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Comment la cigarette électronique peut endommager nos cellules immunitaires
©Tolga AKMEN / AFP

Fumer tue

Selon une étude publiée par le journal Thorax, vapoter pourrait nuire à nos cellules immunitaires.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Selon une étude publiée par le Journal Thorax, réalisée par le professeur David Thickett de l'Université de Birmingham, vapoter ne serait pas sans risques, et entraînerait notamment des risques concernant nos cellules immunitaires. Concrètement, que sait-on des risques induits par les cigarettes électroniques, quels sont les apports de cette nouvelle étude ?

Stéphane Gayet : tout ne peut pas être mauvais dans une cigarette classique.

La "vraie" fumée de tabac (cigarette classique) : un cocktail des plus dangereux

La fumée de tabac est surtout constituée de substances nocives. La fumée de cigarette est un mélange de gaz et de particules qui contient de l'ordre de 4000 substances, dont plus de 40 sont cancérigènes. Il y a une différence énorme entre ce qui se trouve dans une cigarette (froide) et ce que l'on inhale en la fumant (cette transformation phénoménale du tabac par la combustion est à l'origine de la grande nocivité de sa fumée). Il ne faut donc pas se laisser abuser par la composition chimique des cigarettes ou tabacs. Le mot goudron ne correspond pas à une famille chimique, mais à un ensemble complexe et très hétérogène de substances visqueuses (noirâtres ou brun foncé) produites par la combustion du tabac. La suie formée dans une cheminée où l'on brûle du bois évoque les goudrons de fumée. Ils sont le principal groupe de substances responsables des cancers liés au tabagisme. On y trouve un nombre considérable de molécules (notamment de nombreux hydrocarbures, comme le benzène et le benzopyrène). Parmi les produits les plus nocifs de la fumée, il y a aussi des gaz toxiques (monoxyde de carbone, oxydes d’azote, acide cyanhydrique, ammoniac), ainsi que certains métaux lourds (cadmium, mercure, plomb, chrome). Le monoxyde de carbone (CO) est un poison pour les globules rouges : il bloque leur hémoglobine qui devient donc indisponible pour transporter l’oxygène. Par ailleurs, diverses autres substances irritantes sont libérées dans la fumée de cigarette : acétone, aldéhydes (formaldéhyde plus connu sous le nom de formol ; acétaldéhyde, acroléine) et phénols (hydroquinone, crésols, résorcinol). Associées aux goudrons, ces substances favorisent l’inflammation des bronches et la toux.

La nicotine, oubliée de la liste précédente : un alcaloïde intéressant, mais toxique

En revanche, la nicotine, l'oubliée de la liste précédente, est intéressante. C'est un alcaloïde (substance végétale - généralement basique - contenant du carbone, de l'hydrogène, un ou plusieurs atomes d'azote et souvent un autre élément comme l'oxygène). Elle est incolore, liquide, huileuse et très soluble dans l'eau. Comme beaucoup d'alcaloïdes, c'est un produit très actif. La nicotine n'est pas le seul alcaloïde du tabac, mais elle représente 90 à 95 % du contenu en alcaloïdes du tabac. Elle est présente dans d'autres végétaux, dont des légumes de consommation courante. Elle a de nombreuses propriétés. C'est un insecticide, mais elle n'est presque plus employée comme tel aujourd'hui. Dans le corps humain, ses effets sont indissociables de ceux de la cotinine, son principal dérivé métabolique. La nicotine - et son dérivé la cotinine - est avant tout un produit psychoactif : elle agit sur le cerveau. Elle donne une sensation de plaisir (bien-être), procure une détente (effet anti-stress) et une réduction de l'anxiété (effet anxiolytique) ; elle a également un effet antidépresseur (rehaussement de l'humeur, c'est un effet euphorisant). Elle est encore douée d'un effet coupe-faim. Mais l'un de ses effets sans doute les plus intéressants et recherchés est son effet psychostimulant : la nicotine active l'idéation et accroît les performances intellectuelles. Au cours des grandes années du tabagisme en Europe de l'Ouest et aux États-Unis d'Amérique (du tout début des années 1950 au début des années 1980), le tabagisme quotidien était pratiquement la règle dans les milieux intellectuels et artistiques, souvent en association avec la caféine (un autre alcaloïde qui se trouve dans le café, le thé, le guarana et la kola). Cependant, la nicotine - et son dérivé - est également un produit toxique, tant pour l'appareil cardiovasculaire que pour l'appareil respiratoire. En outre, c'est elle qui est responsable de la dépendance à la fumée de tabac, ce qui confirme le fort impact psychique de cette substance.

Obtenir les effets recherchés de la nicotine sans la toxicité de la fumée : l'e-cigarette

Inventée en Chine par Hon Lik en 2006, la cigarette électronique s'est développée de façon spectaculaire. En France, on estime à bien plus d'un million le nombre d’utilisateurs que l'on appelle des "vapoteurs" (en fait, ce n'est pas une vapeur – gaz, toujours invisible -, mais un aérosol). Le principe est de générer par un chauffage doux (environ 60 °C) un aérosol plus ou moins riche en nicotine. Contrairement à la cigarette classique où la température du foyer peut dépasser les 700 degrés, il ne s'agit pas ici d'une combustion. La cigarette électronique associe l'oralité, la gestuelle rituelle, la sociabilité, la production emblématique d'une sorte de fumée, ainsi que surtout l'apport de nicotine, et sans l'ensemble des effets irritants, toxiques et cancérigènes de la fumée de tabac. C'est une invention géniale, il faut le reconnaître.

