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Comment la corruption et l’emprise des oligarques pénalisent l’Ukraine au moins autant que les ingérences russes
©Reuters

Regarder la poutre dans son œil

En Ukraine, la révolution de la place Maidan, qui appelait notamment à la fin de la corruption, a été confisquée : les réformes politiques n'ont pas eu lieu, le système n'a pas évolué et la réalité oligarchique demeure inchangée.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : L'ancien ministre ukrainien de l'Economie, Abromavicus, a récemment démissionné accusant les politiques ukrainiens d'être toujours à la solde des oligarques, de bloquer les réformes et de perpétuer le système de corruption endémique contre lequel était dirigée la révolution de la place Maidan. La révolution ukrainienne a-t-elle été confisquée ? Est-on dans la continuité de l'avant-révolution ou est-ce que des changements ont eu lieu ? 

Florent Parmentier : La démission d’Avaira Abromavicius sonne comme un avertissement aux élites politiques ukrainiennes : plus que d’autres, ce Ministre incarnait la volonté réformatrice populaire pour laquelle des citoyens ukrainiens ont affronté le pouvoir il y a deux ans.Force est de constater que l’Ukraine reste en 2015 autour de la 130e place mondiale pour la corruption dans le classement de Transparency International. Cette affaire ne se cantonne pas à la politique intérieure puisque suite à cette démission, le FMI, par le biais de Christine Lagarde, a également averti les autorités du fait que les bailleurs de fonds internationaux seraient très regardants à l’avenir sur l’évolution des réformes.

Quelques éléments de contexte sont nécessaires pour comprendre le rôle des oligarques en Ukraine, qui ne forment pas un groupe cohérent ou homogène. Ils contrôlent diverses parts de l’industrie ainsi que les principaux médias mais, au fond, ce qui les distingue n’est pas ce qu’ils ont (leurs capitaux), mais ce qu’ils font – investir leurs richesses dans le domaine politique afin d’en retirer de nouveaux avantages ainsi qu’une immunité. Si l’on considère les récentes élections locales ou les votes de la Rada, il semble que la force des clans oligarchiques n’a en rien faibli depuis l’Euromaïdan. Certes, la « famille » - le clan autour de Viktor Ianoukovitch – a disparu de la circulation, mais les cartes ont été redistribuées. La place prise par Igor Kolomoyskiy, oligarque un temps gouverneur de Dnipropetrovsk (grande ville de l’Est du pays) et disposant de son propre parti (l’Union ukrainienne des patriotes), est révélatrice à cet égard, et ses différents avec le Président ne font que nourrir l’instabilité politique actuelle du pays.

Dans ces conditions, le moment Euromaïdan n’a certainement pas rempli ses promesses, restant bien en deçà des attentes des manifestants d’alors, et beaucoup à Kiev se demandent en effet s’il n’y a pas eu confiscation de la révolution. C’est donc aux citoyens et aux bailleurs de fonds internationaux qu’incombent la charge de s’assurer des avancées acquises sur les barricades. 

Quel est le rapport des politiques aux oligarques et quel rôle jouent ces derniers dans la vie politique ukrainienne ?

Le rapport de dépendance entre politiques et oligarques est établi, ces derniers étant soit directement élus – à commencer par le Président Porochenko ! –, soit représentés au Parlement par des intermédiaires.

Le plus riche d’entre eux, Rinat Akhmetov maintient ainsi des relations tant avec le gouvernement à Kiev qu’avec les séparatistes du Donbass, où se passe une grande partie de son activité économique. Il est l’un des financiers principaux du « bloc d’opposition », le mouvement héritier du « Parti des régions » de Viktor Ianoukovitch, qui l’a notamment emporté aux municipales à Zaporojié ou à Marioupol, en Ukraine orientale. Il n’est pourtant pas le seul à chercher à influencer plus ou moins directement le pouvoir en mobilisant des ressources économiques. Les principaux médias sont concentrés entre quelques mains :Akhmetov détient la chaîne Ukraine, Dmytro Firtash et Serhiy Lovochkine contrôlent Inter, STB, ICTV, Viktor Pintchouk possède NovyKanal, Kolomoyskiy et Hennadiy Boholubov eux ont fait main basse sur 1+1, tandis que Porochenko a toujours son droit de regard sur 5 Kanal. La situation est similaire dans la presse écrite, ce qui garantit aux oligarques une force de frappe médiatique à même de saturer l’espace informationnel.

