Comment payer la guerre de Poutine ? Les technocrates russes se font des nœuds au cerveau<!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine, président de la Russie.
Vladimir Poutine, président de la Russie.
©GAVRIIL GRIGOROV / SPUTNIK / AFP

Guerre en Ukraine

Si l’économie russe a mieux résisté que prévu au choc de la guerre et des sanctions, elle est néanmoins confrontée à des défis budgétaires publics majeurs. À Moscou, certains plaident pour une politique d’austérité, d’autres pour une mobilisation nationale.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Quels sont les conseillers et les technocrates qui ont une réelle influence auprès de Vladimir Poutine sur les questions économiques ?

Viatcheslav Avioutskii : Parmi les principaux conseillers figure la présidente de la Banque centrale, Elvira Nabioullina. Il y a aussi German Gref à la tête de Sberbank. Ils ont réussi à sauver les meubles en Russie sur le plan économique.

Si l’on étudie les chiffres, la situation économique en Russie est très stable. Les sanctions qui ont été appliquées depuis le début de la guerre n’ont pas eu un effet immédiat et radical sur la situation économique en Russie.

Il faut aussi reconnaître que la ressource principale russe, le pétrole, n’a pas été touchée par ces sanctions jusqu’à récemment.

Dans l’économie russe aujourd’hui, il y a eu un investissement massif de l’argent public. Cela est lié à l’effort de guerre. Les Russes ont commencé à produire beaucoup plus d’obus, de munitions et d’armement. Il y a aussi 300.000 hommes en armes qu’il faut payer. Selon les statistiques nationales qu'il faut toutefois prendre avec précaution, malgré un haut niveau d'inflation, la pauvreté a reculé, tandis que le chômage a baissé .

A travers les différentes sanctions, l’Occident a joué le rôle d’équilibriste. Comme nous étions très impliqués avec la Russie en Europe, il fallait que ces sanctions soient progressives afin de ne pas affecter négativement les économies occidentales. Ces sanctions devaient amener à un étouffement progressif du marché et des alternatives pour la Russie sur le plan économique. Ces sanctions s’accumulent avec des effets à travers le temps et sur la durée.

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Malgré les sanctions internationales, l’économie russe a-t-elle abandonné sa politique d’austérité pour se transformer en une économie de guerre ?

C’est exactement ce qui est en train de se passer. Depuis le début du conflit en Ukraine, il y a une augmentation très importante de la production dans le complexe militaro-industriel même si elle ne porte pas encore ses fruits. Cela pousse Vladimir Poutine à se tourner vers l’Iran, la Corée du Nord et d'autres fournisseurs à l'étranger.

Les Ukrainiens et les Russes cherchent à travers le monde des stocks d’obus de calibre soviétique qui correspondent à leurs pièces d’artilleries.

L’économie russe s’est militarisée. Vladimir Poutine a adressé un message au Parlement russe en février dernier. Le chef du Kremlin a indiqué qu’il fallait se préparer à un conflit qui sera très long. Il est donc nécessaire de militariser l’économie nationale. La guerre va se jouer sur le domaine économique et pas exclusivement sur le domaine strictement militaire.  

Quelles sont les ressources réelles en Russie pour financer la guerre ?

L’effort de guerre est un ajout de dépenses qui n’était pas prévu par le budget. Cette opération dure déjà depuis plus d’un an. Il n’y avait pas de budget qui était prédestiné au financement de cet effort de guerre massif.

La Russie bénéficie de la manne financière des hydrocarbures, du pétrole qui n’est plus exporté en Occident mais qui a changé de route vers l’Inde et la Chine principalement. D'autres pays achètent le pétrole russe à travers des intermédiaires pour ne pas s'afficher.

La taxation des grands groupes et des grandes entreprises russes permet aussi de financer cette guerre. A l’occasion d’une réunion de l’Union des industriels et des entrepreneurs russes, l’équivalent du Medef, à Moscou, Poutine a suggéré aux grandes entreprises russes qu’elles contribuent à l’effort de guerre. Il ne s’agit pas d’une taxe exceptionnelle. Vladimir Poutine leur a demandé de contribuer de manière beaucoup plus volontaire. Cela a posé beaucoup de problèmes à ces entreprises qui sont déjà visées par des sanctions économiques.

L’Etat russe a créé un fonds dans lequel étaient restitués les revenus de la manne pétrolière. Ces sommes devaient financer certains projets d’avenir. Cela doit aussi favoriser l’effort de guerre.

Certaines branches de l’économie russe sont très fragilisées comme l’industrie automobile. La production a drastiquement chuté après le départ des grands groupes étrangers.

La Turquie a aussi profité de son statut particulier avec la Russie et a canalisé les exportations parallèles. La Chine et l’Inde sont aussi les deux grands acheteurs du pétrole russe et ce sont eux qui financent indirectement la guerre aujourd’hui.

Les pays occidentaux ont une marge d’influence pour les contraintes par rapport à la Chine qui est quasiment nulle. Nos marchés sont très dépendants de la Chine. Nous avons une relation plus ouverte avec l’Inde mais dont les intérêts géopolitiques ne correspondent pas avec l’Occident.

Il ne faut pas s’attendre à une dégradation de la situation économique en Russie sur le court terme.

L’objectif des sanctions économiques imposées par les Etats-Unis et l’Union européenne était l’étouffement progressif de l’économie russe, sans endommager les économies occidentales.

Y a-t-il un jeu de pouvoir, sur le plan budgétaire et économique, au Kremlin entre certains conseillers sur ces questions ? Et quel est le rôle des oligarques sur le plan économique et dans le financement de la guerre ?

Elvira Nabioullina et German Gref, ces deux technocrates, ont une marge très réduite en réalité. Dans le cadre d’une économie militarisée, ils jouent le rôle de gérants, d’administrateurs désignés afin de sauver les meubles. Ils essayent de réduire l’influence négative de la guerre sur l’économie russe. Globalement, les conseillers de Vladimir Poutine avaient essayé de le dissuader d’entrer en guerre.

Les oligarques sont les hommes d’affaires russes qui par définition combine le capital politique et à leur capital financier. Ils ont accumulé leur argent grâce à leurs liens avec le monde politique. Mais en février 2022 Vladimir Poutine ne les a pas informés du début de la guerre. Les oligarques ont compris alors que leur influence sur Poutine était nulle.  

Lavrov a répondu aux oligarques que Vladimir Poutine n’avait que trois conseillers et qu’il les écoutait tout le temps : Pierre Ier le Grand, Ivan le Terrible et Catherine II de Russie. Cela voulait dire que Vladimir Poutine ne prenait pas en compte les avis de son entourage.

Avec l’entrée en guerre, Vladimir Poutine n’est pas dans une rationalité économique lorsqu’il prend cette décision. Cela a scellé la fin de l’Etat oligarchique. Les oligarques aujourd’hui ont une influence qui est proche de zéro sur Vladimir Poutine car il n’écoute personne en réalité. La seule personne qui prend des décisions est bien Vladimir Poutine. Les oligarques ne sont pas en capacité de lui demander de changer d’orientation.  

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