Comment la guerre en Ukraine a contribué à forger l’autonomie stratégique européenne face aux desseins hégémoniques et anti-occidentaux de Vladimir Poutine<!-- --> | Atlantico.fr
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« Goodbye Poutine » est publié sous la direction d’Hélène Blanc chez Ginkgo éditeur.
« Goodbye Poutine » est publié sous la direction d’Hélène Blanc chez Ginkgo éditeur.
©Sergei SUPINSKY / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage « Goodbye Poutine » est publié sous la direction d’Hélène Blanc chez Ginkgo éditeur. Avec l’invasion de l’Ukraine, l'Union européenne, les Etats-Unis et le reste du monde ont enfin réalisé à quel point la Russie est devenue dangereuse pour le monde libre. Sous la direction d’Hélène Blanc, les voix multiples, les regards croisés des meilleurs observateurs de l'Union européenne, de la Russie et de l'Ukraine, analysent la crise la plus grave qu'ait connue l'Europe. Extrait 2/4.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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« Je préfère la liberté avec le danger que la paix avec l’esclavage. »

Jean-Jacques Rousseau

Cette figure de style empruntée au philosophe français des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, me semble particulièrement adaptée au drame que subissent les Ukrainiens, confrontés à la brutale invasion de leur pays depuis une année.

Tragique mais indispensable rappel pour qui chérit la liberté collective, dont sont privés les Ukrainiens, non seulement depuis maintenant un an, mais bien depuis neuf années, depuis l’invasion partielle du Donbass et l’illégale annexion de la Crimée, en 2014.

Quand, le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, décidait d’engager une partie de son armée dans sa sanglante « opération militaire spéciale » en Ukraine, peu d’experts ou d’analystes de la Russie, du monde post-soviétique et des relations internationales, avaient réellement anticipé les sombres et tragiques desseins du maître du Kremlin.

Pourtant, l’indispensable lecture de l’ouvrage « Goodbye Poutine : Union européenne – Russie – Ukraine » (2015), sous la direction de la politologue et criminologue Hélène Blanc, expert reconnu du monde slave, sonnait déjà comme un utile et sain avertissement de l’hubris poutinien.

En effet, ni les tentatives de déstabilisation « hybrides » en Estonie, en 2007, ni la guerre éclair en Géorgie, à l’été 2008, et encore moins, les annexions illégales d’une partie du Donbass et de la Crimée en mars 2014, n’auront, hélas, permis de mettre fin à la cécité occidentale quant aux ambitions expansionnistes du Kremlin.

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Un an après le début de cette guerre qui a ravagé l’Ukraine et changé irrémédiablement à la fois le destin de quelque 40 millions d’Ukrainiens et des 450 millions d’Européens que nous sommes, la lecture de ce nouvel opus, sous la direction engagée et la plume incisive d’Hélène Blanc et de ses co-auteurs – choisis parmi les meilleurs analystes, universitaires, militaires, politologues, historiens de ce conflit – permet une compréhension pédagogique, multidimensionnelle et objective de cette absurde tragédie qui aura fait, de 2014 à 2023, plusieurs centaines de milliers de victimes, militaires et civiles.

La sémantique doit, ici, être implacablement rappelée et ce, avec insistance : il s’agit bien d’une guerre brutale que rien, ni personne, ne saurait légitimer. Celle-ci, menée et imposée par Moscou, de facto et de jure, en contradiction absolue avec les principes qui sous-tendent le multilatéralisme, pilier – certes fragile mais indispensable – à la bonne marche du monde, depuis le 24 octobre 1945, date de la création de la Charte de San Francisco, donnant naissance à l’Organisation des Nations Unies (ONU).

Ce qui était présenté comme une terrible prémonition en 2013-2014, à la lumière notamment de la révolution de la place Maïdan de Kyïv (Kiev), parfaitement dépeinte, du reste, dans les pages du précédent ouvrage collectif sous la férule d’Hélène Blanc, revêt dans ce nouveau « Goodbye Poutine » une ardente obligation quant à la prise de conscience que, ce qui se joue en Ukraine impactera durablement le continent européen.Elle interroge également, en profondeur, les valeurs qui fondent une certaine idée de la « communauté internationale ».

Qu’il s’agisse d’une certaine forme de « kremlinophilie » qui a pu séduire certains intellectuels, remontant à la Guerre froide mais qui s’est muée, depuis une vingtaine d’années, en une coupable « poutinophilie » à l’aune d’un anti-américanisme récurrent au sein d’une partie de l’intelligentsia parisienne, il n’en demeure pas moins – comme l’indiquent avec justesse et finesse, les co-auteurs –, qu’il conviendrait, enfin, de choisir son camp : celui de la vérité, de la liberté, de la démocratie.

Il ne devrait, pourtant, pas y avoir à hésiter face aux deux choix offerts par des dialectiques diamétralement opposées.

D’un côté, une vérité « alternative » vue de Moscou, caractérisée par un obscurantisme caricatural, drapé dans un messianisme mortifère que la dialectique « poutinienne » ne cesse de prôner pour soi-disant « légitimer » une indicible, cruelle et « fausse » réalité, construite de toutes pièces. De l’autre, une « vraie » réalité savamment relayée, brillamment médiatisée et décryptée de manière collective et solidaire, avec une juste acuité, par les principales chancelleries européennes et les capitales occidentales.

