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Communication négative : Nicolas Sarkozy doit-il attaquer plus durement François Hollande comme le font les politiques américains ?
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Inspiration

De passage à Paris la semaine passée, Cornell Belcher, spécialiste des sondages et des études d’opinion pour Barack Obama depuis la campagne de 2008 expliquait que dans sa position "de challenger", Nicolas Sarkozy devrait se montrer plus violent. S'ils s'inspiraient des Etats-Unis, les candidats verraient que les attaques sur la personne politique qu'est l'adversaire sont aussi un moyen de montrer aux électeurs ce qui distingue les différents concurrents. En France, seuls les candidats des extrêmes semblent avoir compris cette leçon.

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Atlantico : Lorsque les politiques américains font campagnes, ils n’hésitent pas à être très agressifs, que ce soit dans leurs mots ou dans leurs vidéos. Les Français pourraient-ils s’inspirer de cet exemple ?

Jean-Luc Mano : Il y a une tradition américaine qui est évidemment très différente. Cela se voit dès les primaires, qui sont en réalité le combat le plus rude. Les politiciens américains ont par contre une très forte capacité à se retrouver après car les familles restent très identifiées et très soudées. Les transferts d’électeurs fidélisés entre Républicains et Démocrates sont extrêmement rares. Vous pouvez donc avoir une bataille extrêmement rude entre Barack Obama et Hillary Clinton : ils seront parfaitement capables de faire front commun par la suite sans la moindre arrière-pensée. C’est aussi pour cela que la perdante peut se retrouver Secrétaire d’Etat du gagnant.

En France, la tradition est faite de haines persistantes. Les divergences internes aux partis sont plus marquées qu’elles ne le sont ailleurs. Si l’on regarde le champ de diversité au sein du Parti social-démocrate allemand ou du Parti travailliste britannique, il y a moins de différence entre l’extrême-gauche du Parti socialiste français et son extrême-droite. Il n’y a pas au sein de ces partis des cohabitations comparables à celle d’un Emmanuel Valls et d’un Arnaud Montebourg. De fait, la violence interne et les mots prononcés laissent davantage de traces. Le phénomène de rassemblement, suite aux primaires, n’existe pas. Il reste une observation médiatique qui continuera de veiller à ce que tout le monde, au sein du parti, fasse bien campagne et agisse bien. Même chose à droite où l’on peut se demander si un certain nombre de cadres de l’UMP font bien la même campagne. Ne sont-ils pas tout simplement en train de mener leurs propres campagnes, soit pour prendre la direction de l’UMP soit pour préparer la prochaine présidentielle ?

Pour ce qui est de la violence entre les candidats dans l’affrontement réel, il reste beaucoup plus modéré en France qu’aux Etats-Unis. On répète systématiquement que nous assistons à la campagne la plus dure que nous ayons jamais eue. François Hollande a dit qu’il fallait être « normal », Nicolas Sarkozy a dit que le candidat PS était « nul » … Il n’y a pas de violence verbale. A titre de comparaison, en 1981, la veille du second tour, la droite de l’époque organisait un meeting où elle accusait François Mitterrand de mettre la France en danger en ouvrant le pays à l’arrivée des chars de l’armée rouge sur la place des Invalides. Rien de tel aujourd’hui : la fin de la Guerre froide a largement civilisé la campagne.

Trois des conseillers de Barack Obama, présents à Paris cette semaine, préconisent qu'un regain d'agressivité pouvait-être la dernière chance de Nicolas Sarkozy de rattraper son retard sur François Hollande dans les sondages. Qu'en pensez-vous ?

Il est clair que dans la situation où se trouve Nicolas Sarkozy, il ne peut pas rester dans la tendance actuelle. Tout cela semble le mener à l'échec. Le mot « agressivité » me dérange car il laisse penser à quelque chose de personnel. Il s'agit en réalité d'être plus agressif politiquement. Il a intérêt à marquer plus de radicalité dans sa différence avec François Hollande.

