Comment Antoni Gaudí a puisé son inspiration dans sa foi et la piété mariale<!-- --> | Atlantico.fr
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Patrick Sbalchiero a publié « Antoni Gaudí : L'architecte de Dieu » chez Artège éditions.
Patrick Sbalchiero a publié « Antoni Gaudí : L'architecte de Dieu » chez Artège éditions.
©JOSEP LAGO / AFP

Bonnes feuilles

Patrick Sbalchiero publie « Antoni Gaudí : L'architecte de Dieu » chez Artège éditions. Antoni Gaudí est mondialement connu et sa production d'une originalité inégalée. Son oeuvre, unique en son genre, constitue l'un des pôles d'attraction de Barcelone. Il est vrai que son art ne se comprend qu'au regard de la foi, lui qui a conçu la Sagrada Familia, son chef-d'oeuvre, comme une bible de pierre, une « forêt de symboles » pour élever l'âme vers Dieu. Extrait 2/2.

Patrick Sbalchiero

Patrick Sbalchiero

Historien et journaliste, spécialiste des phénomènes religieux, Patrick Sbalchiero a publié une vingtaine d'ouvrages dont l'Histoire des exorcismes en 2018 chez Perrin.

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Antoni Gaudí est un grand chrétien. Sa foi n’est en rien comparable à une théorie intellectuelle qui coifferait sa personnalité comme une superstructure. Elle habite son être.

L’adhérent des associations pieuses

Nous avons évoqué sa formation reçue au sein d’une école tenue par les pères Piaristes. Nous n’y revenons pas. Mais elle reste une clé décisive pour mesurer à quel point son œuvre, si novatrice, ne surgit pas du néant, mais tire son origine de la rencontre que fait Antoni au collège où, par ailleurs, il reçoit une excellente formation intellectuelle et religieuse. Cette rencontre, c’est celle du Christ. Grâce à elle, Gaudí va devenir d’abord non un artiste, mais un ouvrier sur le chantier du Créateur, à sa mesure, un collaborateur de la grâce. Théologien de la pierre, Gaudí ne dissocie jamais art et sacré. Pour la plupart, ses réalisations sont un prolongement de sa prière.

Parallèlement à son métier d’architecte, Gaudí est un chrétien engagé. Il devient membre de plusieurs associations pieuses. En 1899, il adhère au Cercle artistique de Saint-Luc (Cercle Artístic de Sant Lluc) fondé six ans plus tôt, suite à des suggestions et des projets d’artistes du modernisme catalan, comme Baixeras, Llimona, Pons, de Riquer, etc. C’est une association regroupant des artistes catholiques âgés d’au moins seize ans et jouissant d’une « bonne moralité », proche de l’évêque de Vic, Mgr Josep Torras i Bages (1846-1916), figure importante du catalanisme au début du XXe siècle, opposé, comme ce Cercle, au Cercle artistique de Barcelone, de sensibilité anticléricale. Pour ses membres, la pratique des arts est codifiée. Ainsi, le nu féminin est-il interdit aux dessinateurs.

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Il est également inscrit à la Ligue spirituelle de la Mère de Dieu de Montserrat‚ dont le but était de renforcer la vie chrétienne des membres et de contribuer à la reconstruction matérielle et spirituelle de la Catalogne par la promotion du chant grégorien, du catéchisme en catalan, du scoutisme catholique et d’une campagne de lutte contre les anticatholiques qui renient la foi. L’image de Notre-Dame de Montserrat, populairement appelée La Moreneta en raison de sa peau brune, est une sculpture romaine polychrome d’une grande beauté. Elle date du XIIe siècle. En 1881, la Vierge de Montserrat est proclamée sainte patronne de la Catalogne par le pape Léon XIII.

En 1947, elle est placée dans un retable d’argent, payé par une souscription populaire, dans la partie supérieure de l’abside de la basilique. La figure imite un modèle très populaire de la Vierge en majesté. Elle est représentée dans une attitude strictement frontale, avec l’Enfant Jésus assis sur ses genoux au centre. La mère et le fils portent tous deux une couronne.

La Vierge tend sa main droite, dans laquelle elle tient le globe, symbole du cosmos. Elle pose sa main gauche sur l’épaule de l’Enfant pour indiquer que ce roi tout-puissant est son fils. Ce dernier fait un geste de bénédiction de la main droite et tient une pomme de pin dans sa main gauche, en signe de fécondité et de longévité.