En somme, il ne s’agit que de faire la part des faits entre vérité et mensonge, tout en se méfiant de l’instrumentalisation de ceux-ci, qui se conjuguent, désormais, à l’aune de la volatilité hybride de tous les conflits d’aujourd’hui.

Cet indispensable ouvrage collectif ne cesse, ainsi, de rappeler, avec acuité et précision, les raisons objectives pour lesquelles les 27 membres de l’Union européenne (UE), les 30 membres – aujourd’hui – et 32 – demain – de l’Alliance atlantique (OTAN) ainsi que 141 pays sur 193 pays siégeant au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont clairement apporté leur soutien à l’Ukraine, en dénonçant le crime d’agression commis par la Russie, et bien évidemment, en relevant les nombreuses exactions, crimes de guerres et crimes contre l’humanité dont la Russie s’est rendue coupable, comme semble l’indiquer la Cour Pénale Internationale (CPI) et l’éventuel tribunal pénal international ad hoc qu’appelle de ses vœux, avec une légitimité insistante, le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Il convient ainsi de rappeler régulièrement que c’est bien l’Ukraine qui est victime d’une évidente agression militaire qui a vu Kyïv perdre près de 125 000 km2 – soit entre 18 et 22 % de son territoire, pourtant internationalement reconnu depuis l’indépendance de cet état, le 24 août 1991 et ce, d’avril 2014 (date de la première guerre du Donbass) au 24 févier 2022, date de l’invasion militaire par les armées russes.

L’on ne cessera, également, d’insister sur le nouveau paradigme stratégique que, désormais, un an de guerre en Ukraine n’aura, in fine, que contribuer à mettre davantage en exergue. À savoir que la relative pusillanimité de l’UE n’est plus tenable. Il en va, ainsi, non seulement de la recherche effrénée d’une paix juste, sans compromis ni compromission, au profit et non aux dépens des Ukrainiens, mais aussi et surtout d’une « Architecture de paix, de sécurité et de confiance » d’un espace européen élargi, qui se conjugue davantage à 44 pays, par le truchement de la Communauté politique européenne, qu’aux seuls 27 états-membres de l’UE.

De ce point de vue, la Communauté politique européenne (CEP), portée sur les fonts baptismaux lors du Sommet de Prague, en octobre dernier, à l’initiative française, offre toutes les garanties innovantes d’une Europe qui se pense de manière autonome, stratégique et pérenne. Le prochain Sommet, prévu au printemps prochain, à Chisinau (Kichinev), en Moldavie, pourrait ainsi dresser les bases d’une « Europe puissance » pouvant faire face – unie et renforcée, tant diplomatiquement que militairement – à une Russie, avec ou sans Poutine. Une Fédération de Russie de toute manière affaiblie et éreintée par une campagne militaire, vraisemblablement mal préparée, dont l’échec manifeste impactera – explicitement ou implicitement – un pays, désormais en proie au doute quant à sa puissance militaire, diplomatique, culturelle et économique réelle.

Il s’agit là d’une ligne de crête, que les co-auteurs de cet ouvrage évoquent, chacun à leur manière selon leurs champs d’expertise respectifs, pour – enfin – consolider cette autonomie stratégique européenne, que la guerre en Ukraine, aura révélée et sensiblement permis d’accélérer.

Au-delà des différences d’approches épistémologiques de chacun et, singulièrement de votre serviteur, la lecture édifiante de notre ouvrage ne pourra désormais plus laisser place au doute face à la désinformation du Kremlin. Grâce aux relais de Moscou, qui ont endormi les pouvoirs publics et les opinions française et européenne depuis les années 2000, beaucoup d’entre nous n’ont pas vu venir cette tragédie. Pourtant, le discours du locataire du Kremlin, en février 2007, à la Conférence de sécurité de Munich (Wehrkunde), avait déjà de quoi nous inquiéter alors, quant aux desseins hégémoniques, néo-impériaux et clairement anti-occidentaux de ce dernier.

La prise de conscience de la dangerosité du discours revanchard du Kremlin est, d’une certaine manière clairement établie avec la guerre menée en Ukraine. La légitimation, largement biaisée, de Vladimir Poutine, par le truchement de ses actes belliqueux clairement caractérisés sur le sol ukrainien, depuis le 24 février 2022, est, heureusement et désormais très largement décryptée par les opinions publiques française, européenne et occidentale.

Cette « loi d’airain » quant à la distinction entre « agressé » et « agresseur » qui porte l’entière responsabilité du conflit demeure universellement partagée. La question essentielle que cet ouvrage pose, doit aussi se lire en filigrane. En bref, sur qui et sur quoi peut réellement s’appuyer une Russie coupable. Et que caractérise une remise en cause certaine et cadencée de l’équilibre des relations internationales depuis 1945, à partir de 1991 et depuis 2001. Un « basculement » du monde de l’espace euro-atlantique occidental et septentrional, vers l’émergence d’une nouvelle centralité stratégique située entre la zone eurasienne et l’Indopacifique. La question, peut, d’évidence, se poser pour nous également, face à la Russie, aujourd’hui ; l’Iran, demain, la Chine après-demain ?

De cette lancinante question dépendra, aussi l’avenir d’un monde, aux contours changeants, une fois, la paix – enfin – revenue en Ukraine.

Extrait du livre « Goodbye Poutine », publié sous la direction d’Hélène Blanc chez Ginkgo éditeur

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