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La recherche sur la procréation tourne de plus en plus à la science-fiction.
La recherche sur la procréation tourne de plus en plus à la science-fiction.
©Reuters

C'est fou

Des bébés à 3 parents génétiques, ça n’est que le début. De plus en plus d’innovations de "confort" permettant de programmer la grossesse, voire de la désincarner, arrivent.

Alexandra Henrion-Caude

Alexandra Henrion-Caude

Dr Alexandra Caude est directrice de recherche à l’Inserm à l’Hôpital Necker. Généticienne, elle explore les nouveaux mécanismes de  maladie, en y intégrant l’environnement. Elle enseigne, donne des conférences, est membre de conseils scientifiques.

Créatrice du site internet science-en-conscience.fr, elle est aussi l'auteur de plus de 50 publications scientifiques internationales. Elle préside l’Association des Eisenhower Fellowships en France, et est secrétaire générale adjointe de Familles de France.

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Atlantico : Récemment, nous nous entretenions avec vous au sujet de l'autorisation donnée par l'Etat britannique à un PMA d'un enfant à partir de 3 ADN différents (lire ici). Bientôt, des femmes pourront se faire greffer l'utérus d'une parente. Cela fait dire au sociologue Charis Thompson (LSE) que "la parenté est multiple". Dans le futur proche, faudra-t-il plus de deux adultes pour faire un bébé ? Avec quelles conséquences ?

Alexandra Henrion-Caude : C’est effectivement fascinant et terrifiant à la fois. Ces prouesses techniques se succèdent à coup d’annonces sans qu’aucune hiérarchie ne soit établie ni que le progrès pour l’humanité ne soit considéré. Et c’est regrettable.

L’autorisation en Angleterre de la fécondation in vitro à partir de trois parents est typiquement un passage en force fait par le politique, en l’occurrence les parlementaires anglais, passant outre notre méconnaissance actuelle de la fonctionnalité, de la sûreté et de l’efficacité de cette méthode. Une consultation publique a certes été organisée mais que peut-elle valoir si l’éclairage scientifique et médical est insuffisant ?

Permettez-moi à ce sujet une petite digression. Je pense que nous sommes en train d’assister à la même séquence aujourd’hui en France avec la loi sur la fin de vie pour laquelle une consultation citoyenne a été ouverte. Comme en Angleterre, on peut s’attendre à ce que celle-ci ne soit instruite que par l’émotion et les quelques lobbys du sujet, risquant en cela de n’être pas le reflet d’une réalité.  

Une des causes d’infertilité est l’absence ou le mauvais fonctionnement de l’utérus. Elle touche à peu près 1 femme sur 500. Dans les dix dernières années, le traitement envisagé a été celui de la greffe d’utérus, prélevé sur des donneuses vivantes. Différentes patientes, en particulier chez nos collègues suédois de l’University de Gothenburg, ont ainsi été greffées depuis 2012. La particularité de ce type de greffe est qu’elle n’est pas vitale pour la patiente et reste techniquement compliquée. La candidate à la transplantation le fait pour pouvoir être enceinte, ce qui l’expose non seulement aux complications inhérentes à la transplantation d’un utérus mais aussi aux risques de toute grossesse. Pour 100 000 naissances, on dénombre encore 9,6 femmes qui meurent de leur grossesse chaque année en France.

Tous ces sujets incombent donc intimement à l’homme et aux générations futures. Or, nous recevons pêle-mêle, sans aucun sous-titre, les prouesses scientifiques, celles médicales, les intérêts financiers et/ou politiques… sans jamais les entendre raisonner en terme de progrès réels pour les individus, parents ou enfants. Il me semble que nous sommes dans une confusion générale, qui repose souvent sur l’émotion et le sensationnel. En plus, cette confusion se nourrit de plus en plus souvent du défaut d’une communication de qualité. Un scientifique peut désormais se contenter d’une dépêche à l’AFP pour trouver un écho mondial, sans ne plus passer par la case exigeante d’une confrontation avec ses paires.

La R&D en fécondation cherche à régler l'horloge biologique des individus, par exemple pour permettre à des femmes plus âgées d'avoir un enfant. Récemment une cade d'Univfy, société américaine spécialisée dans la fécondation in vitro, dressait le parallèle entre sa société et Amazon ou Netflix. Dans le futur, un enfant ça sera "où je veux quand je veux ? Quelles seront les limites du phénomène ?

Il n’est pas exact de dire que la R&D en fécondation, comme Univfy, cherche à régler l’horloge biologique des femmes. Ce qu’elle leur propose ce sont des méthodes lourdes et dangereuses qui leur permettent de procréer plus tardivement au travers d’une assistance médicale. Autrement dit, elles prennent des risques pour leur santé, comme pour celle de leurs enfants, quand, elles auraient pu procréer de façon naturelle, plus jeunes et donc avec un meilleur niveau d’énergie. Où est le progrès ?

