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Comment la Chine s’assure le contrôle des institutions internationales : les succès géopolitiques engrangés par Pékin grâce à sa stratégie
©Naohiko Hatta / POOL / AFP

Force de frappe géopolitique

Troisième partie d'une série de quatre articles dans lesquels Antoine Brunet présente la pénétration des grandes institutions internationales qu’a opérée la Chine après la crise de 2008.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Phase 3. Munie de cette sur-compétitivité salariale ouvrière et de son admission à l'OMC, la Chine obtient cinq avantages géopolitiques qui sont considérables :

  1. Industrialisation. Une sur-industrialisation de la Chine. Avec ses 280 millions d'adultes mingong, presque tous ouvriers d'industrie, la Chine concentre sur son territoire un pourcentage considérable des ouvriers d'industrie de la planète entière (les ouvriers d'industrie aux Etats Unis se limitent à seulement 9 millions de personnes !) et sans doute un pourcentage également considérable de la production manufacturière mondiale. Il est désormais complètement justifié d’affirmer que la Chine est devenue « l’usine du monde ». Cette sur-industrialisation de la Chine a pour contrepartie un manque d’usines et d’industries dans le reste du monde : désindustrialisation des pays "développés" et absence de véritable industrialisation tant pour les vrais pays émergents que pour la Russie.
  2. Croissance. Croissance très forte en Chine. Croissance anémique et artificielle, chômage et précarité dans les pays occidentaux. Croissance décevante et insuffisante, sous-emploi permanent dans les pays émergents.
  3. Stabilité politique. Plein emploi en Chine, ce qui contribue à l’acceptation ou à la résignation de la population au régime totalitaire qu’elle subit. Les autres pays sont en proie à la déstabilisation économique, sociale et politique par manque de croissance et d'industrie.
  4. Commerce extérieur. La Chine obtient des excédents commerciaux colossaux, récurrents et croissants qui ont pour contreparties des déficits commerciaux énormes, répétés et croissants chez la plupart des pays occidentaux et chez la plupart des pays émergents.
  5. Finances extérieures. La Chine devient de très loin le premier pays créancier net au monde (loin devant des pays comme l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis) tandis que la plupart des pays occidentaux et des pays émergents accumulent chacun un endettement extérieur considérable à l'égard du principal (sinon le seul) pays créancier net au monde qu'est devenue la Chine.

Au total, une bipolarisation absolue s’est introduite entre d'une part la Chine, premier pays créancier au monde (de très loin) et premier pays fournisseur au monde de produits manufacturés (de très loin aussi), et d'autre part tous les autres pays, tous pays plus ou moins débiteurs à l'égard de la Chine (y compris bien entendu la puissance hégémonique déclinante que sont les Etats Unis), et tous pays acheteurs obligés en dépit d'eux-mêmes des produits made in China.

La puissance financière de la Chine constitue sa principale force de frappe géopolitique.

Munie de cette puissance financière, elle peut marquer toutes sortes de points dans les autres axes géopolitiques. On la retrouve derrière toutes les initiatives, ambitieuses et souvent même pharaoniques, que la Chine a entreprises dans les dernières années pour renforcer sa puissance. Citons, en vrac et sans prétendre à l’exhaustivité :

  • Un effort considérable effectué en matièred’Instruction, de Recherche et de Technologie. En particulier : laboratoires de recherches alimentés par de très nombreux chercheurs chinois ou de chercheurs étrangers payés très cher ; achats de technologies en achetant des entreprises étrangères (Cf l’exemple récent du rachat de Kuka, une entreprise allemande qui était en passe de devenir la championne mondiale de la production de robots).
  • Une monopolisation par la Chine de l’approvisionnement en cobalt, en lithium et en toutes sortes de métaux rares de façon à dominer toutes les filières qui en sont en aval (robots, panneaux solaires, automobiles électriques).
  • Un effort considérable en recherche spatiale (avec en particulier le projet d’exploiter la Lune pour en extraire des matériaux nouveaux et inconnus sur la Terre).
  • Un effort considérable en matière d’armements « traditionnels relookés » (porte-avions et aussi missiles supersoniques et bombardiers supersoniques qui vulnérabilisent les boucliers anti-missiles)
  • Un effort considérable d’armements « novateurs » : sous-marins indétectables parce que naviguant en eau profonde ; satellites armés ; armes biologiques…..
  • Une armée très nombreuse et super-entraînée. 
  • La constitution d’un réseau d'espionnage considérable et omniprésent.
  • La constitution d’un réseau de hackers particulièrement efficace.
  • L’offensive diplomatico-militaire considérable que la Chine a menée pour s’approprier la Mer de Chine du Sud (une superficie double de celle de la Méditerranée). Depuis 2013, la Chine s’est approprié unilatéralement les principaux îlots maritimes (à peine émergés, inhabités et démunis d’eau potable) pour les transformer très vite en bases militaires aéro-navales portant garnison permanente. Cela après avoir acheté la complaisance et la passivité du président Dutertre alors même que l’ONU avait pourtant reconnu les Philippines comme propriétaires légitimes ce certains de ces îlots. Au total, la Chine s’emploie à ce que sa marine puisse contrôler toute cette mer internationale.
  • L’énorme offensive diplomatico-militaire que la Chine a lancée avec l’Opération Routes de la Soie (la Belt and Road Initiative). Depuis 2013, la Chine a fait admettre à environ 70 pays de lui aliéner les emprises foncières nécessaires et de cofinancer avec elle les éléments nationaux d’un réseau international maillé d’infrastructures (centrales électriques, ports, autoroutes, réseaux ferroviaires, réseaux de télécommunications…) que des entreprises chinoises de BTP se proposaient de construire. Seule la Chine détient une vue d’ensemble de ce réseau interconnecté d’infrastructures qu’elle a été seule à concevoir. Seule la Chine contrôle sa réalisation (parce que ce sont des géants chinois du BTP qui en ont la maîtrise d’œuvre). Seule la Chine en contrôle le fonctionnement. Un avantage géopolitique évident pour Pékin.
  • Les efforts considérables entrepris par la Chine pour que le reste du monde se résigne au monopole que Huawei s’efforce d’obtenir dans la téléphonie 5G

On remarquera qu’en dépit de toutes les dépenses faramineuses qui sont associées à ces multiples initiatives, les réserves de change de la Chine n’ont pas du tout été affectées et qu’elles restent au contraire relativement stables autour du chiffre considérable de 3.000 milliards de dollars.

