Comment les entreprises se battent pour contourner la pénurie mondiale de puces informatiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Certaines entreprises ont pris des mesures désespérées pour faire face aux pénuries de puces.
Certaines entreprises ont pris des mesures désespérées pour faire face aux pénuries de puces.
©AHMAD YUSNI / AFP

Alerte sur les puces informatiques

Depuis la crise du Covid-19 et plus récemment la guerre en Ukraine, le monde est confronté à une pénurie de puces informatiques. Certaines entreprises redoublent d'ingéniosité pour tenter de pallier ce phénomène, ce qui provoque des conséquences parfois inattendues

Charaf Louhmadi

Charaf Louhmadi est ingénieur. Il a notamment travaillé au sein d'un cabinet de conseil en stratégie et d'audit et pour de grandes banques françaises comme Société Générale, Natixis, Crédit Agricole et BPCE SA à travers des missions en analyse quantitative, ALM, risques de marchés/contrepartie. Il est l’auteur du livre « Fragments d'histoire des crises financières ».

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Atlantico : Comment expliquer que la crise des puces informatiques perdure ? Les récents confinements en Chine et à Shanghaï ainsi que la guerre en Ukraine sont-ils les principales causes des difficultés sur les chaînes d’approvisionnement et de cette pénurie de puces informatiques et de semi-conducteurs ?

Charaf Louhmadi : Pat Gelsinger, patron du géant américain des puces électroniques Intel, estime que la crise des semiconducteurs ne va pas s’arranger en 2022, et durera fort probablement jusqu’en 2024. L’entreprise a par ailleurs annoncé sa diversification géographique via un redéploiement en Europe à travers un plan d’investissement de 35 milliards d’euros ciblant la France, l’Allemagne et l’Italie, dont 17 milliards d’euros en vue de créer une grande usine outre-Rhin.  

Le prolongement de la pénurie et de la crise est dû à la non-visibilité concernant la durée de la guerre en Ukraine, s’ajoute à cela une inflation mondiale qui s’installe et qui suscite l’inquiétude des banques centrales. La BCE a, de ce fait, enclenché une hausse de ses taux directeurs au cours de l’année 2022 et entame enfin une politique monétaire similaire à celle d’ores et déjà actée par la Fed et la BoE.

Notons en outre les impacts pandémiques, du variant Omicron en Chine, qui provoque l’arrêt de l’activité économique à Shanghai, ville stratégique et financière, à cause du confinement strict imposé par les autorités, ce qui a des impacts conséquents sur l’industrie des semi-conducteurs. Le premier producteur chinois, Smic, avait investi en 2021, 7 milliards d’euros dans une usine à Shanghai. 

L’économie des puces revêt une dimension géopolitique : l’inquiétude croissante de la très probable invasion chinoise de l’ile de Taîwan, particulièrement corrélée au business des semi-conducteurs ; rappelons que la Chine a du mal à s’imposer dans le domaine des semi-conducteurs et à rivaliser avec Taiwan dont l’entreprise TSMC produit des puces miniatures à la pointe de la technologie. De surcroit, les importations chinoises des semi-conducteurs dépassent largement ses exportations. Les puces informatiques sont donc le talon d’Achille de l’usine du monde et celle-ci en consomme de plus en plus.

En outre et parmi les causes du prolongement de la crise des puces, le déséquilibre entre la demande mondiale qui continue de croitre, accélérée par la digitalisation qui a pris de l’ampleur en période pandémique, et l’offre qui n’augmente pas assez vite et ne s’aligne pas par ricochet sur la demande. L’offre mondiale est minée par les retards des chaînes d’approvisionnement, provoqués par divers facteurs dont la hausse et la pénurie de gaz et de métaux produits par l’Ukraine et la Russie ; le Palladium, métal utilisé dans la conception des semi-conducteurs et dont le prix atteint des sommets, est produit par la Russie à hauteur de 50% du marché mondial. 

Enfin, les investissements colossaux de l’Union Européenne, dans le secteur des puces électroniques, pour assoir sa souveraineté numérique et se libérer de sa dépendance vis-à-vis de l’Asie, prendront plusieurs années du fait de la complexité des chaînes de production. Le commissaire européen Thierry Breton, a présenté en février dernier le « Chips Act », un plan d’investissement de 42 milliards d’euros, dont l’objectif est de retrouver 20% des parts de marché de la production mondiale des semi-conducteurs à l’horizon 2030. Rappelons que l’Asie concentre aujourd’hui 80% de la production mondiale et que le vieux continent en est à 10%. Pour que ces investissements, à la fois européens et mondiaux, puissent porter leurs fruits, il faut du temps du fait de la complexité de la conception des puces. 

