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Comment Netflix et la video à la demande sont en train de briser nos rythmes de sommeil (et nos vies sexuelles...)
©JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Tue l'amour

Une étude universitaire anglaise s'inquiète de la surutilisation des écrans entre 10h et 11h du soir. Les écrans au lit, pire ennemi d'une sexualité épanouie ? Il faut craindre que oui.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l'Université de Lancaster publiée dans le journal "Energy Research and Social Science" a démontré et se basant sur les pics de consommation d'électricité que la période de la journée où le trafic internet était le plus sollicité était entre 22h et 23h. Piste d'explication avancée par les chercheurs : la multiplication des écrans et l'utilisation généralisée des services de vidéos à la demande au lit. Quelles peuvent être les conséquences de ces nouvelles pratiques dans la vie privée et sociale des individus ?

Nathalie Nadaud-Albertini : La multiplication des écrans et les nouvelles pratiques qui y sont liées ont pour conséquence que l’on a tendance à être absents ensemble. C’est-à-dire que la co-présence physique n’est pas ce qui fait lien en priorité. On est dans une situation où des personnes sont ensemble dans un même lieu mais ne partagent pas ce qu’elles sont en train de vivre, car chacune est occupée à être ailleurs, dans un espace numérique, soit en visionnant des vidéos à la demande, soit en échangeant avec d’autres sur les réseaux. Elles se retrouvent ainsi entre deux lieux et deux expériences, un lieu physique où elles sont à côté d’autres corps, et un lieu numérique où elles entrent en interaction avec les mots et les images d’autres désincarnés. Au final, elles ressentent souvent une plus forte « obligation » d’être avec les êtres qui peuplent les espaces numériques parce qu’elles ont le sentiment d’avoir les autres plus facilement à portée de main. Si l’on n’y prend pas garde, on a donc tendance à désinvestir les interactions avec nos proches dans les moments où l’on peut se retrouver dans l’intimité, quelle que soit la nature de celle-ci (familiale, amicale ou amoureuse).  

Le journal The Sun fait le lien avec les travaux du professeur à l'Université de Cambridge David Spielgelhalter qui établissait une corrélation entre le désintérêt croissant pour le sexe et la présence d'écrans dans les chambres à coucher. Que penser de cette déduction ?

Ce que je pense de cette corrélation ? Tout d’abord qu’il faut la traiter avec les précautions à prendre avec les corrélations, ainsi qu’on l’apprend dès les premières années d’études en sciences humaines. C’est-à-dire que pointer une corrélation ne permet pas de conclure obligatoirement à un rapport de cause à effet. Je m’explique. Si on dit : « c’est en Alsace qu’il a y le plus de cigognes, et c’est en Alsace que les naissances sont les plus nombreuses », et que l’on confond corrélation et rapport de cause à effet, on conclut que les cigognes apportent les bébés….

Cela dit, l’utilisation d’écrans dans la chambre à coucher peut effectivement être un frein à l’intimité du couple si, au lieu de partager du temps ensemble, chacun préfère un tête-à-tête avec son écran personnel pour être avec d’autres dans un espace numérique ou regarder des VOD. Mais avant les écrans, on pouvait aussi avoir cette absence à l’autre en étant chacun plongé dans une lecture différente et absorbante. Donc je pense qu’il faut se garder de toute conclusion hâtive sans pour autant nier le fait que les écrans individualisés questionnent l’intimité.

Souvent, on vit les VOD ou le fait d’aller sur différentes espaces numériques comme un moment pour soi, après avoir regardé la télévision en famille dans le salon. Avant les tablettes, lire un livre avant de s’endormir répondait au même désir. Donc, pour moi, livre ou tablette, la question est avant tout de se demander pourquoi on a moins envie d’intimité avec la personne qui partage notre lit, en s’interrogeant sur la relation de couple elle-même et ses éventuels dysfonctionnements.

Quelles autres questions soulèvent cette omniprésente connexion à internet (ou cette absence totale de déconnexion) ?

Cette connexion omniprésente à Internet pose également la question de la relation que l’on entretient avec soi-même, car cette tranche horaire de 22h à 23h est le moment où les enfants sont couchés et où l’on peut en profiter pour se reposer de sa journée. Rester invariablement connecté dans ces moments-là fait que l’on ne se coupe jamais du bruit du monde, on voit qu’untel a posté ceci ou cela sur les réseaux, qu’un autre a réagi de telle façon au post d’un autre, on fait défiler ces informations sur son écran, souvent en cherchant à maximiser les « interactions » et donc en accordant au final peu de temps aux uns et aux autres, même à distance. En plus, on ressort de cette activité particulièrement fatigué, comme avec la tête trop pleine, sans avoir pu se recentrer un peu sur soi.

Donc cela pose également la question de l’absence à soi-même et aux autres qu’ils soient à distance ou à proximité physique. Cela implique d’apprendre à gérer ces nouvelles formes de liens qui nous font être à plusieurs endroits à la fois, et surtout d’apprendre à se ménager des moments de déconnexion pour avoir une véritable intimité où l’on se repose de la vie sociale, que cette intimité soit un moment avec ses proches ou un moment de décompression que l’on s’accorde uniquement à soi-même.

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