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Comment les stars du ballon rond ont franchi la ligne jaune en maquillant leur consommation de cocaïne en usage récréatif
©AFP

Bonnes feuilles

Pierre Rondeau publie "Les Tabous du foot" chez Solar éditions. La cigarette, l'alcool, le sexe, le dopage, l'argent, l'homosexualité, le racisme, l'impartialité de l'arbitrage... autant de sujets qui, officiellement, ne posent aucun problème dans le foot, mais qui alimentent pourtant les fantasmes et les rumeurs incessantes. Alors qu'en est-il vraiment ? Extrait 2/2.

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau, professeur d'économie et doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonnevient de publier "Coût franc, les sciences sociales expliquées par le foot" (Bréal)

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En 2018, l’attaquant Péruvien Paolo Guerrero a ainsi usé de ce stratagème pour tenter d’obtenir l’annulation de sa sanction de 14 mois, après que ses urines ont dévoilé des traces de benzoylecgonine, un dérivé de la cocaïne produit par l’organisme. Il n’avait bu, selon lui, que du maté infusé aux feuilles de coca, rien de plus. Cela ne prouvait pas qu’il cherchait sciemment à améliorer ses performances, à faire de la cocaïne un usage dopant. Voulant à tout prix participer à la Coupe du monde, dont son pays était absent depuis 1982, le joueur de Flamengo, au Brésil, remua ciel et terre pour parvenir à ses fins et pour prouver son innocence. Il mit en avant une vieille histoire inca du XVe siècle : en 1999, des archéologues découvrirent trois momies au sommet du volcan Llullaillaco, en Argentine. Celles-ci, parfaitement bien conservées dans la glace, présentaient des traces de benzoylecgonine, après avoir consommé, sûrement pour résister au froid et à la douleur, des feuilles de coca. D’après les avocats de Guerrero, cela prouvait que ce dérivé de la coke pouvait rester plusieurs siècles dans l’organisme, donc que rien n’indiquait que Guerrero en avait consommé pour booster ses performances juste avant un match. Il avait tout simplement pu en prendre pendant les vacances, en soirée, avec des amis, mais absolument pas avant une compétition.

C’était sa principale ligne de défense : pas un dopant, juste une récréation. Tout le corps footballistique le soutint alors dans ce combat. Même la FIFPro, le syndicat international des joueurs, par l’intermédiaire de son président, Philippe Piat, lança un appel pour défendre Guerrero et lui permettre de jouer le Mondial. Lors d’une émission de télévision, Piat déclara, devant des chroniqueurs médusés, dont Didier Roustan et Johan Micoud, que « le joueur ne pouvait pas être sanctionné professionnellement pour un usage récréatif de la coca. […] Guerrero a fauté en dehors du champ sportif, il n’a pas consommé un dopant pour améliorer artificiellement ses performances, il n’a fait que prendre un produit couramment utilisé en Amérique du Sud. S’il est légalement et juridiquement interdit, on peut le sanctionner. Mais on ne peut pas contraindre et altérer sa carrière professionnelle. […] Il faut dissocier le cadre de la loi et le cadre du sport. Lorsqu’un consommateur de drogue est arrêté, il purge une peine mais on ne peut pas lui interdire d’exercer son principal métier et l’empêcher de gagner sa vie ». Malgré les remarques et les étonnements des intervenants sur le plateau, Piat persista dans cette vision et maintint ses arguments.

Il fut ensuite rejoint par les capitaines des trois sélections que Guerrero devait affronter au Mondial, Hugo Lloris, pour la France, Mile Jedinak, pour l’Australie et Simon Kjær, pour le Danemark. Ces derniers signèrent la lettre adressée par la FIFPro à la FIFA engageant la fédération internationale à blanchir le joueur afin qu’il puisse participer à la compétition. « Ne vous inquiétez pas, il a pris de la drogue mais c’était seulement pour s’amuser, seulement pour la tradition. Il n’a jamais voulu le faire pour gonfler son niveau de jeu, rien à craindre là-dessus. » Voilà effectivement comment on pourrait interpréter les choses : il a fauté mais pas dans le cadre du sport, ce n’est donc pas grave.

Beaucoup de joueurs se sont déjà… amusés

Cela rappelle quelque peu l’argument de Diego Maradona, lorsqu’il fut pris par la patrouille, en 1991, pour possession et usage de cocaïne. Bien qu’il ait véritablement  commencé à se droguer dans les années 1980, à l’époque où il jouait au FC Barcelone, ce n’est que dix ans plus tard que cela devint problématique, après plusieurs arrestations pour consommation de stupéfiants. Mais sa ligne de défense était bien rodée : « La coke ne peut pas être un produit dopant puisque les performances ne sont pas bonifiées. [...] Seuls les ignares peuvent penser que ce que je prenais avantageait mon jeu. [...] Mon unique drogue pour jouer a toujours été le ballon. Et qu’on le sache une fois pour toutes : la cocaïne ne fait pas un joueur de football. Elle le tue ! »

Nous en sommes là, des joueurs de football professionnels admettent consommer de la drogue mais se défendent en disant que cela est uniquement dans un but récréatif, et que cela n’empiétera en rien sur leurs performances ni sur l’équité sportive : « Continuons, cela n’est rien et nous n’embêtons personne. » À l’époque de Maradona, dans les années 1990, Carlo Romano, le directeur de l’Institut médical de Rome lui-même protégeait « el Pibe de Oro » et estimait qu’il ne s’était pas « préparé » artificiellement : « Diego n’est pas le premier à avoir franchi la ligne blanche. » Même son propre coach à Naples, Ottavio Bianchi, soutenait Maradona et estimait que la coke ne servait à rien sur un terrain de football. On cherchait à requalifier le fantasque attaquant argentin et à le disculper de toute faute.

Mais le problème ne vient pas de là, de savoir si, oui ou non, la cocaïne était utilisée à des fins dopantes ou à des fins récréatives, si Guerrero ou Maradona, voire beaucoup d’autres joueurs, ont consommé une substance interdite pour eux et eux seuls ou pour le groupe, pour l’équipe, pour la performance. Le tabou n’est pas là, il est dans la consommation même de cocaïne. Il faut savoir admettre que l’immense majorité des footballeurs viennent de milieux sociaux précaires et sans repères, sans cadre représentatif. Et de ce fait, l’usage de drogue peut être répandu. Là où il y a l’argent et la célébrité, la passion et le pouvoir, viennent toujours les excès et les délitements, les mauvais choix et les remords. Le problème, c’est la question du galvaudage, de cette tendance à ne pas s’en inquiéter et à juger la chose presque amusante ; cette forme d’acceptation offerte à la consommation de drogue, ce sentiment qu’elle n’empiète pas sur la carrière sportive.

Extrait du livre "Les Tabous du foot ", de Pierre Rondeau, publié chez Solar éditions.

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