Conseil de défense sanitaire : un gouvernement beaucoup plus optimiste que ses experts<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex et Olivier Véran présentent de nouvelles mesures pour freiner les contaminations liées à la Covid-19 et au variant Omicron lors d'une conférence de presse, le lundi 27 décembre.
Jean Castex et Olivier Véran présentent de nouvelles mesures pour freiner les contaminations liées à la Covid-19 et au variant Omicron lors d'une conférence de presse, le lundi 27 décembre.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Lutte face au variant Omicron

Face à la dégradation de la situation sanitaire, un Conseil de défense sanitaire s'est tenu ce lundi. Pour tenter d'endiguer la nouvelle vague Omicron, Jean Castex et Olivier Véran ont présenté de nouvelles mesures. Les nouvelles restrictions sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? Le gouvernement aurait-il pu prendre des mesures plus fortes ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Jean Castex a déclaré que la situation était « particulièrement tendue » et a annoncé de nombreuses mesures pour contrer la flambée des cas de Covid-19. Les nouvelles restrictions mises en place par le gouvernement sont-elles à la hauteur de l’enjeu ?

Antoine Flahault : On ne voit pas de quelles nouvelles mesures le Premier Ministre parle ici ? Pas de couvre-feu, pas de report de la rentrée scolaire et universitaire, des jauges en intérieur à 2000 personnes… Le gouvernement français a décidé de tourner le dos aux conseils de ses scientifiques, pour la deuxième année consécutive à peu près à la même période. Il mise sur une stratégie du « tout vaccinal » dont on sait les limites depuis un an partout dans le monde où elle a été mise en œuvre sans s’adjoindre d’autres mesures fortes lorsque la situation épidémiologique l’exigeait. Le Royaume-Uni devient aujourd’hui la boussole de plusieurs gouvernements européens en matière de riposte contre la pandémie. La doctrine libérale, peut-être court-termiste, semble l’avoir emporté en ce soir du 27 décembre au sein de l’exécutif français.

Le gouvernement souhaite tout miser sur la vaccination pour ralentir la circulation du variant Omicron. Cette stratégie est-elle la bonne ? 

Si la stratégie du « tout vaccinal » avait réussi quelque part dans le monde, cela se saurait. Le Royaume-Uni l’a appliquée avec constance depuis le 19 juillet dernier, avec le succès que l’on connaît aujourd’hui alors que les Britanniques se débattent dans une vague Omicron sans précédent. Israël semble miser également l’essentiel de sa stratégie sur le vaccin. Lancé dans une course sans fin vers de nouvelles doses vaccinales, l’Etat hébreux connaît aujourd’hui une rapide progression de ses contaminations dues à Omicron, avec un taux de reproduction effectif supérieur à 1,30. Mais Israël a, en plus de sa stratégie vaccinale, quasiment verrouillé ses frontières, ce que la France ne compte pas faire. Le Danemark avait tout misé sur le vaccin à partir de septembre dernier et se retrouve aujourd’hui avec le pire pic de contaminations qu’il ait connu, sans que la progression de l’épidémie ne semble connaître de répit avec une forte augmentation de ses hospitalisations et de ses décès désormais. Le Danemark a pris des mesures additionnelles dès le 9 décembre pour tenter d’enrayer la progression du variant Omicron, rendant l’enseignement scolaire et universitaire en ligne, fermant bars, restaurants et discothèques à partir de minuit.

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Les mesures annoncées auraient-elles dû être prises plus tôt ?

Le Conseil Scientifique auprès du gouvernement avait proposé un certain nombre de mesures fortes pour limiter la progression du variant Omicron. Le gouvernement français a préféré suivre une autre route et ne pas les mettre en œuvre, pour la plupart. Chacun doit cependant rester dans son rôle. Il ne m’appartient pas de juger les mesures que les gouvernements mettent en œuvre et notre rôle de scientifiques est plutôt de livrer des analyses de la situation épidémique actuelle, de dresser des comparaisons internationales et de faire des recommandations pour aider les gouvernements à reprendre en main la situation, et en tous cas pour ne pas l’aggraver. Les politiques prennent ensuite leurs décisions en tenant compte du contexte social, politique et économique, qui échappe aux scientifiques en large partie.

Alors que les feux d’artifice sont annulés et que la consommation d’alcool sera interdite sur la voie publique, il n’y aura pas de couvre-feu le 31 décembre. La rentrée des classes, prévue le 3 janvier, ne sera pas décalée. Le gouvernement aurait-il pu prendre des mesures plus fortes ?

Il semble que le gouvernement français n’ait souhaité privilégier que le scénario optimiste dans sa stratégie de riposte contre le variant Omicron. Le variant Omicron serait certes très contagieux mais tellement moins virulent que les souches précédentes. La vague qui enfle aujourd’hui dans toute l’Europe de l’Ouest ainsi qu’en Amérique du Nord n’aurait donc pas de conséquences notables. Le Conseil Scientifique placé auprès du gouvernement a alerté le gouvernement et la nation depuis quelques semaines en évoquant un risque de saturation incontrôlée des hôpitaux, et une possibilité de désorganisation de la société, ce n’est pas rien ! En faisant le seul pari du scénario optimiste, le pouvoir exécutif joue à un jeu potentiellement dangereux si la réalité se révèle plus sombre, puisqu’il prend alors le risque de ne plus disposer de marge de manœuvre suffisante pour redresser la situation si elle devait partir sur une trajectoire inédite dès la rentrée de janvier. Le gouvernement voit l’épidémie régresser en Afrique du Sud, le premier pays de la planète à avoir été touché par le variant Omicron. Il n’y a pas eu de saturation des hôpitaux, ni de vague de décès prédite par les experts dans ce pays pourtant largement moins bien doté en équipement hospitalier qu’en France. Mais la situation sud-africaine est-elle transposable à celle de l’Europe ? Le pays entre en été, les interactions sociales se passent davantage à l’extérieur, les locaux intérieurs sont plus faciles à ventiler. Par ailleurs, les enquêtes de séroprévalence indiquent clairement que la plupart des sud-africains ont davantage rencontré le coronavirus que les Européens. Par ailleurs, les personnes de plus de 60 ans y sont au moins aussi vaccinées qu’en France.

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Certes, le scénario optimiste n’est pas irréaliste, mais une sage anticipation n’aurait-elle pas été de prévenir un scénario autrement plus pessimiste ? Sans évoquer de scénarios catastrophistes (même s’ils ne seraient pas non plus totalement irréalistes), n’aurait-il pas été plus prudent de tenter de limiter davantage les contaminations, en cette période critique, puisque l’on sait qu’elles ne sont que le fruit de nos interactions sociales ? La décision de fermer les discothèques avait envoyé un premier signal en ce sens début décembre. Mais entre les deux fêtes, le gouvernement français semble avoir calé devant les mesures fortes qu’il pouvait décider de prendre. Peut-être a-t-il redouté leur impopularité trop grande ? Ou au contraire a-t-il sous-estimé la capacité des Français à vouloir enrayer la pandémie et à attendre de la part des politiques des initiatives à la hauteur des enjeux posés par les experts ? Espérons sincèrement que le pari gouvernemental misant le 27 décembre 2021 sur un scénario très optimiste ne sera pas à regretter dans les semaines à venir.

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