Le problème de Nicolas Sarkozy, depuis le début, c'est le rejet sur sa personne. La seule chose qui pourrait lui permettre de l'emporter serait de jouer sur la défiance vis à vis de François Hollande et sur son expérience de la situation de crise. La première partie de la campagne de Nicolas Sarkozy, assez virulente vis à vis de François Hollande a d'ailleurs marqué ses fruits : il est remonté dans les sondages.

Il est en tout cas toujours intelligent de suivre les conseillers de Barack Obama. Ces gens sont globalement très bons dans l'ensemble des secteurs.

Cela ne risque t-il pas tout simplement de virer au pugilat ?

La dernière partie d'une campagne est toujours un pugilat. Une campagne électorale est un exercice pugilistique. Dans tous les cas, la question de la prise de risque ne se pose que pour le candidat qui est en tête. Lorsque les sondages vous donne entre 43 et 45% au second tour, vous n'avez rien à perdre. Quel risque plus grand que de perdre peut-il y avoir ?

Les candidats en général n’auraient-ils pas intérêt à être franchement plus agressifs, plus offensifs et à dire clairement ce qu’ils pensent de leurs opposants ?

Aux Etats-Unis, on considère que la vie politique est construite d’un unique bloc. De tout ce qui se dit au cours de la campagne, rien ne peut nuire à l’unité nationale. Cette unité n’est pas fragile. Les Américains peuvent se détester, être dans un affrontement très violent, tout en se retrouvant le jour de l’Investiture dans une opposition organisée.

En France, cette unité n’existe pas. La prise de pouvoir du gagnant est en réalité la prise de pouvoir d’un clan, d’une tribu politique. Le perdant, lui, n’a rien. Notre système fait qu’on ne négocie jamais avec l’opposition. L’élection implique une notion de tout ou rien. On exerce le pouvoir ou on ne l’exerce pas. Les violences proférées ont donc un aspect parfaitement irrémédiable.

Dans les pays anglo-saxons, il y a un affrontement entre adversaires. En France, il y a un affrontement entre ennemis.

Je ne crois pas que la réponse se trouve dans une américanisation du système. Je n’idéalise pas ce système. Il ne s’agit pas tant de multiplier les spots expliquant pourquoi l’autre est effroyable. Par contre, ce qu’il manque à cette campagne, c’est la radicalité des options. L’idée qui ressort reste que les différences entre les uns et les autres sont finalement discrètes et difficilement palpables. C’est aussi ce qui explique la progression des extrêmes. Pour ces derniers, la violence, à la fois par le discours et par la radicalité, paye. Pour les deux favoris, faute de cette radicalité dans les options et dans le discours, la campagne en vient à devenir parfaitement ennuyeuse.

Le candidat qui dit qu’il y a du bon et du moins bon de part et d’autre, à savoir François Bayrou, est en train de chuter dans les sondages. En politique, la tempérance n’est pas gratifiante.

L’électorat attend-il des candidats de faire preuve d’agressivité ?

Oui, dans une certaine mesure. Ils attendent des candidats qu’ils disent ce qui fait leur spécificité, leur différence. Une élection, c’est une bataille d’options. De quelle option je me sens le plus proche ? Qui a raison sur les options ? Qui a la carrure de diriger ? Le débat sur le font et sur la personne est pertinent. Si le discours se fait ordurier et caricatural, les gens ne le trouvent pas légitime. Mais l’idée que l’on puisse critiquer les qualités de l’autre est autorisée dans le débat électoral puisque c’est l’une des questions qui sont posées.

C’est ce que font Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Nicolas Sarkozy et François Hollande devraient-ils les imiter ?

Clairement. Lorsque Jean-Luc Mélenchon qualifie François Hollande de « capitaine de pédalo », outre que la formule est belle, il dessine surtout le clivage entre lui et le candidat socialiste. Les Français détestent l’altercation qui ne repose sur rien. Ils ne veulent pas d’un concours de beauté. En revanche, sur les questions fondamentales, ils acceptent le débat contradictoire, voire violent. Ils le réclament même.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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