Le mythe de l’enfant à la carte (où je veux, quand je veux, et celui que je veux) revient à redéfinir l’enfant non comme une personne mais un objet, une chose. Dans l’indifférence générale, les sociétés Facebook, Microsoft, Apple, Citigroup, proposent à leurs salariées, en âge de procréer, de rembourser la congélation de leurs ovocytes. C’est une régression effroyable pour la femme qui se retrouve elle aussi chosifiée, contrainte à survaloriser sa productivité professionnelle, et à instrumentaliser une partie de son corps. Les femmes qui ont leurs enfants tardivement sont admirablement courageuses mais je n’arrive pas à y voir le moindre progrès ni pour elles, ni pour l’enfant, ni plus largement pour le progrès de l’humanité. Les voix qui le dénoncent ne font pas beaucoup de bruit…

L'innovation la plus "science-fictionnelle" est le développement de gamètes synthétiques mâles ou femelles. Une expérience déjà réalisée en labo avec des animaux, et qui permettrait aux couples homosexuels de faire un enfant sans l'aide d'une troisième personne. Peut-on imaginer une application humaine dans un futur proche et quels changements radicaux cela pourrait-il produire ?

Mais ce n’est pas de la science fiction ! Du sperme artificiel et des ovocytes artificiels ont déjà été générés. Aucune fécondation n’a encore été rapportée chez l’homme, tandis qu’effectivement différents animaux issus de ces gamètes artificiels ont déjà vu le jour. Plus de 2000 publications ont été rapportées sur le sujet. Deux méthodes sont utilisées pour cela : l’une est de dériver ces gamètes à partir de cellules induites pluripotentes (iPS), l’autre à partir d’embryons humains. Cette dernière procure d’ailleurs une sensation de vertige éthique effrayant sur le sens que nous donnons à la vie de ces enfants à naître. L’emploi de ces gamètes artificiels pour produire un bébé ne fait aucun doute puisque les freins en matière de reproduction artificielle ne sont pas définis. Nous manquons pour cela d’une réflexion anthropologique sur ce qu’est l’homme.

Ces innovations mènent à la question de la programmation génétique des embryons. Le contrôle des médecins sur la procréation pourrait en effet prévenir les maladies génétiques ou les handicaps. Ce qui risque d'augmenter le nombre d'IVG préventif, mais aussi de diminuer la diversité des individus. Se dirige-t-on vers une forme d'eugénisme ?

Que savons-nous faire ?

Nous pouvons analyser le profil génétique des embryons in vitro, et développons celui in vivo. Il peut se faire très précocement par biopsie du trophoblaste ou plus tardivement par amniocentèse, les deux techniques comportant des risques de fausse-couche. Il peut aussi se faire sur les cellules du fœtus qui circulent dans le sang de la mère. Quant aux analyses génétiques, elles sont exploitées à l’aune de nos connaissances qui restent encore terriblement fragmentaires. Nous commençons seulement en effet à découvrir l’étendue de l’épigénétique, c’est-à-dire l’influence de l’environnement sur notre génomique, ainsi que la contribution des 99% de notre patrimoine génétique aux 1% que nous définissions comme nos gènes. Ce que nous ne savons pas encore faire c’est traiter toutes ces maladies génétiques in utero et, donc, selon la gravité de l’atteinte, la seule proposition qui est faite actuellement est celle de la suppression de l’embryon ou du foetus. Notre devoir est donc de travailler sur des solutions de traitements réels, mais aussi de prendre le temps d’identifier convenablement la cause de l’infertilité ou du désordre, pour là encore proposer des solutions de traitements adaptés, éthiques.

Après le « où je veux / quand je veux », la tentation est d’enchainer Ie « qui je veux », ce qui constitue en soit une dérive vers l’eugénisme. Tout ce que vous dites est donc juste et n’est pas exagéré. Or, tous ces bouleversements à notre procréation ont lieu au moment même où l’on se rend compte de l’importance de l’adaptation de notre génomique à notre environnement. Cette adaptation est étonnamment rapide et notamment sur la fertilité. (ci-dessous Lachance et Tishkoff, 2013 dans Annu Rev Ecol Evol Syst. 2013 Nov;44:123-143.). Les exemples illustrés sur cette figure d’un article scientifique révèlent l’importance de considérer nos vies de façon globale et interconnectée à notre environnement, ce que nous ne faisons pas actuellement.

Faire un enfant est un acte naturel et simple depuis la nuit des temps, malgré tout  ces innovations cherchent à rendre la vie confortable aux futurs parents. Qu'en est-il ?

Je ne sais pas que « faire un enfant » soit un acte naturel ni simple. La biologie synthétique est encore bien en peine de constituer un organisme vivant, même simple.
« Avoir un enfant » peut être considéré comme naturel. Simple, encore une fois, je ne sais pas ! Comment dès lors, concevoir une vie confortable aux futurs parents ? Et c’est peut être là où se situe notre conscience abusive du pouvoir que nous pouvons avoir sur une vie qui ne nous « appartient » pas. Un enfant ne peut pas être considéré comme un objet parce qu’il est un individu à part entière et que nous ne savons pas le « faire ». Il ne peut donc pas relever d’un choix dans un catalogue quel qu’il soit. La reconnaissance de son identité est la reconnaissance de sa propre altérité, dont on ne peut pas maitriser le devenir, fusse-t-il notre clone. Dès lors, les mots doivent être convenablement choisis si l’on ne veut pas sombrer dans « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley.

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