à la vie non confinée ne se fait pas sans inquiétude, et les nouveaux foyers de contaminations signalés dans des départements pourtant « verts » montrent que le virus demeure actif. Comme on le leur a dit, l’épidémie n’est pas vaincue, il va falloir apprendre à vivre avec le virus. Et la crainte reste vive. D’autant que les informations dans lesquelles ils ont baigné jusqu’à présent ne sont pas rassurantes. On leur a beaucoup parlé des horreurs de la détresse respiratoire aiguë, images à l’appui – corps allongés dans une forêt de tuyaux et de fils, au milieu d’une kyrielle d’écrans de monitoring – et l’on a compté chaque soir avec application les morts quotidiens, à l’occasion d’une  cérémonie funèbre dirigée par un officiant à la mine de circonstance.  Qui pouvait alors ne pas penser qu’il faisait bon être chez soi, bien protégé ?…  D’autant qu’on a largement insisté sur la diffusion galopante de ce sinistre virus, qu’il fallait contenir à coup de gestes barrières, et, selon les cas, de masques (ces derniers alimentant au demeurant une rhétorique contradictoire très peu rassurante). Mis à part Raoult, le célèbre Professeur de Marseille qui pour certains, pêche par désinvolture, personne ne le a réconfortés en leur rappelant une évidence : ce virus est sévère, mais il n’est au fond que rarement méchant. Certes, il tue – plus volontiers des personnes âgées ; mais dans 98% des cas, il ne fait que passer. Et dans 50% des cas, il passe même sans qu’on s’en aperçoive… En somme, il est plus bénin que les drogues, le tabac ou l’alcool qui, eux, tuent des jeunes.

Dominique Wolton : Nous avons bien vu que nous dépendions des informations ces dernières semaines. Mais nous avons fait face à une société démocratique à une vitesse,  où nous étions obligés d’attendre les ordres du Premier ministre Édouard Philippe et du président Emmanuel Macron. Je ne suis pas certain que les Français obéissent aux consignes et informations qui nous ont été données et que nous allons continuer à suivre attentivement l’information malgré le fait que nous en soyons tributaires. Dans la mesure où il y a un flot d’informations qui part dans tous les sens et qui ne s’arrête jamais, je pense qu’il va y avoir saturation de la part de la population. Les gens vont arrêter d’écouter et de regarder l’actualité. D’autant plus que ce gouvernement pense qu’il suffit de dire des choses et de les décider pour que les Français obéissent...  Selon moi, même en période de pandémie, on ne peut pas demander en permanence de suivre les ordres. 

Par contre, il est certain qu’il y a de l’angoisse. Et c’est pour cette raison que les gens vont chercher de l’information, d’autant plus avec cette situation qui est très instable. En somme, ce n’est pas le volume d’information qui pose véritablement problème, c’est plutôt le contenu de l’information qui est donné et qui est acceptée ou non par les individus. Trop d’information tue l’information. 

Enfin, ce n’est pas en donnant la parole aux gens qu’il y aura un rééquilibrage dans la balance. Comme je l’évoquais, nous sommes dans une information unilatérale. Plus cela dure dans le temps, moins cela paraît crédible. Les annonces du gouvernement durent des heures… Les Français en ont marre. 

Comment ne pas rentrer dans une paranoïa excessive liée à l’information ? Comment ajuster notre besoin de s’informer en fonction de notre profil ?  

Jean-Paul Mialet : La paranoïa n’est-elle pas déjà là ? Et ne l’était-elle pas bien avant ce virus ? Cela fait plus d’une dizaine d’années que j’observe des cyclistes masqués à Paris, espérant avec naïveté qu’un simple voile de coton les protègera de la pollution atmosphérique. Car n’oubliez pas que depuis longtemps, on nous rabâche que l’air tue. Sans doute est-ce pour de bons motifs, pour nous encourager à freiner les émissions polluantes. Mais le résultat est là : un peu partout en France, et en particulier dans les grandes villes, on redoute l’air ambiant. Le virus ne fait donc qu’aggraver un fond de méfiance, présent de longue date, pour l’air que nous respirons. 

Mais reprenons votre question : vous me parlez du consommateur de l’information, ne serait-il pas plus avantageux de se placer de l’autre côté, c’est à dire du côté des sources d’information ? Car la plupart des sources d’information méritent à peine leur nom : plutôt que l’information, elles cherchent la sensation, pour mieux vendre ; ou bien elles se bornent à répéter ce qu’il convient de dire, pour être approuvées. Les sources d’information ne laissent donc souvent le choix qu’entre émotion ou propagande. 

Voyons ce qui s’est passé jusqu’à présent pour ce virus : c’en est une bonne illustration. Les débats neutres et objectifs, les informations factuelles sont rares. Dommage, car il y aurait beaucoup de pédagogie réalisable, à la manière de certaines émissions scientifiques, sur des sujets sensibles comme les masques, les tests etc., en expliquant ce qu’est un virus, sa vie et sa mort, comment viennent les anticorps… De plus, trouve-t-on beaucoup d’émissions destinées à rasséréner, dans ce climat de grande tension ? Non, on préfère les affrontements, entre camps politiques, entre experts de tous poils…Autre exemple : on nous rappelle régulièrement le numéro d’appel destinées aux femmes victimes de violence conjugale, mais avez-vous entendu parler de CovidEcoute, la plateforme psychologique mise en place par un groupe de psychologues et psychiatres pour répondre à ceux qui se sentent déstabilisés par le confinement ? La détresse émotionnelle ne compterait-elle donc pas face à la violence faite aux femmes, seul juste combat – et où il n’est encore question que de conflit ?

