Comment devenir adulte dans un monde qui lui même ne l’est plus<!-- --> | Atlantico.fr
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La génération Y semble peiner à rentrer dans la vie d'adulte.
La génération Y semble peiner à rentrer dans la vie d'adulte.
©Reuters

Tous des Tanguy

La génération Y, celle qui a grandi dans les années 2000, semble peiner à rentrer dans la vie adulte. Elle repousse les décisions sérieuses - enfants, mariage, carrière - jusqu'à la trentaine.

Florence Servan-Schreiber

Florence Servan-Schreiber

Florence Servan-Schreiber est journaliste. Formée à la psychologie transpersonnelle en Californie, elle a été l'animatrice d'une chronique dans Psychologies, un moment pour soi sur France 5 - la déclinaison télévisuelle de Psychologies magazine- en 2004 et 2005.

Elle est notamment l'auteure de "Trois kifs par jours et autres rituels recommandés par la science pour cultiver le bonheur" publié aux éditions Marabout.

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Atlantico : Il semble y avoir un réel décalage entre les vingtenaires d'aujourd'hui et les générations passées (celles de nos parents, grands-parents). Les Tanguys se sont généralisés et nombreux sont ceux qui ne sentent pas adultes. Peut-on parler d'une génération passive ?

Florence Servan-Schreiber : On ne peut pas parler d'une génération passive, les vingtenaires d'aujourd'hui ne sont pas oisifs ils sont simplement actifs d'une manière différente. Notamment, parce que l'environnement sociétal est actuellement plus difficile à maitriser. Les jeunes d'aujourd'hui ne savent plus très bien de quoi sera fait leur avenir : quel sera leur métier, ni dans quel pays ils vivront.

Ainsi ils tendent à se concentrer sur de micros objectifs. Des objectifs plus petits que ceux que pouvaient avoir leurs parents et grands-parents au même âge, principalement à cause d'un objectif final difficile à cerner. De ce fait, ils se recentrent sur leurs études, la possibilité de voyager, la recherche de leur propre personnalité.

Il faut plutôt parler de cette génération comme d'une génération qui avance en zigzag plutôt qu'en ligne droite comme pouvait le faire  les générations précédentes au même âge.

Ces incertidutes expliquent ce phénomène des tanguys. En partie, parce qu'il est devenu quasi impossible d'acheter son propre logement sans avoir une carrière professionnelle.  Dans la façon même dont l'apprentissage personnel se fait de nos jours–notamment par la généralisation des stages- l'état d'adulescent n'en est que prolongé. Les jeunes apprennent énormément de choses durant ce prolongement de l'adolescence mais ils n'ont pas les possibilités financières nécessaires à  commencer leur vie d'adulte. 

Avencer en zigzag est aussi un processus de perfectionnement : les vingtenaires se perfectionnent sans tout à fait se lancer dans leur vie d'adulte.  L'obsession actuelle du CDI y est pour beaucoup. Etre adulte n'est pas une question de volonté mais plutot celle du "est-ce que mon CDI est terminé"? 

Les possibilités d'études, de voyages… se sont multipliées, c'est donc l'apparition d'un monde pluriel, voire une extension de l'adolescence. Cette expansion des possibilités hors cadre professionnel expliquent-elles à elle seule ce manque d'engagement dans la vie active ?

Cette impossibilité à devenir adulte dans la période des 20 à 30 ans, ne découle pas d'un manque d'engagement. Les choix sont souvent incertains : la multitude de possibilités rend la capacité à faire un choix et à s'engager plus compliquée.Plus il y a d'orientations possibles plus la décision devient anxiogène. Surtout, parce que faire un choix est synonyme d'un renoncement. Ce faisceau de possibilités vertigineuses donne lieu à une absence de choix ou à un choix provisoire. La multitude des métiers existants et pouvoir se dire  " je pourrais faire ce métier, ou celui-ci, je pourrais vivre ici ou là-bas…",  sont autant d'hyper choix rendant la prise de décision plus complexe. 