Mais la cigarette électronique est néanmoins toxique, déjà par la nicotine

Une étude publiée dans la revue "Thorax" révèle que l'aérosol d'une cigarette électronique - une fois condensé sous forme liquide - exerce un effet inhibiteur sur les macrophages des alvéoles pulmonaires. Les alvéoles pulmonaires sont les extrémités de l'arbre respiratoire. Ils sont microscopiques. C'est là que s'effectue l'hématose, c'est-à-dire le passage de l'oxygène vers les vaisseaux capillaires et l'évacuation du gaz carbonique sanguin dans les alvéoles. L'hématose se déroule au travers de la fine membrane alvéolo-capillaire. Or, les alvéoles pulmonaires sont vulnérables : les agents infectieux et les agents chimiques ou physiques qui n'ont pas été arrêtés avant peuvent y exercer leur action pathogène. Les macrophages alvéolaires représentent en quelque sorte l'une des dernières lignes de défense. Ils ont un rôle important à jouer. Ils sont l'équivalent des monocytes sanguins : les macrophages des tissus et les monocytes du sang font partie des globules blancs ou leucocytes, les cellules de défense. Ainsi, l'affaiblissement des macrophages alvéolaires par l'aérosol de cigarettes électroniques est susceptible de favoriser les inflammations du parenchyme pulmonaire (le tissu pulmonaire "profond") et les infections bactériennes pulmonaires profondes. Mais on doit être attentif au fait que l'aérosol des cigarettes électroniques contient autre chose que de la nicotine : il y a en plus des substances indispensables au chauffage et à la formation de l'aérosol. Il s'agit souvent de propylène glycol, de glycérol ou d'éthanol (alcool éthylique ou alcool ordinaire du vin).
Cette étude est innovante : c'est la première fois que l'on signale un effet immunitaire nocif avec l'usage de la cigarette électronique. Ce n'est pas la seule nicotine qui est en cause ici, mais l'ensemble "nicotine et autres substances chimiques" que l'on trouve dans l'aérosol.

Si les risques présentés par la cigarette traditionnelle sont bien plus importants que ceux découlant du "vapotage", comment anticiper les risques encourus par un consommateur de long terme de tels produits ? 

La cigarette électronique est un immense progrès par rapport à la cigarette classique, sur le plan de la nocivité. Mais il faut relativiser les résultats de cette étude. C'est un travail qui a été conduit in vitro, c'est-à-dire sur des cultures de cellules. Ce sont des macrophages de culture qui ont été mis en contact avec un aérosol condensé de cigarette électronique. Il n'y a encore à ce jour aucune étude portant sur des animaux ni des volontaires sains. C'est dire que l'on ignore encore l'impact clinique (observable chez des êtres vivants) de la cigarette électronique sur les infections ou les autres inflammations des alvéoles pulmonaires.
Il faut prendre cette étude comme une alerte. Non, le vapotage n'est pas anodin. Il est très largement plus sûr que le tabagisme, mais il comporte cependant une nocivité. Déjà celle de la nicotine, qui a une action pro-inflammatoire sur les alvéoles. Et puis l'ensemble constitué de cette molécule alcaloïde et des autres molécules de l'aérosol de vapotage : cet ensemble exerce un effet inhibiteur sur des cellules de défense vitales du poumon, les macrophages. Ce qui signifie clairement que la cigarette électronique est plus nocive que la nicotine prise par voie orale ou par voie transdermique. Il faut donc user avec modération du vapotage : il est prévisible que l'on découvre dans les années à venir d'autres effets délétères (néfastes pour la santé) avec ce type de consommation.

Dans ces conditions, la cigarette électronique ne devrait-elle pas être vue uniquement comme un moyen d'arrêter de fumer, plutôt que comme un produit de consommation en lui-même ? 

C'est exactement ce que l'on dit et écrit de plus en plus. L'invention de cet appareil qu'est la cigarette électronique est certes géniale, mais la nicotine reste une substance tout de même toxique. Rappelons-nous qu'elle est un insecticide efficace. Ses effets nocifs sur l'appareil cardiovasculaire comme sur l'appareil pulmonaire sont établis. Il n'y a pas que du bon dans ses effets psychoactifs, loin de là, et sans parler de la dépendance. Il est certain que si tous les fumeurs du monde abandonnaient leur pratique pour le vapotage, ce serait un immense progrès de santé publique. Mais il n'en reste pas moins vrai que la cigarette électronique est tout de même nocive. Cette étude nous donne une information qui est nouvelle : une toxicité - encore expérimentale au laboratoire – sur les globules blancs des alvéoles pulmonaires. Et en attendant les résultats d'autres études à venir, il convient dès lors de rester prudent et modéré avec le vapotage. Il faudrait en effet avant tout le considérer comme une pratique permettant de cesser le tabagisme, une pratique de substitution en quelque sorte. C'est une recommandation de plus en plus consensuelle. Bien sûr, cela ne concerne pas le vapotage sans nicotine, mais a-t-il vraiment de l'intérêt ?

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