Combien de temps faudrait-il à une Europe abandonnée par les Etats-Unis pour construire une industrie de l’armement capable de soutenir un vrai conflit ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’ancien président américain Donald Trump a menacé, en cas de réélection, de ne plus garantir la protection et la défense des pays membres de l’OTAN face à la Russie.
L’ancien président américain Donald Trump a menacé, en cas de réélection, de ne plus garantir la protection et la défense des pays membres de l’OTAN face à la Russie.
© AFP / POOL / CHRISTIAN HARTMANN

Economie de guerre

Les déclarations de Donald Trump sur l'Otan poussent les Etats européens à réfléchir à une évolution forte de leur industrie de l'armement.

Robert Ranquet

Robert Ranquet

Robert Ranquet est ingénieur général de l’armement à la retraite. Spécialiste des questions de défense et d'armement il a été le directeur adjoint de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

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Vincent Bru

Vincent Bru

Vincent Bru, Député MoDem des Pyrénées-Atlantiques

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Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : L’ancien président américain Donald Trump a menacé, en cas de réélection, de ne plus garantir la protection et la défense des pays membres de l’OTAN face à la Russie. L'Europe est-elle en capacité de faire évoluer son industrie pour passer, dans le cadre d’une économie de guerre, à une industrie de l'armement mobilisée pour soutenir un véritable conflit ?

Robert Ranquet : L’Europe a les moyens et les capacités de répondre à ce défi. Les déclarations de Donald Trump sont une provocation de plus. Mais cela correspond à une opinion assez répandue aux Etats-Unis, qui considère que les Européens devraient se prendre en charge eux-mêmes et que les Américains ne sont pas là forcément pour les soutenir ad vitam aeternam. Mais les Américains instruits savent bien qu'ils ne peuvent pas rester très longtemps à l'écart d'un conflit qui surviendrait en Europe. Le fait d'être le garant de la sécurité de l'Europe, à travers l’OTAN, n'est pas uniquement pour les beaux yeux des Européens : si la situation dégénère en Europe, ils seront forcés d'intervenir. Ils ont donc quand même intérêt à être là et à garantir la sécurité de l’Europe avec l'OTAN.

Vincent Bru : Les déclarations de Donald Trump sont relativement inquiétantes car l'article cinq du traité de l'OTAN stipule bien que dès lors qu'un Etat est mis en cause, c'est l'ensemble des Etats qui sont concernés et donc cela appelle à une réaction de l'OTAN. Il est donc très inquiétant d'imaginer que les Etats-Unis puissent se soustraire à leurs obligations internationales prévues dans le traité de l'Atlantique Nord. Même en dehors des déclarations du candidat à la présidence des Etats-Unis, il faut rappeler que l'Europe doit se préparer et doit investir elle-même pour sa propre sécurité. Cela permettra de protéger l'OTAN et agira comme une assurance vie. Chaque fois qu'un Etat membre de l’Union européenne est mis en cause, il doit y avoir une défense mutuelle qui s'applique. Il est donc vital de renforcer la défense européenne afin qu'elle soit plus efficace, plus efficiente et surtout plus souveraine.

Jérôme Pellistrandi : L'Union Européenne est sous contrôle américain puisque les bombes nucléaires que certains pays de l'Alliance pourraient mettre en œuvre sont sous contrôle américain. Sans les États-Unis, le pilier européen de l'OTAN serait beaucoup plus faible et n'aurait pas cette capacité nucléaire fournie par les Américains.

Le Royaume-Uni a des capacités nucléaires et la France est totalement autonome sur le plan nucléaire par rapport à l'OTAN. Londres, Paris et Washington appartiennent au club des États dotés alors que les autres membres de l'Alliance Atlantique ne sont pas dotés.

Très honnêtement, même si les États-Unis diminuaient leur empreinte, est-ce que cela irait jusqu'à un retrait complet de l'OTAN ? Je suis assez sceptique. Malgré les déclarations incendiaires de Donald Trump, je vois mal les sénateurs américains entériner un retrait pur et simple des Américains. Les États-Unis eux-mêmes n'ont absolument pas intérêt à quitter l'Alliance Atlantique qui joue un rôle dans la défense des États-Unis et qui en plus est un marché non négligeable pour l'industrie de défense américaine.

Je vois mal comment Washington pourrait dire « je quitte l'Alliance Atlantique » et en même temps vouloir vendre des F-35 aux Européens. Il n'en demeure pas moins qu'un désengagement partiel des États-Unis de la structure militaire de l'Alliance Atlantique obligerait les Européens à renforcer leur propre capacité. Mais ils le feraient dans le cadre de l'Alliance Atlantique, qui est l'outil de l'interopérabilité, de la capacité à travailler ensemble. Un désengagement américain ne signifierait pas que tout d'un coup l'Union Européenne se substituerait militairement à l'Alliance Atlantique.