En 1916, il participe à un cours de chant grégorien dispensé par le P. Gregori Sunyol, brillant liturgiste, dans un lieu édifié par son confrère Lluís Domènech i Montaner (1850-1923), l’un des meilleurs architectes de l’époque, auquel nous devons notamment le célèbre Palais de la musique catalane (Palau de la Musica Catalana) dans le quartier Saint-Pierre de Barcelone, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, pour lequel il a réutilisé la céramique et le fer forgé qui avaient été employés pour le musée de Zoologie (Museu de Zoologia), commencé pour l’Exposition universelle de 1888.

Gaudí et la Vierge

Antoni Gaudí est un catholique imprégné de spiritualité mariale. Dès son enfance, sa mère lui transmet sa ferveur pour la Vierge Marie. Elle ne lui fera jamais défaut. Sur tous ces bâtiments, religieux comme civils, l’architecte a multiplié les références à la Mère de Dieu.

Ses aïeux, ses parents, les amis de ces derniers, les prêtres de la région, tous prient Marie, la Mare de Déu en catalan – traduction du grec Theotokos (Mère de Dieu‚ plus ancienne invocation mariale connue, présente sous forme de graffiti dès le IIIe siècle dans la basilique primitive de Nazareth.

Gaudí, architecte de la Sagrada Familia, utilise lui aussi cette invocation née au début du christianisme. Mieux : il aime répéter à son entourage que son œuvre n’est pas le fruit exclusif de son labeur, mais de l’amour de la Vierge qui patiemment l’accompagne chaque jour. Lors de la construction de la Sagrada Familia, il déclare que ce projet inhabituel vient non des hommes – et encore moins d’un seul homme – mais de Dieu. Lorsqu’il parle de lui – ce qu’il déteste faire –, Gaudí confesse que sa vie et son travail sont providentiels. Dieu se sert de son œil et de ses mains pour intervenir ici-bas, et donner ainsi au monde des œuvres à la mesure de sa gloire. C’est cette intervention surnaturelle qui est le vrai (et le seul) auteur des bâtiments, estime Gaudí. Lui-même n’est qu’un fragile instrument, ce « roseau pensant » cher à Blaise Pascal.

Nous l’avons vu : Gaudí était un homme humble. Aussi‚ les sources documentaires n’informent-elles qu’insuffisamment sur ses pratiques religieuses. Qu’en est-il de sa dévotion mariale privée? La présence de Marie est chez lui presque permanente. Il ne cesse de la prier, au moins de deux manières différentes. D’abord, à un premier niveau, Gaudí récite le chapelet de façon régulière et, plus sûrement encore, plusieurs fois chaque jour. Contraint de marcher régulièrement depuis sa jeunesse pour ses problèmes rhumatismaux, il se rend presque chaque jour à la petite église Saint-Philippe-Néri en quittant l’un de ses chantiers. Le long de ces parcours, son chapelet ne devait le quitter que rarement. Rentré à son domicile, il y a fort à parier que son amour pour Marie s’exprimait de la même manière.

L’origine de la prière du Rosaire est très ancienne puisqu’une tradition orientale attribue à saint Antoine d’Égypte (IIIe siècle) la création des prières répétitives à la Mère de Dieu. Au XIIe siècle, les moines cisterciens, puis au siècle suivant, franciscains, dominicains et carmes perpétuent ces gestes jusqu’à inventer peu à peu ce qui devient la prière du Rosaire, omniprésente parmi les fidèles catholiques et, d’une manière spécifique, dans les pays de l’Europe méridionale comme l’Espagne. Il n’est donc pas surprenant que Gaudí, comme beaucoup de fidèles à son époque‚ a appris et entendu dès l’enfance prier la Vierge en récitant le chapelet, pratique qu’il a intégrée, développée et systématisée à l’âge adulte.

Ensuite, on ne peut que penser qu’il participait aux festivités des grandes fêtes mariales. Bien que sur ce point aussi, il reste difficile de retracer avec précision ses pratiques, il va sans dire que Gaudí assiste aux festivités mariales célébrées par l’Église de son temps.

De surcroît, la liturgie est à ses yeux la réponse des hommes à l’amour de Dieu, venu parmi nous dans le sein d’une femme. Son œuvre est liturgique puisqu’elle célèbre les mystères du Créateur, jusqu’à les matérialiser dans les pierres, ces lettres taillées par une main humaine, dont la juxtaposition forme une parole vivante. Comme Dieu s’est rendu présent en ce monde sous l’aspect d’un petit enfant, l’œuvre du Catalan est ce par quoi l’invisible prend forme dans la mesure de notre visible.