Pourquoi donc ? Pour deux raisons, toutes deux liées encore une fois à sa sur-compétitivité salariale ouvrière évoquée ci-dessus :

  • Depuis qu’elle est devenue sur-industrialisée, la Chine a la capacité de fonctionner largement en circuit fermé : quand l’Etat chinois engage des dépenses considérables, ce sont le plus souvent des entités chinoises qui en bénéficient en encaissant les recettes engendrées par ces dépenses ; la principale fuite dans ce circuit concerne les achats de matières premières que la Chine est obligée d’importer pour concrétiser les projets qui sont associés à ces dépenses.
  • La Chine continue par ailleurs à engranger des excédents commerciaux considérables (chiffres officiels : 490 Mds $ en 2019 après 368 en 2018 ; chiffres officiels qui sont eux-mêmes sans doute sous-estimés d’environ 50%).

Ce long détour effectué, évoquant tout ce que sa puissance financière permet à la Chine, revenons-en maintenant à notre sujet : comment, grâce à cette puissance financière, la Chine a réussi à s’inféoder de nombreuses institutions internationales.

Phase 4. Les pays qui se sont rendus les plus débiteurs à l'égard de la Chine (selon le ratio dette extérieure à l'égard de la Chine rapportée à leur PIB) sont bien entendu les premières proies diplomatiques de la Chine.

Ce sont ces pays qui furent les premiers à être plus ou moins vassalisés (Ethiopie, Erythrée, Soudan, Djibouti, Zimbabwe, Angola, Nigeria, Turkménistan, Cambodge, Laos, Philippines, Birmanie, Pakistan, Sri Lanka, Maldives, Venezuela, Nicaragua, Bolivie).

Après la crise de 2008/2012, commencent à tomber en vassalisation à la Chine un nouveau groupe, l'Europe de l'Est (Pologne, les trois Pays baltes, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Slovénie, Croatie, Serbie, Monténégro, Albanie, Macédoine, Grèce, Chypre, Malte) et un autre nouveau groupe, l'Asie centrale (Kazakhstan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Népal). Ces pays qui sont surendettés à l'égard de la Chine continuent à subir des déficits commerciaux répétés à son égard car leurs gouvernements, dépourvus de véritable industrie et subissant la pression des besoins de leurs populations, se trouvent obligés d'acheter un montant important de produits manufacturés à l'extérieur ; or à l'extérieur, le pays fournisseur qui est à la fois le plus équipé et de très loin le meilleur marché, c’est la Chine…

Plus le pays s'endette à son égard, plus la Chine se trouve alors en mesure d'extraire de ce pays deux types de contreparties.

Premier type de contreparties. A chaque étape où le pays doit négocier avec la Chine un recours supplémentaire à l’endettement, la Chine, seul pays créancier au monde, peut exiger du pays considéré que, pour limiter son endettement à l’égard de la Chine, il lui aliène l’un des sites naturels qui l’intéresse : gisements miniers ou pétroliers, sites fonciers pour l'hydroélectricité, pour des centrales électriques ou pour le solaire, terres agricoles ou viticoles, sites fonciers pour  des aéroports, des ports, des autoroutes ou des voies ferroviaires,...

Jusqu'à ce que la Chine parvienne à se constituer un réseau mondial d'infrastructures de transports et d’énergie qu’elle intitule Routes de la soie et qui, comme son nom ne l‘indique pas, présentera deux caractéristiques : il sera le seul réseau international connecté et il sera contrôlé unilatéralement par la seule Chine.

On comprend bien qu’en se privant successivement de ses atouts naturels, le pays considéré se prive aussi de sa souveraineté et de sa prospérité pour la plus grande satisfaction de la Chine.

Mais la Chine s’arroge aussi une deuxième contrepartie : par l’emprise qu’elle a obtenue sur les finances extérieures du pays vassalisé considéré, elle est en mesure (et elle ne se prive pas) d’exiger de celui-ci qu’il aligne sa diplomatie sur la sienne propre. En particulier dans les votes dans les enceintes internationales et dans les votes pour les nominations à la tête des institutions internationales.

C’est ainsi que l’on a pu constater que 16 des 27 pays de l’Union Européenne refusaient de condamner publiquement la répression que le Parti Communiste Chinois inflige, depuis plusieurs années, aux 11 millions de Ouïgours dans leur territoire d’origine, le Sinkiang.

C’est ainsi aussi que les observateurs ont eu la surprise de constater que de très nombreux pays musulmans, membres de l’Organisation de Coopération Islamique, s’abstenaient, eux aussi, de dénoncer publiquement ce qui est pourtant une persécution anti-musulmane de grande ampleur.

La première partie de l'analyse d'Antoine Brunet : la subordination récente de multiples instances par Pékin 

La seconde partie de l'analyse d'Antoine Brunet : les bases d’une stratégie conquérante amorcée après 1979

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