Comment répondre à votre seconde question sur l’ajustement en fonction du profit? Un peu brutalement,  je dirai que les anxieux (comme les paranoïaques) ont intérêt à fermer leur poste de télévision, puisque tout est fait pour alimenter leurs préoccupations. Je note d’ailleurs que qu’un certain nombre de mes patients n’ont pas attendu cette recommandation pour fermer leur poste… Les non anxieux, eux, sont moins en danger : ils ont une défense naturelle contre les informations anxiogènes qu’ils ne ruminent pas et qui captent moins leur attention.  Cette défense a néanmoins ses limites. Il est clair que le bombardement par les informations sinistres qui nous parviennent en boucle nécessite une grande résistance émotionnelle. Espérons que le confinement qui évite les dangers du virus ne provoquera pas, à terme, des séquelles obsessionnelles ou paranoïaques dues au bombardement télévisuel… Dans tous les cas, l’aggravation de ceux qui avaient, avant la crise, ces déformations de leur sensibilité, fait peu de doutes. 

Dominique Wolton : Plus il y a d’informations, plus il y a de rumeurs, ce qui amène de la paranoïa et donc créé des fake news. Le problème c’est que les pouvoirs publics ne s'en rendent absolument pas compte.  Ce qui est terrible, c’est que les chaînes d’info en continu font de la dramatisation pour pouvoir vendre, et que tout le monde se met à en faire. Il y a un ras-le-bol global de la société à la fin. Les rumeurs et les fake news sont une vraie question théorique sur laquelle je travaille. C’est une manière comme une autre pour les citoyens de s’approprier l’information. Quand on véhicule une rumeur, ce n’est évidemment pas correct, mais c’est une façon de dire « stop ». Ce n’est pas moral, pas démocratique, mais c’est une arme que développe le citoyen pour résister. Bien sûr qu’il faut condamner les fake news, mais il faut s’intéresser à pourquoi il en existe autant… Je pense que c’est un rapport de force. 

Est-il indispensable pour l’ensemble de suivre l’actualité lors de crise comme le coronavirus ? Si l’information est suivie par l’ensemble des individus,  entraîne-t-elle un respect plus important des consignes de précaution ? 

Jean-Paul Mialet : Il est bien entendu indispensable de s’informer sur ce qui se passe sur cette planète, en temps de paix comme en temps de crise. Toutefois, on peut regretter que, peut-être en raison de la prééminence de l’image, l’information ait pris un tour sensationnel ou répétitif. Naturellement, lors qu’une crise comme celle que nous connaissons se produit, l’information ne peut être que menaçante : il n’est pas question de minimiser le danger. Mais doit-on l’aggraver ? 

Je vous ai dit combien, toutes proportions gardées, ce virus était objectivement relativement bénin. Cependant, mettons qu’il ne tue que dans 1% des cas et qu’il infecte 60 % des français, ce qui pourrait se produire si on le laissait filer en attendant l’immunité collective : cela fait tout de même 390.000 morts… Ce n’est pas rien, même s’il s’agit en majorité des plus âgés d’entre nous (dont je suis), et l’on conçoit que tout soit fait pour en limiter la propagation. Il est donc important de prendre la chose au sérieux. Et peut être de faire peur pour que chacun respecte bien les consignes de précaution ; une certaine pression est sans doute nécessaire. 

Cela conduit à relativiser mes accusations à propos du harcèlement médiatique : il y a des circonstances atténuantes. Néanmoins, en exagérant trop la pression, on rend le risque de faire naître de comportements inappropriés : les timorés n’oseront quitter leur refuge pour reprendre le travail, et les risque-tout ne tiendront pas compte de consignes excessives qu’ils tourneront en dérision. Il y a donc un juste niveau à trouver. Y est-on ? 

Beaucoup se plaignent que le Covid envahit toutes les nouvelles. Un ami, récemment, me confiait : « Ce qui me manque le plus, c’est de ne plus pouvoir lire la page foot-ball de mon journal ». Tout en maintenant l’alerte, ne serait-il pas salutaire, à présent, de déconfiner les esprits, si l’on ne veut pas que la crise sanitaire d’aujourd’hui se complique demain d’une crise de la santé mentale ?

Dominique Wolton : Évidemment, surtout que nous en dépendons clairement en ce moment. Le vrai problème ne se trouve pas dans les médias de masse : ils disent bien moins de bêtises que les réseaux sociaux. Il est vraiment important que les médias classiques maintiennent leur rôle. D’ailleurs, nous pouvons noter qu’il y a beaucoup plus d’audience en télévision et en radio en ce moment qu’il y a cinq ans à la même période, car on fait confiance aux médias dès lors où nous nous trouvons en crise.

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