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Comment l’humour sur Twitter est devenu une arme de destruction massive
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Mort de rire

Les blagues, de nos jours, prennent le plus souvent la forme de "tweet". Cette proximité entre le réseau social et l'humour n'est pas fortuite et correspond pleinement à l'air du temps.

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad est docteur en sociologie, chercheur au Ceaq-La Sorbonne, enseignant et responsable pédagogique au Cnam, et gérant d'une société industrielle (Ermatel).

Ses réflexions et ses recherches portent principalement sur les valeurs et les structures d’organisation de la société, avec une focalisation sur l’entreprise, à l’aune de la postmodernité.

Il a publié Le rire dans l’entreprise, chez l’Harmattan, en 2010.

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L’impression première que donne le tweet, comme forme d’expression, est une sorte de légèreté, d’insouciance, de manque de sérieux. Même si les conséquences peuvent, elles, s’avérer importantes, voire dramatiques. Ce qui est le cas justement d’une blague ou d’un jeu de mot. Cette proximité entre tweet et humour n’est pas fortuite, et est en accord avec l’air du temps.

Nous allons le voir à travers trois éléments clés : la rhétorique utilisée, le format fragmentaire, le mode de communication.

Ce qui fait le succès de Twitter est justement ce qui lui est reproché : l’obligation de s’exprimer en peu de mots, d’aller à l’essentiel. D’où l’obligation d’utiliser des figures rhétoriques adaptées, et donc abuser de l’illusion, de la métaphore, de la métonymie. Toutes figures utilisées prioritairement dans l’humour. L’histoire drôle fonctionne sur la dissimulation, permise par les opérations de sélection, qui renvoient à la métaphore (on choisira un terme qui ressemble à un autre, dans un système de valeurs commun aux deux protagonistes : un exemple type est l’amour est un feu brûlant ), et des opérations combinatoires qui renvoient à la métonymie (utilisation de la partie pour le tout : L’Elysée ne répond plus). Ceci permet alors dans un mouvement circulaire, spiralesque, de revenir au point de départ, de redérouler l’histoire, d’y voir un autre sens, de repartir au début, et ainsi de suite.. En effet, la blague nous place dans une boucle, de laquelle on ne peut sortir. C’est le rire alors qui nous sauve. Et c’est cette conjonction du ludique et du tragique qui rend l’histoire drôle si riche et si prisée.

Par ailleurs, les tweets sont des suites de fragments, et cette forme fragmentaire est en cela en congruence avec l’air du temps. Dans une époque qui a perdu le sens des grands récits, et donc des grands systèmes de pensée, le fragment est le moyen d’expression adapté. Ne pas aller vers une conception globale et cohérente du monde, mais juste capter le moment qui passe. Ce n’est pas par hasard que Nietzsche a adopté le fragment et l’aphorisme pour développer son gai savoir et c’est ce que nous retrouvons dans le rire. Eclater de rire. Le rire met la réalité en fragments. Or là où il y a fragment, il y a ce sentiment que quelque chose auparavant était homogène, entière et s’est désagrégée. Il y avait une unité qui s’est brisée. Et de fait, c’est exactement ce que veut faire le tweet : une mise en fragments d’une certaine réalité. C’est l’unité de cette réalité qui est ainsi cassée par le rire, et la promesse de la construction d’une autre unité, à partir des mêmes fragments. Mais qui dit éclatement, dit une certaine violence. La désagrégation des éléments est toujours génératrice d’une énergie qui est difficilement contrôlable. Et le rire est justement violence, agression (cf. K. Lorentz). Et le tweet n’est justement pas exempt de violence, mais une violence symbolique, qui avance masquée, généralement derrière une ironie bien calibrée. Et qui s’adresse à un public ciblé.

En effet, la communication sur Twitter s’adresse à un public captif : on s’adresse à ses semblables, et ce que l’on va exprimer va servir à conforter l’unité du groupe. Le meilleur moyen est alors d’agresser l’ennemi, et la meilleure des agressions est l’humour. Rire des autres. Il faut se rappeler que la circulation de l’histoire drôle est à rapprocher de celle du mythe. Elle se fait essentiellement par le bouche à oreille. Il n’y a pas d’instance officielle ou d’intermédiaires régulateurs pour gérer la diffusion des histoires drôles. Fonctionnement que nous retrouvons bien sûr pour le tweet. Pour bien fonctionner, le twitt  implique un émetteur, un récepteur et le système de valeurs qui leur est commun. Comme pour l’histoire drôle, le tweet fonctionne sur la polysémie, et un système symbolique partagé.  

Comme toute bonne blague, le tweet est très efficace pour adresser un message, à un public ciblé, de manière concentrée, indirecte et codée. Le dernier exemple en date, celui de Valérie Trierweiler est probant : le texte lu de manière littéral ne comporte aucun motif de polémique. C’est le non dit, et le public réellement visé par le tweet (et non son destinataire direct) qui en donne tout le sel et toute l’ironie dissimulée.

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