De telles dispositions, loin d’être abstraites, ont des conséquences concrètes dans la vie du maître catalan. Passionné de chant grégorien, il va jusqu’à suivre une formation au Palais de la Musique de Barcelone. Lorsqu’on lui demande la raison de sa présence, il répond comme si de rien n’était : « Je viens ici pour apprendre l’architecture! »

Sous cette boutade, Gaudí montre la place qu’il assigne aux arts : le service du Beau et du Vrai qui sont une seule et même personne pour lui‚ le Christ. Architecture et chant sacré deviennent indissolubles à partir de l’instant où ils louent Dieu en servant la liturgie de l’Église. Mieux, comme l’art religieux, l’architecte anticipe ce à quoi l’humanité est appelée en espérance, à la participation de la vie des anges et à leur chorale de bénédiction dans le paradis. Gaudí voit grand, très grand même. Il organise l’espace intérieur de la Sagrada Familia en sorte que 3 000 choristes puissent prendre place. Un tel chiffre peut donner le vertige. En fait, il n’est que l’aboutissement matériel de la croyance centrale de l’architecte‚ selon laquelle toutes les cultures et toutes les religions aboutiront au Christ, commencement et terme de la création. Pour incarner cette théologie, il n’hésite pas à se servir de symboles et de motifs issus de traditions extra-européennes. Des personnes venant des sagesses orientales en particulier (shintoïsme et bouddhisme) ont demandé le baptême au contact de l’œuvre de Gaudí. N’est-ce pas l’expression concrète d’un tel enseignement?

Sa dévotion personnelle à la Vierge, outre la récitation quotidienne du chapelet, ne s’est jamais mieux exprimée qu’à travers certaines de ses réalisations, à commencer par la Sagrada Familia, le rêve d’un homme dans le rêve d’une nation. Une part essentielle de ce chantier est de portée mariale, ou, pour mieux dire, le temple traduit dans sa conception matérielle le dogme de l’incarnation‚ au cœur duquel nous trouvons Marie.

La Vierge y occupe une place proprement théologique, comme dans l’ensemble sculptural de la Nativité, sur la colonne de la porte centrale, où l’on voit l’Enfant Jésus protégé par Marie et Joseph. La scène du couronnement de la Vierge sous la porte de la charité incarnée par Jésus, explique aux fidèles que Dieu fait de Marie la reine des anges et de l’Église par son acceptation de la parole divine devenue chair en son sein.

Pour réaliser de telles œuvres, on ne peut se contenter d’un vernis culturel et d’approximations. Gaudí est un être profondément imprégné de spiritualité, non pas de manière théorique et livresque, mais jusqu’au plus profond de sa chair. Marie n’est pour lui – il en va évidemment de même pour saint Joseph – nullement une mère de substitution ou une divinité féminine. Chez lui, la Vierge est celle de la foi de l’Église : la mère humaine du Christ qui, en son humanité, apporte au monde le salut prophétisé par les hommes de la Bible.

Elle est aussi le modèle parfait du croyant pour Gaudí, la femme que l’humilité et la virginité rendent entièrement disponible à Dieu, comme cela avait été développé par Origène au IIIe siècle, puis, à sa suite, par d’autres Pères de l’Église, comme saint Ambroise de Milan au siècle suivant.

Reus, sa ville natale (aujourd’hui jumelée avec la ville française de Brive-la-Gaillarde), où ses parents emménagent lorsqu’il a six ans, est déjà un centre marial. Le 25 septembre 1592, la Vierge y serait apparue « entourée d’anges » à une jeune bergère, Isabel Besora. Marie se présente sous le vocable de la « Vierge de Miséricorde ». L’épidémie de peste ravageant la région fut stoppée suite à cet événement et, dès 1601, une chapelle a été construite sur les lieux.

À vue humaine, Gaudí a essuyé un échec vis-à-vis de sa ville natale puisqu’il ne put y réaliser aucune œuvre pour son embellissement. Cependant, les deux projets qu’il conçut pour cet endroit illustrent parfaitement la dévotion mariale de leur créateur.