Toutefois, s’ils sont directement actifs, les oligarques servent également de repoussoir, de la part d’une population souvent peu amène à leurs égards. Au-delà des mouvements de la société civile, c’est sur cet épouvantail que Mikhail Saakashvili, gouverneur d’Odessa et ancien Président géorgien, mobilise ses partisans et fait valoir sa voix au niveau national, en soutien de Petro Porochenko. 

En Russie, les oligarques sont également très nombreux et influents. Néanmoins, le rapport des oligarques au pouvoir politique est-il le même qu'en Ukraine ?

Non, la comparaison n’est plus aussi valable sous Poutine qu’elle pouvait l’être sous Eltsine. Le combat pour l’accès à la décision politique était certes un facteur essentiel des luttes oligarchiques en Russie durant les années 1990 ; le rôle que les oligarques ont joué pour soutenir la candidature de Boris Eltsine en 1996 est relativement documenté et connu aujourd'hui. Par contraste, Vladimir Poutine a lui-même su mettre ceux-ci au pas, en leur proposant de s’enrichir sans se mêler de politique : on se souvient de Boris Berezovski, condamné à l’exil, ou de l’arrestation de Mikhaïl Khodorkovski, mais d’autres ont également été écartés des centres de décisions. Le message a été clair et aujourd’hui, les grandes fortunes russes ne prennent pas le risque d’affronter directement le pouvoir. Tout juste, le milliardaire et homme politique libéral Mikhaïl Prokhorov apparaît comme un « dissident dans le système » plus que comme une alternative réelle au système mis en place autour du Kremlin. On est donc éloigné de la situation ukrainienne, et le terme oligarque n’a plus le même sens qu’on lui donnait dans les années 1990.

De fait, l’instabilité générée par l’action des oligarques est toujours présente en Ukraine, et cela a une double implication : le régime y est davantage pluraliste qu’en Russie, tant sur le plan des médias que de la vie partisane, mais l’Etat y est également davantage fragile, connaissant d’immenses difficultés pour se réformer. 

Quelles sont les perspectives de l'Ukraine à court, moyen et long terme ? Quelles politiques devraient être menées pour relever le pays ?  

L’Ukraine a devant elle de grands défis : son intégrité territoriale en premier lieu bien sûr, mais aussi la construction d’un authentique Etat de droit sur le modèle européen. Pour cela, il faudra rompre avec un certain nombre de pratiques et de schémas de corruption, en dépit des forces de résilience du système. En d’autres termes, le dilemme du pouvoir est le suivant : faire une chasse aux sorcières parmi les oligarques serait apprécié par l’opinion mais mobiliserait d’énormes ressources contre le Président, tandis que ne rien faire contre les oligarques, c’est alimenter l’idée que les citoyens devront à un moment ou un autre se retrouver sur Maïdan pour marquer l’exaspération sociale. Le tout, en gardant à l’esprit que l’économie est à reconstruire ainsi que le système politique.

Pour limiter le poids des oligarques, il faudrait changer fondamentalement le système économique et politique pour le faire aller vers plus de transparence, en renforçant les institutions garantissant l’Etat de droit et le fonctionnement d’une économie de marché. Cela suppose une vague de réformes dans plusieurs secteurs clés, comme la police, la justice ou les douanes. Seule l’alliance entre une mobilisation citoyenne et une communauté internationale exigeante pourra permettre à l’Ukraine de sortir de ses difficultés actuelles.

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