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Conseil européen : faut-il croire au changement de discours de l’Allemagne pour tenter d’obtenir la tête de la BCE ?
©YVES HERMAN / POOL / AFP

Francfort vaut bien une messe d'accommodement monétaire

Jens Weidmann, candidat allemand à la présidence de la BCE pour succéder à Mario Draghi, vient d'expliquer qu'il avait changé d'avis sur le rachat d'obligations par la BCE.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Au sein du Conseil des gouverneurs, le jeune banquier central allemand avait été le seul à s'opposer au programme dit d'Opérations monétaires sur titres (OMT), dans lequel il voyait un financement déguisé des Etats par la BCE. En 2013, il avait même témoigné contre la BCE lors d'un procès en Allemagne sur les OMT. Avec cette nouvelle prise de position, se rend-il service ?

Christophe Bouillaud : Entre apparaître comme une girouette sans convictions ou un psychorigide incapable de prendre en compte l’expérience, il a visiblement choisi. « Francfort vaut bien une messe » pour paraphraser un de nos plus grands rois de France. De toute façon, toute l’évolution de l’Euro depuis 2012 prouve que Mario Draghi et ceux qui l’ont appuyé dans ses choix ont pris les bonnes décisions, peut-être même les seules possibles vu le contexte institutionnel et politique dans lequel ils opéraient. Sans cette gestion dite hétérodoxe de la zone Euro – hétérodoxe, vu par exemple de l’opinion admise par les économistes standards de 1985-1992 au niveau mondial, et par la plupart des économistes allemands encore aujourd’hui -, l’Euro n’existerait probablement plus. L’idée que la BCE doive jouer, certes toujours in extremis, son rôle de prêteur en dernier ressort automatique pour tous les Etats membres de la zone Euro s’est imposé de fait.

Par ailleurs, la faiblesse persistante de l’inflation en dépit d’années et d’années de taux d’intérêts faibles, nuls ou même négatifs, de la part des banques centrales, a mis à mal tout l’édifice intellectuel sur lequel reposaient les prises de position de Weidmann en 2012-13. On a eu beau revenir, indirectement certes, à un financement monétaire des Etats, rien ne se passe en termes d’inflation, et encore moins d’hyperinflation – sauf à constater que le calcul de l’inflation devrait prendre en compte les marchés d’actifs (immobiliers en particulier). Enfin, tout le monde se rend bien compte qu’il est hors de question de rejouer le jeu délétère de l’austérité à tout crin comme en 2010-2012 pour sortir d’une crise à venir. D’une part, l’austérité plombe l’économie, n’en déplaise aux fanatiques de l’ « austérité expansive », d’autre part, à terme, l’austérité constitue, comme dans les années 1930, le terreau idéal pour la montée des extrémismes, surtout de droite il faut bien le dire. Un papier va d’ailleurs sortir dans une revue majeure de la science politique pour montrer que le vote majoritaire pour le Brexit résulte de l’austérité adoptée au Royaume-Uni pour sortir de la crise dans ces mêmes années. Ce retour sur expérience des années 2007-2018, va en fait bien au-delà de la seule gestion de la zone Euro. Autrement dit, l’ambiance intellectuelle a changé depuis 2012-13.

Qui Weidmann espère-t-il rallier en Europe sur cette idée ? 

D’une part, il y a cet aspect d’adaptation de Weidmann à ce qui apparait comme le nouveau consensus mondial des économistes et accessoirement des politistes. Il faut innover, prendre des risques, et on ne s’en sortira pas avec l’application du monétarisme à l’ancienne. Il augmente ainsi sa crédibilité personnelle, puisque des tas de gens, dont moi-même à travers cet entretien, diront qu’il est finalement « bien moins con qu’il n’en a l’air » - désolé de la vulgarité de la formule, mais c’est l’idée qu’il veut transmettre par cette annonce.

D’autre part, comme il est allemand, il doit bien montrer aux dirigeants des pays de l’Europe du sud, en particulier aux dirigeants italiens actuels, qu’il ne va pas se lancer dans une politique de remontée des taux, et surtout d’indifférence face aux éventuelles difficultés d’un Etat membre à se financer à des taux raisonnables. En somme, par cette déclaration où il admet que l’OMT était une mesure nécessaire, finalement, il signale qu’il tiendra compte des intérêts de tous les Etats de la zone Euro. C’est bien le moins qu’il puisse faire pour ne pas se heurter à un véto décidé des pays du sud de la zone Euro.

Les discussions autour des OMT (Opérations monétaires sur titres) ont divisé les pays au sein de l'Union européenne. Quel signe enverrait une victoire de Weidmann, candidat allemand d'un pays politiquement important, au reste de l'Europe ? 

Tout d’abord, cela serait une prise de risque pour les pays du sud de l’Europe. Est-ce qu’une fois nommé pour neuf longues années, Weidmann ne tenterait pas de revenir à la bonne vieille vision « ordo-libérale » de la Bundesbank ? Est-ce qu’il n’aurait pas tendance à vouloir remonter les taux pour redonner du pouvoir d’achat aux épargnants allemands ? Est-ce qu’il saurait réagir adéquatement face à une crise frappant un pays d’Europe du sud ?

Surtout cela confierait l’un des postes les plus importants de toute l’Union à un allemand. L’Allemagne, comme l’Etat le plus peuplé et le plus fort économiquement, pèse déjà énormément dans toutes les décisions de l’Union européenne. Avec le départ du Royaume-Uni, son poids relatif augmentera encore. Lui donner en plus ce poste de président de  la BCE, dont l’histoire depuis 2008 a montré qu’il était vital dans les équilibres politiques et économiques de l’Union, serait vraiment renforcer visiblement le poids de l’Allemagne dans la gouvernance de l’Union, est-ce souhaitable ? Un italien très américanisé comme Mario Draghi comme « empereur de l’Euro(pe) », cela passe, mais un allemand finalement très allemand comme Weidmann, est-ce bien raisonnable ?

De plus, si l’on observe les nominations au niveau européen depuis la fin de l’ère Delors (1985-1995), il semble qu’il existe une prime au fait de ne pas être français ou allemand. Dans le fond, dans les années récentes, le seul allemand ou français qui occupe une place décisive et visible dans le dispositif de la gouvernance européenne n’est autre que Michel Barnier. Depuis l’été 2016, il a été en charge de se débrouiller avec les Britanniques. Mais pour le reste, Français et Allemands sont condamnés à occuper des postes de second rang. Les autres pays se plaignent déjà que Français et Allemands n’en font qu’à leur tête en les  mettant trop souvent devant le fait accompli. Je doute donc que la nomination de Weidmann ne se heurte pas au final à ce problème, qui fera que les dirigeants lui préféreront quelqu’un ayant la nationalité d’un plus petit pays.

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