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Un atelier sur le robot ChatGpt organisé par le Service des médias scolaires (SEM) de l'instruction publique du canton suisse de Genève, le 1er février 2023.
Un atelier sur le robot ChatGpt organisé par le Service des médias scolaires (SEM) de l'instruction publique du canton suisse de Genève, le 1er février 2023.
©FABRICE COFFRINI AFP

Révolution

Se contenter d’en interdire l’usage comme certains établissements ont commencé à le faire relève de l’aveuglement.

Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico : L’utilisation de ChatGPT fait débat dans le secteur de l’éducation. Certains établissements ont même décidé d’interdire son usage. Cette intelligence artificielle présente-t-elle un réel danger pour l’enseignement ? 

Laurent Alexandre : Les grands modèles de langage » (large language models ou LLM) présentent un réel danger pour les enseignants car ils fournissent des réponses qui vont être assez rapidement supérieures à celles fournies par les professeurs. Le danger est d’abord un danger corporatiste, c’est-à-dire pour la corporation des professeurs, avant d’être un danger pour les enfants. Autoriser les élèves à utiliser ChatGPT et ses successeurs conduira forcément à exiger de meilleures copies. 

Après avoir songé à interdire complètement ChatGPT, le directeur de la formation et de la recherche de Sciences Po a finalement annoncé que tous les étudiants utilisant ChatGPT ou tout autre outil ayant recours à l’intelligence artificielle devraient le mentionner de façon explicite, comme une source. Est-ce la bonne stratégie à appliquer ? 

La première déclaration de Sciences Po qui expliquait qu’il y aurait expulsion de l’école des étudiants utilisant ChatGPT était complètement stupide. Tellement que nous sommes passés de la menace d’exclusion définitive à l’autorisation de ChatGPT en quelques jours. Ce qui est quand même un saut exceptionnellement rapide. La première décision de Sciences Po n’avait pas été réfléchie et elle montre plusieurs choses. D’abord, l’école a pris beaucoup de retard en matière pédagogique et ses problèmes de gouvernance ne sont pas réglés car cette première décision n’aurait jamais dû être prise dans une institution normalement organisée. La seconde chose, l’organisation et l’utilisation des outils comme ChatGPT dans les universités et les grandes écoles doivent faire l’objet d’une vraie réflexion de fond et être confiées à des gens avec une bonne culture informatique et informationnelle. Ce qui n’est pas le cas à Sciences Po. Il y a donc une réelle difficulté car cette révolution pédagogique n’est pas accompagnée par des personnes capables de la porter. On ne va pas réguler ChatGPT dans les universités avec le personnel pédagogique actuel qui est capable de changer d’avis sur un sujet aussi grave en quelques jours à 180 degrés, ce qui est invraisemblable. 

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Au lieu de l’interdire, ChatGPT peut-il être un nouvel outil pour l’enseignement ? Comment ?

Il va forcément devenir un outil d’enseignement. Comme les LLM vont se généraliser dans de nombreux secteurs d’activité et métiers, il va bien falloir aider les étudiants à optimiser leur utilisation de ChatGPT. C’est donc un outil indispensable dans les universités. La transparence doit être de règle, c’est-à-dire que les étudiants doivent fournir de meilleures copies qu’ils en fournissaient avant d’avoir l’intelligence artificielle à leurs services et doivent indiquer toutes les contributions de ChatGPT. 

Après plusieurs tests, certains enseignants ont mentionné plusieurs limites de ChatGPT dans le rendu de devoir. Quelles sont ses limites actuelles ?

ChatGPT a des limites. Il est répétitif par moment, sa formulation est parfois lourde, il a des hallucinations numériques qui sont encore nombreuses. L’outil n’est pas parfait. Il faut apprendre à en connaître les limites. On peut imaginer aujourd’hui que le nombre d’hallucinations va baisser dans les mois et années qui viennent. Mais il en reste beaucoup et c’est une limite dont les étudiants doivent être conscients. 

Le ministre du Numérique français a déclaré que le ChatGPT n’était qu’un "perroquet approximatif". Il a par ailleurs annoncé viser "la formation de 400.000 experts du numérique d'ici 2030" pour que la France "ne passe pas à côté de cette nouvelle vague" de l'intelligence artificielle. Mesure-t-on suffisamment la révolution que pourrait représenter ChatGPT à l’école ?

La déclaration du ministre du Numérique est un accident malheureux. Il s’est fait taper sur les doigts par tous les spécialistes du sujet. Je pense que le ministre a bien compris qu’il s’est trompé et que sa déclaration était inadaptée. Le problème de la France n’est pas d’interdire ChatGPT, c’est de rattraper son immense retard dans l’intelligence artificielle. Il faut mobiliser toute la nation pour rattraper ce retard. Cela suppose donc de ne pas décrier cet outil extraordinaire même s’il a quelques faiblesses comme les hallucinations. 

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Le problème aujourd’hui ce n’est plus le numérique, c’est l’intelligence artificielle. Il faut changer de focale pour observer ce qu’il se passe en matière d’informatique. Nous ne sommes plus dans l’an 2000. Le problème n’est plus de former les personnes à PowerPoint ou Word mais c’est de leur apprendre à utiliser l’intelligence artificielle et en être complémentaire pour éviter de voir leurs emplois être détruits par l’IA. C’est un immense travail, il est évident qu’une bonne partie des journalistes vont devoir changer de métier car ChatGPT fait des articles de meilleure qualité. Je ne parle pas des grands journalistes d'envergure internationale, je parle des journalistes de base. Il y a un vrai travail à former et aider les personnes dépassées par ChatGPT à se rendre complémentaire de cet outil. Quand un journaliste fait en trois heures un article moins bien que celui de ChatGPT réalisé en quelques secondes, il est nécessaire de se poser la question de la formation à donner aux journalistes pour résister à la tornade ChatGPT. 

Concernant l’éducation, cet outil pourrait probablement remplir une partie des tâches de l'enseignant, d’ici 2025. Les professeurs vont devoir adapter leurs pratiques mais surtout devoir former les élèves à vivre dans un monde ou l’IA sera gratuite. C’est une tâche extrêmement difficile.

C’est une rupture. Le numérique aide à faire des tâches que le cerveau humain fait. Dans Word, c’est le cerveau et non le logiciel qui écrit les textes. Avec ChatGPT, c’est différent. Avec les LLM, c’est l’outil qui produit directement l’intelligence. L’IA n’est pas une mise en forme de l’esprit humain, c’est une substitution de l’esprit humain.

Comment l’éducation pourrait-elle intelligemment s’emparer du sujet de l’intelligence artificielle ? 

L’éducation nationale doit embaucher des informaticiens et des spécialistes de ces sujets-là, en les payant correctement. Cela va être très compliqué pour l’éducation mais plus particulièrement pour la fonction publique. Car aujourd’hui, les bons spécialistes des LLM en France gagnent entre 1 et 3 millions d’euros par an. Cela représente entre 30 et 100 fois ce que l’éducation nationale paie pour un informaticien. Il y aura donc une difficulté.

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