Comment l'Europe veut nous sucrer la betterave...<!-- --> | Atlantico.fr
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Un champ de betteraves à Pont-du-Château, dans le Puy-de-Dôme.
Un champ de betteraves à Pont-du-Château, dans le Puy-de-Dôme.
©THIERRY ZOCCOLAN / AFP

Agriculture

Alors que le secteur de la betterave traverse sa plus grave crise, on annonce la fermeture de deux usines en France. Le gouvernement de Mme Elisabeth Borne serait bien inspiré d’éviter que l’Europe nous sucre la betterave et plonge davantage la filière dans le rouge.

Pauline Winocour-Lefevre

Pauline Winocour-Lefevre est Vice-Présidente du Conseil départemental des Yvelines, déléguée à la Ruralité, à l’Agriculture, à l’Alimentation et aux Circuits courts.

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En ce printemps 2023, c’est la reprise des travaux dans les champs. Les plaines se réveillent et demandent une attention de chaque instant jusqu’à la récolte, suscitant bien des inquiétudes chez nos céréaliers, nos maïsiculteurs ou encore nos betteraviers. Vous savez, ceux qui cultivent des betteraves, ce légume à la racine charnue qui lorsqu’il est blanc permet de faire du sucre ou du biocarburant ? Ceux-là sont particulièrement inquiets. Depuis longtemps ils ont prévu leur assolement, en respectant scrupuleusement les pratiques agronomiques qui s’imposent et en appliquant à la lettre les règles administratives draconiennes dictées par l’Union Européenne. Ils ont commandé leurs semences depuis longtemps : ce sont des précautions qui font partie du métier, en particulier quand la volatilité des prix et des disponibilités se trouvent renforcées par une situation géopolitique conflictuelle. Le bon sens paysan les aura conduits à anticiper.

Ce n’est pas par hasard que la politique agricole commune (PAC) fut, dès 1962, l’une des pierres angulaires de la construction ambitieuse d’une Europe solidaire, pacifiée et prospère. A l’heure où les équilibres alimentaires sont bouleversés par un conflit meurtrier qui s’enkyste à nos frontières, il est utile de le rappeler.

Mais il y a une chose qu’ils n’avaient pas prévu : la décision de la Cour de Justice européenne qui vient d’annoncer que les Etats membres ne peuvent déroger aux interdictions de mise sur le marché de semences traitées avec des néonicotinoïdes. Or cet insecticide est la seule arme efficace contre la jaunisse de la betterave, maladie aux conséquences dévastatrices, transmise par un puceron, qui peut faire baisser la production de 20 à 70%.

Nos agriculteurs savaient que le régime était dérogatoire. Ce qu’ils pensaient, puisqu’ils ont du bon sens, nos paysans, c’est que la dérogation continuerait à s’appliquer en l’absence de solution technique alternative. Ce qu’ils ignoraient, nos paysans, c’est que certains pays de l’Union Européenne prolongeraient quant à eux, leur dérogation pour l’année 2023, car ils l’avaient obtenue avant la décision des juges européens interdisant les néonicotinoïdes (source « Les Echos » mercredi 25 janvier 2023), provoquant aussitôt distorsion de concurrence.

Cette décision scandaleuse risque de précipiter ce pan essentiel de notre agriculture et son industrie de transformation dans un gouffre. Un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros, 23 700 producteurs et 45 000 emplois pour la filière (source), tout de même… Comme toute réponse et par habitude de la politique du chèque, l’Etat providence envisage de donner une aide financière à la profession… Et vlan ! Un petit coup à la bonne santé de notre déficit budgétaire, qui fera, à n’en pas douter, fuir illico les pucerons porteurs du virus destructeur de la jaunisse ! Donner des aides plutôt qu’aider les paysans à produire, en voilà une idée neuve et pertinente ! Si leurs fermes étaient gérées de la même façon, nous n’aurions pas grand-chose à mettre dans nos assiettes !

Sans aller jusqu’à la politique de la chaise vide, la France ne pourrait-elle pas, pour une fois, s’opposer et résister avec fermeté et courage, en refusant cette décision inique et en maintenant cette dérogation pour 2023 ?

Cela serait un signal fort donné par l’un des pays signataires du traité de Rome à la bureaucratie et la juridiction européennes qui vont finir, si ce n’est pas déjà trop tard, par dénaturer le projet initial européen aux yeux des européens eux-mêmes. Cela serait une décision de bon sens visant à soutenir efficacement une filière et à rappeler que la Ferme France n’est pas qu’un salon printanier qui se tient Porte de Versailles pour accueillir citadins et élus en mal de campagnes.

Pauline Winocour-Lefevre

Vice-Présidente du Conseil départemental des Yvelines, déléguée à la Ruralité, à l’Agriculture, à l’Alimentation et aux Circuits courts

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