Certaines entreprises ont pris des mesures désespérées pour faire face aux pénuries précédentes, notamment en récoltant des puces d'autres produits via des achats groupés, comme sur des machines à laver. D’autres marques réduisent certaines options pour des véhicules dans l’industrie automobile. Cette pénurie de puces va-t-elle modifier les circuits d’approvisionnement et la production sur le long cours ? Les produits proposés sur le marché seront-ils de moins bonne qualité ?  

La crise se traduit plutôt par une hausse des prix des semi-conducteurs, cela impacte naturellement les clients des fonderies, notamment dans le secteur automobile. Le géant sud-coréen Samsung a récemment annoncé une hausse de 20% des prix de ses semi-conducteurs.  Les constructeurs doivent donc s’adapter en ciblant les produits qui ont à la fois une forte dynamique et une rentabilité commerciale, les chaînes d’approvisionnement sont impactées et la production ralentie. 

Cependant, du fait des plans d’investissements des leaders internationaux et de la prise de conscience généralisée relative au secteur des semi-conducteurs, la pénurie et la crise seront probablement derrière nous dans quelques années. 

Des pays comme le Maroc, les Pays-Bas et le Japon peuvent-ils permettre de fournir des puces alternatives viables ?

Des fleurons de l’industrie européenne des semi-conducteurs ont développé des filiales à l’étranger.  ST micro, qui a bénéficié d’un prêt de 600 millions d’euros par la banque européenne d’investissement et dont le chiffre d’affaires mondial en 2021 est de 11,5 milliards d’euros, s’est implantée au Maroc depuis plusieurs décennies. La filiale marocaine compte parmi ses clients le mastodonte automobile Tesla et s’apprête à inaugurer une nouvelle ligne de production. 

Le Japon souhaite dynamiser son industrie des semi-conducteurs et renfonrce son alliance avec les Etats-Unis en vue de contrer l’influence et le danger que représente la Chine qui a fermement condamné les propos du président Biden, ce dernier ayant promis une protection et une défense militaire des Etats-Unis à Taïwan en cas d’attaque chinoise. En outre, l’empire du Milieu débauche, parfois de manière illégale, de nombreux ingénieurs taïwanais spécialistes des semi-conducteurs et accroit son espionnage industriel vis-à-vis de l’île voisine convoitée. Le ministre japonais de l’économie Koichi Haguida a récemment visité l’usine IBM d’Albany dans l’Etat de New York, celle-ci est la première à avoir gravé des semi-conducteurs de taille 2 nanomètres. La priorité pour l’Etat nippon est donc de retrouver les parts du marché mondial qu’il avait dans les années 1990 (50% des puces mondiales étaient produite par le Japon, 37% par les Etats-Unis) et d’autre part, contrer les menaces économiques et géopolitiques chinoises. 

Les Pays-Bas apportent également leurs pierres à l’édifice du marché mondial des semi-conducteurs. L’entreprise néerlandaise ASML fournit TSMC en matériel de lithographie.  Ces techniques de gravure s’appuient sur le néon (de qualité semi-conducteurs), un gaz rare, que fournissait l’Ukraine, à hauteur de 50% à l’échelle de la planète, via ses ports de Marioupol et d’Odéssa, deux villes extrêmement touchées par la guerre, Marioupol étant désormais sous contrôle russe.  

Cette crise va-t-elle permettre à certaines entreprises de se diversifier et de se réorienter ? Ne risque-t-on pas d’assister après la pénurie à une surabondance de production de puces comme pour les masques lors de la pandémie de Covid-19 ?

La crise actuelle se traduit essentiellement par des arrêts d’activité d’usines voire parfois leurs fermetures. A titre d’illustration ; Scania, fabricant de poids lourds du géant allemand Volkswagen a suspendu sa production en 2021. Toyota, dont les ventes ont reculé de 10,4% en avril 2021, a temporairement stoppé sa production au Japon. 

Compte tenu des investissements d’ampleur sur ce marché mondial valorisé à 600 milliards d’euros par le cabinet Yole Développement et de la compétitivité mondiale, la crise devrait être traversée dans quelques années, parler d’abondance serait risqué du fait de l’intensification de la demande mondiale.

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