Le premier consiste en un étendard devant être porté par les pèlerins de Reus chaque été, à l’occasion des fêtes en l’honneur de l’apparition de 1592. Cet objet, effectivement fabriqué, fut porté à travers la ville en 1900, lors d’une belle cérémonie à laquelle Gaudí assista en personne.

Deux scènes avaient été dessinées par Gaudí. L’une, de face, représentait l’apparition de Marie à la jeune bergère; celle du recto figurait le drapeau catalan et quelques motifs ornementaux. L’étendard a été détruit en 1936.

Un second étendard a retenu l’attention de Gaudí : l’Orfeo Feliuà. Haut de 1,75 m, il était surmonté d’une croix. Feliuà désigne saint Félix, un martyr chrétien du IIIe  siècle. Pour le créateur du parc Güell, la vie éternelle passe par la croix et la déréliction.

Le second projet ne vit jamais le jour. Il s’agit des plans de restauration du sanctuaire marial de Reus, construit au XVIIe siècle dans un style baroque. Gaudí y travailla de manière intermittente entre 1900 et 1914 mais, dans les dernières années de sa vie, il consacra son énergie à la Sagrada Familia. Un fait a marqué les esprits : hormis au cours de la guerre civile d’Espagne, notamment l’année 1937, le chantier de la Sagrada Familia n’a jamais été interrompu. Certains ont vu dans cette continuité le doigt de la Vierge Marie, comme l’achèvement de la tour de Marie à la fin de l’année 2021. Haute de 138 mètres, seule la tour de Jésus la dépassera lorsque sa construction sera finie. La tour de Marie est la seule des 18 tours prévues permettant de relier l’extérieur à l’intérieur : un passage nécessaire, comme l’est Marie dans le domaine de la foi. La tour est couronnée d’une étoile, figure symbolique de Marie depuis le XIIe siècle. Lorsque le soleil brille, un rayon de lumière plonge sur le grand autel, signifiant que, par Marie, les croyants vont à Jésus dans le sacrement de l’eucharistie. Au pinacle de cette tour, Gaudí a voulu la présence de douze étoiles qui forment la couronne de la Vierge. C’est bien sûr une iconographie inspirée de l’Apocalypse de saint Jean : « Un grand signe apparut dans le ciel : une femme, vêtue du soleil, la lune sous ses pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles » (Ap 12,1).

Le chiffre 12 a ici une importance symbolique et théologique : Marie, la nouvelle Ève, est l’être à qui Dieu a accordé toute sa confiance, dans le sein de laquelle la promesse faite aux douze tribus d’Israël est manifestée au monde. Puisque Dieu est venu en son humanité, Marie ouvre aux hommes les douze portes de la Jérusalem céleste. Enfin, parmi les trois bâtiments réunis par le cloître de la Sagrada Familia, la chapelle est dédiée à l’Assomption, seule structure devant rester ouverte jour et nuit pour l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement.

Les deux dessins de la main du maître que nous conservons autour de la Sagrada Familia illustrent l’importance avec laquelle il entendait représenter la figure de Marie à cet endroit. L’un représente une façade, sur laquelle est représentée la Vierge s’élevant au-dessus d’un portique, comme un hommage à l’apparition de son pays natal.

D’autres réalisations sont inspirées par la piété mariale. Sur la façade de sa dernière construction civile, la Casa Milà, Gaudí a fait poser les paroles de l’Ave Maria ; à l’intérieur du bâtiment, il a inscrit des phrases courtes en l’honneur de Marie sur les plafonds en plâtre blanc : « Marie, ne te désole pas d’être petite, petites sont aussi les fleurs et les étoiles. »

L’amour d’Antoni pour Marie se traduit en des gestes concrets. Le 25 janvier 1925, dans un état de santé précaire – il vient de faire deux malaises consécutifs –, il communique ses dernières volontés au cardinal archevêque de Tarragone, Mgr Francisco de Asis Vidal y Barraquer. Ce legs est à la fois surprenant et révélateur de la spiritualité de l’architecte. En effet, il entrevoit une fondation pieuse en l’honneur de la Vierge qu’il vénère sans pareil. À cet effet, il fait don de 35 titres de la Compagnie des chemins de fer de Tarragone qui, à cette époque, constituent ses seules ressources.

A lire aussi : Antoni Gaudí, un « moine-architecte » au service de Dieu

Extrait du livre de Patrick Sbalchiero, « Antoni Gaudí : L'architecte de Dieu », publié chez Artège éditions

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