Conseil de politique nucléaire : le gouvernement a-t-il en tête l'avenir de la France... ou ses préconçus idéologiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le conseil pourrait aborder la question du nucléaire dans sa dimension stratégique, c’est-à-dire avec, comme préoccupation première, l’avenir de la France.
Le conseil pourrait aborder la question du nucléaire dans sa dimension stratégique, c’est-à-dire avec, comme préoccupation première, l’avenir de la France.
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C'est de la bombe

Le chef de l'Etat présidera ce vendredi un conseil de politique nucléaire qui réunit les acteurs de la filière. Il devrait, à cette occasion, réaffirmer les objectifs de la France en la matière. Des objectifs qui pourraient nous mettre sous la coupe des Russes, en émettant beaucoup plus de C02 qu'aujourd'hui et en dépensant des milliards d'euros par an qui seraient mieux employés à payer des chercheurs ou des médecins.

Henri Prévot

Henri Prévot

Henri Prévot est ingénieur général des Mines. Spécialiste des questions de sécurité économique et de politique de l'énergie, il tient un site Internet consacré à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Il est l'auteur du livre "Avec le nucléaire" paru chez Seuil.

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Le conseil politique sur le nucléaire entérinera-t-il ce qui a été présenté comme des décisions déjà prises, à savoir l’arrêt des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim avant la fin de 2016 et l’abaissement de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75% à  50% ?
Plutôt que de se demander  « à quoi s’attendre », demandons-nous ceci : « que peut-on légitimement attendre » d’un conseil politique à l’Elysée sur le nucléaire ?

On peut attendre de ce conseil qu’il aborde la question nucléaire dans sa dimension stratégique, c’est-à-dire avec, comme préoccupation première, l’avenir de notre pays, la France, dans un contexte mondial travaillé par des rapports de forces où sont en jeu notre influence dans le monde et jusqu’à la possibilité de préserver chez nous les valeurs qui nous font vivre. C’est dans ce contexte que doit être vu notre déficit commercial. Il nous oblige à nous endetter ; le débiteur perd de son indépendance. Les 66 milliards d’euros de pétrole et de gaz que nous avons importés en 2011 sont majoritairement versés à des pays, la Russie, les pays du golfe Persique ou d’autres, qui ne partagent pas nos valeurs – inutile d’insister – et qui ne cachent pas qu’ils ont là un moyen de peser sur nos décisions dans le monde et en France même.

Par ailleurs, quels que soient les efforts faits pour améliorer l’efficacité énergétique, un réacteur nucléaire de moins en France, c’est plus d’émission de CO2, c'est-à-dire plus de dommages causés par le réchauffement climatique - des dommages dont souffriront surtout les peuples pauvres. Si l’on porte son regard au-delà de son pré-carré, il apparaît qu’un pays qui maîtrise la production d’électricité nucléaire a, vis-à-vis des peuples pauvres, la responsabilité de l’exploiter pleinement. Comment un conseil stratégique présidé par le président de la République pourrait-il ne pas le voir ?

On ne voit pas comment la réduction de part du nucléaire de 75% à 50% répondrait aux enjeux stratégiques. Pourquoi donc cet objectif ? Serait-ce pour « ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier » ? Mais il est facile de montrer qu’une très bonne sécurité d’approvisionnement en électricité est possible avec 75% de production nucléaire : il suffit de développer les usages où l’électricité peut être remplacée par une autre forme d’énergie qui, se stockant bien, sera disponible en cas de besoin. Il en sera ainsi avec les véhicules hybrides et les chauffages hybrides, comme je le montre dans Avec le nucléaire.

Pour sa sécurité d’approvisionnement en énergie et pour participer à la lutte mondiale contre le réchauffement climatique, la France devra beaucoup diminuer sa consommation de gaz, de fioul et de carburant pétrolier. Si la part du nucléaire dans la production d’électricité diminuait, les consommateurs devraient dépenser chaque année des dizaines de milliards d’euros de plus que si la capacité nucléaire augmentait. Ce ne sont pas des chiffres en l’air : des feuilles de calcul permettant d’évaluer les dépenses en fonction de la capacité nucléaire sont à la disposition de tous sur Internet.

Il suffit de penser à quoi ces moyens financiers pourraient être employés (l’éducation de la jeunesse, l’accompagnement des personnes âgées, la recherche, l’innovation, la construction d’un deuxième porte-avions, l’aide aux peuples qui se battent pour leur liberté, la diminution de notre endettement…) pour se persuader qu’un Conseil politique tenu à l’Elysée ne peut pas ignorer le coût d’une diminution de la capacité de production nucléaire.

L’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim ? Le motif en est-il technique ?Certainement pas, car cela signifierait que les décideurs politiques contestent les avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, dont personne ne met en doute les compétences. Le motif n’est pas non plus économique, selon l’exploitant de la centrale. Est-ce parce que les réacteurs auront 40 ans ? La  raison ne serait pas convaincante puisque ils sont encore bons pour le service et que des réacteurs du même modèle, aux Etats-Unis, ont l’autorisation d’atteindre 60 ans. On devine les raisons, bien sûr. Dans la perspective qui est, à n’en pas douter, celle d’un Conseil stratégique présidée par l’Elysée, ces raisons ne sont vraiment pas à la hauteur. On est d’autant plus navré d’entendre des justifications petites et fallacieuses : montrer sans attendre qu’il est possible de démanteler des réacteurs nucléaires (alors que d’autres pays l’ont déjà montré) ou créer autant d’emplois pour démolir des réacteurs que pour les exploiter (ce qui est démenti par l’expérience de démantèlement du surgénérateur de Creys Malville).

Dans le contexte économique et stratégique actuel, casser un outil qui fonctionne pourrait être vu comme une insulte à la raison. Ce qui pose une autre question qui - pourquoi pas ? - pourrait intéresser un conseil politique tenu à l’Elysée. Comment dans un pays démocratique prendre des décisions qui intéressent tous les citoyens dans leur vie de tous les jours et la nation dans son avenir à long terme ? Quelle est la place de la communication, des rapports de force politiques, des experts, des fonctionnaires, des élus ? Les opinions doivent-elles toutes avoir le même poids et occuper la même place par respect pour ceux qui les énoncent, quel que soit le sujet et quel que soit le degré de connaissance de ceux qui s’expriment ? C’est réellement là une question politique d’importance. Et l’on a parfois envie d’appeler Condorcet au secours !

Cette question, la relation entre l’émotion et la raison sera en toile de fond du débat sur l’énergie qui s’ouvre ces jours-ci – et qui soulève une autre question. Si les mots ont un sens, lorsque le pouvoir engage un débat sur un thème, aucune décision irréversible ne peut être prise avant que soient tirées les conclusions du débat. Il y va de la qualité des relations entre les citoyens et le pouvoir – autre sujet qui ne peut laisser indifférent un conseil politique tenu à l’Elysée.

Je ne sais donc pas à quoi m’attendre du conseil qui se tient ce vendredi, mais je sais que j’en attends qu’il ne prenne aucune décision irrévocable sur l’avenir de Fessenheim ni sur la place du nucléaire dans la production d’énergie en France, qu’il décide de donner plus de poids à la raison qu’à l’émotion et qu’il intensifie les recherches sur les surgénérateurs pour que l’humanité puisse disposer de moyens de production d’énergie sûrs et inépuisables.

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