Ce qui fait l'adulte en lui-même c'est le projet. Il y a parfois des métiers qui ont l'air temporaires, mais qui peuvent s'inscrire dans un projet à long terme, dès lors on est adulte sans le savoir. Quand il y a absence de projet et que l'on ne fait que se débrouiller, picorer : on ne s'investie pas dans une vie d'adulte. On ne tente pas de le devenir non plus. Ainsi, c'est seulement si l'on manque d'un projet pouvant devenir un projet stable que l'on refuse l'engagement dans la vie active.

Il semble que peu de jeunes de 20 ans s'imaginent construire une famille, se marier, avoir une carrière définie, acheter une maison dans les 2 ou 3 années à venir. A l'inverse nos parents, grands-parents organisaient leur vie d'adulte bien avant. Qu'est-ce qui a pu motiver ce changement de modèle ?

Si il y a eu changement de modèle, c'est parce que les jeunes actuels ne se mettent pas dans une position de possibilité. Si on a envie de construire une famille, on se donne les moyens de mener à bien ce projet. On cherche un métier stable qui nous permettra de gagner de l'argent en vue de fonder une famille. Si les jeunes d'aujourd'hui s'en disent incapables, c'est qu'ils ne savent pas encore qui ils veulent être professionnellement et amoureusement. Leur difficulté à se projeter se retrouvera sur tous les plans.

D'autre part, pour fonder une famille il faut se trouver dans un couple. Or, ne serait-ce qu'à ce niveau on retrouve encore l'hyper choix : trouver un partenaire est devenue une consommation. Cela rejoint l'idée des rencontres en ligne, que l'on s'en serve ou pas, ce modèle a donné lieu à un schéma de consommation de la rencontre. Plutôt que de créer un lien avec quelqu'un (par exemple, rencontrer quelqu'un dans un bar et essayer d'explorer cette rencontre), on est dans une sorte d'addiction de la sollicitation technologique. Au lieu de donner sa chance à une rencontre, on cherche ailleurs, même après avoir rencontré un compagnon potentiel. La quantité, même dans ce domaine, a presque remplacé la qualité. Tout simplement, parce que dès le moment où l'on est sollicité on se sent flatté, rassuré et on ne prend donc pas la peine de s'investir dans une relation. Ce schéma-là est ambiant : ce n'est pas vrai pour tout le monde, mais c'est l'air du temps. 

En repoussant les obligations de la vie adultes à la trentaine, les jeunes adultes actuels ont plus de temps pour réfléchir à leurs attentes, pour se forger leur propre personnalité, pour étudier… Ne sont-ils pas ainsi mieux préparer à la vie d'adulte ? Cette maturité tardive n'est-elle pas, en réalité, avantageuse ?

Etre adulte se construit chaque jour. Plus on gagne de l'expérience : mieux on apprend à se connaître. La maturité se construit une journée à la fois. Les jeunes d'aujourd'hui  ne sont pas mieux préparés mais le sont simplement autrement. Le changement vient aussi du fait qu'ils vivront plus longtemps, travailleront plus longtemps. C'est juste une autre façon de penser sa vie, ce n'est ni mieux, ni moins bien. C'est une adaptation aux transformations sociétales qui sont en cours et qui ne sont surement pas finies.

Effectivement, on ne reviendra pas arrière sur les changements sociétaux même avec l'arrêt de la crise. Ce modèle est apparu de la conjonction de situation économique avec l'accélération technologique. De plus, les jeunes sont de plus en plus nombreux sur le marché du travail, les employeurs ont donc, eux aussi, de plus en plus de choix, expliquant qu'ils s'engagent moins.

Toute cette accélération donne à chacun la possibilité de s'engager moins et moins vite : le provisoire a remplacé le projet pour tout le monde, donc l'environnement s'adapte.

Mais il faut nuancer, le jour où ces jeunes trouvent une véritable envie porteuse de projets -qu'il s'agisse d'une envie de couple, de carrière ou de destination-  ces zigzag disparaissent. L'envie est source d'investissement personnel. 

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