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Comment éviter de se laisser censurer par le biais d’un procès en "phobie" (islamo-, homo-, ou autre)
©DR

Bonnes feuilles

Voilà une étude très fine de la langue des journalistes actuels en France et de son impact sur notre façon de comprendre le monde, avec des exemples très concrets, vivants, où chacun retrouvera les radios, TV ou journaux qu’il consulte. Extrait de "La langue des médias" d'Ingrid Riocreux, éditions L'Artilleur 2/2

Ingrid Riocreux

Ingrid Riocreux

Ingrid Riocreux est agrégée de lettres, docteur d'Etat et qualifiée aux fonctions de maître de conférences à l'université.

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Accuser quelqu’un d’islamophobie ou d’homophobie, c’est porter contre lui une accusation grave, peut-être totalement infondée, mais forcément efficace. C’est le classer parmi les méchants dans le monde simple du Journaliste. Si le mot n’a peut-être pas été inventé par les mollahs, les rédactrices de Prochoix n’ont néanmoins pas tort sur son utilité actuelle ; il s’agit bien d’un « instrument de censure ». Ce qui est étrange, c’est qu’on ne les entende jamais dénoncer avec la même véhémence tous les autres termes en -phobe, de xénophobe à europhobe, en passant par homophobe ou LGBTphobe, qui ont exactement le même rôle. Le rôle qui est aussi celui de fasciste et de raciste, même si ces deux termes tendent à tomber en désuétude au profit de la dénonciation des particularismes de la haine (les…-phobies). Dans Langage et idéologie, Olivier Reboul propose d’appeler «mots-chocs » ces termes qui empêchent de penser et qui orientent, par leur seule prononciation, le point de vue et l’action des auditeurs: « Je n’ai pas besoin de dire : “Mettons ces fascistes à la porte”; il me suffit de crier: “Fascistes!” pour que le résultat soit le même. »

Lors de l’affaire Zemmour, Titiou Lecoq a produit, sur Slate.fr, un article intelligent et courageux car méta-journalistique (c’est-à-dire prenant pour objet la démarche des journalistes eux-mêmes), interrogeant aussi bien la pertinence des réactions aux propos polémiques du chroniqueur que les méthodes d’interview: «Là où Zemmour n’a pas tort (attention, veuillez reposer ces cailloux, je n’ai pas fini ma phrase), c’est que les cris n’ont aucune valeur explicative. Pour disqualifier un ennemi, il ne suffit pas de jeter l’anathème sur lui sous la forme de l’insulte suprême “gros raciste”. Traiter quelqu’un de “gros raciste” n’a jamais constitué un argument valable dans un débat. Ça consiste seulement à disqualifier un orateur, à s’attaquer à son “ethos”, mais disqualifier quelqu’un ne disqualifie pas pour autant ses arguments. Quand la Licra attaque Éric Zemmour en justice, elle fait passer un message qui ressemble en gros à “dire que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes, c’est raciste et le racisme c’est mal”. Et bien je ne suis pas convaincue par la force de la démonstration. Plutôt que de se borner à interdire les propos jugés racistes, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux les décortiquer, les analyser et y répondre ? […] Et c’est pour cette raison qu’il faut lui opposer des arguments plutôt que des insultes. Refuser la discussion, c’est en un sens lui donner raison. Et dans notre système démocratique empreint de paranoïa, cela revient à laisser penser qu’il dit la vérité et que c’est pour ça qu’il dérange. Invité sur le plateau de “l’Objet du scandale”, à l’occasion de la promo de son livre Mélancolie Française, Éric Zemmour était face à Frédéric Bonnaud et Gérard Miller. Ce dernier n’eut de cesse de [sic, NDLA] s’exclamer sur le mode “gros raciste”, “c’est intolé- rable”, “une honte”, sans réussir à donner d’argument parce qu’à chaque phrase de Zemmour, il était clairement pris d’une envie de se rincer la bouche avec du Cif ammoniacal ».

La référence à l’éthos oratoire (l’image que la personne donne d’elle-même dans son discours) est très pertinente. Le mot-choc est commode en ce qu’il atteint directement la personne et permet de la discréditer sans s’embarrasser de la contestation méthodique des propos qu’elle a tenus. Ces termes n’ont d’utilité que médiatique : ils s’intègrent parfaitement à la fonction inquisitoriale du Journaliste précédemment décrite. D’un emploi simple, utiles pour anathématiser les gens et identifier à tout va des dérapages, les phobies et autres étiquetages du même acabit donnent l’impression qu’une ligne rouge a été franchie, que la sanction n’est pas loin, que le rétropédalage (mot éminemment journalistique) s’impose.

En un sens, il est totalement inutile et contreproductif de répondre à ce type de catégorisation. Ce serait comme répliquer: non, vous vous trompez, je ne suis pas un connard/abruti/gros emmerdeur, etc. On répond à l’insulte par l’insulte ; ou bien on la tourne en dérision, mais on n’y répond pas posément comme on réfuterait une thèse. Ou alors on se rend ridicule. C’est là que les participants de la Manif pour Tous ont très mal manœuvré. Au Journaliste qui leur demandait: «Que répondez-vous à ceux qui vous considèrent comme homophobes?», que ne lançaientils: « on s’en moque ! » Les «nous ne sommes pas homophobes mais » étaient pitoyables. C’était un terrible aveu de faiblesse, de honte et d’hésitation; et cette défense vaine gaspillait un temps qui eût été précieux pour l’attaque. Leurs adversaires ne s’excusaient jamais; au contraire, ils avaient compris que pour exister médiatiquement dans le cadre d’un mouvement de masse et pour peser dans le débat public, il faut appliquer ce qu’Adolf Hitler prônait déjà dans Mein Kampf (voir, plus haut, l’exemple des savons): une posture monolithique, simpliste, caricaturale et tranchée, sans aucune déférence pour l’opposant qui doit être diabolisé sans trêve, à tort ou à raison. On peut le déplorer mais c’est ainsi, et le fait est que cela fonctionne. Cicéron le disait déjà : le principe de convenance, au sens d’adaptation au contexte, est fondamental. On ne peut pas défendre une idée de la même manière dans un débat de deux heures, dans une manifestation, sur un blog ou sur tweeter. Le format et les conditions d’expression doivent présider au choix de la stratégie. Dans une manifestation, on ne se défend pas contre les arguments de l’adversaire, on fait valoir son point de vue, on «montre ses muscles», comme le disent parfois les journalistes. Or, aux yeux du lobby LGBT, dans la mesure même où ils participaient à ce défilé politique, tous les manifestants de la Manif pour Tous étaient homophobes. 

Extrait de La langue des médias d'Ingrid Riocreux, publié aux éditions L'Artilleur, mars 2016. Pour acheter ce livre cliquez ici

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