En supposant que les États-Unis s'investissent beaucoup moins, comment l'OTAN pourrait se réorganiser et travailler ? 

Jérôme Pellistrandi : La question soulevée par Donald Trump concerne l'investissement. Il est clair que si les États européens augmentent leur budget de la défense, cela pourrait pallier en grande partie  un repli américain. Mais cela ne peut pas se faire en l'espace de quelques mois. Ces investissements s'étalent sur plusieurs années au minimum, sans oublier un volet essentiel qui sont les ressources humaines, les soldats. Les Européens commencent à se préoccuper de ces enjeux car il y a la menace russe. Elle oblige les Européens à renforcer leur défense. Certains États ne sont pas encore à 2% du PIB mais des États comme l'Espagne ou la Belgique, qui étaient plutôt en queue de peloton concernant les dépenses militaires, réinvestissent. Mais la part des dépenses sociales dans la plupart des pays européens n'existe pas aux États-Unis. Quand des sommes sont investies dans la Défense, il faut bien prendre l'argent quelque part. Alors qu'aux États-Unis, l'État fédéral n'investit pratiquement pas dans le domaine social. Donc les structures budgétaires et les outils de comparaison sont compliqués à mettre en parallèle. 

L'Europe est-elle dépendante des États-Unis ?

Jérôme Pellistrandi : L'Europe est dépendante militairement car les États-Unis représentent une part importante de l'Alliance atlantique. Les pays de l’UE sont dépendants technologiquement. Le club des pays utilisateurs du F-35 ne cesse de s'étendre et cela renforce cette dépendance de facto à l'industrie de défense américaine.

Comment l'industrie et les usines pourraient-elles basculer en Europe et participer à une véritable industrie de l’armement, mobilisée dans le cadre d’une économie de guerre et en cas d’un conflit armé ? Quels seraient le temps et les moyens nécessaires ?

Robert Ranquet : Cette transformation peut s’opérer très vite. Ce fut le cas lors des deux Guerres mondiales (mais trop tard pour la Seconde). Il serait possible de rapidement développer l'industrie de l'armement, de convertir des industries diverses (qui fabriquent habituellement des camions, des machines à laver, des biens d'équipement) en usines qui produisent des équipements d'armement. Cette étape peut se faire dans un délai assez court. Mais il faut néanmoins partir d'une base industrielle suffisante. Malheureusement en Europe, il n'y a pas énormément de pays qui ont une base industrielle dédiée à la défense très conséquente. Les principaux pays comme la France, l'Allemagne, l'Italie, la Pologne sont les seuls à vraiment compter. Une grande incertitude concernerait le Royaume-Uni :si les Américains se retirent et ne veulent pas participer au soutien de l’OTAN, de quel côté se positionneront les Anglais ? Cela reste une interrogation.Il est certain que l'industrie d'armement britannique est encore importante. Elle figure dans le trio de tête dans la région avec la France et l'Allemagne.

En Europe et en France, nous avons une palette complète de technologies. La branche de l’industrie dédiée à la défense est capable de produire des fusils, des chars d'assaut, des missiles. Il n’y a pas de problèmes de compétences techniques pour fabriquer des armements.

L’Europe est réellement en capacité de passer en économie de guerre et de se préparer à un éventuel conflit. Le gouvernement déclare régulièrement que « nous sommes en guerre », contre le Covid, contre le réchauffement climatique, contre l'insécurité ... Nous ne sommes donc jamais en guerre en fait. L'expression est complètement galvaudée. Aujourd'hui, alors qu'il y a une guerre aux portes de l'Europe, nous ne sommes pas passés en économie de guerre.

Si nous devions vraiment passer en économie de guerre, il faudrait quelques mois pour reconvertir notre industrie. Est-ce que la France est capable de tenir ces quelques mois ? Sans les Américains derrière nous, les forces en présence sont nettement limitées et les stocks de munitions sont encore plus limités. La France n’aurait que quelques jours de munitions en stock dans le cadre d’une guerre de haute intensité. L’enjeu est donc de suffisamment reconstituer nos stocks. Le gouvernement s'en préoccupe actuellement. Il faut également anticiper une remontée assez rapide en puissance des industries pour fournir tout le matériel nécessaire.

Vincent Bru : Cette question se pose dans le cas particulier de la France. Il y a eu une évolution d'une gestion de flux à une volonté de reconstituer des stocks d'armements et de munitions. Les Etats européens doivent absolument tendre vers des investissements dans le domaine de la défense à hauteur de 2 % du PIB. Cela concerne les moyens humains mais également les armements et les munitions. La Pologne atteint les 4 % de son PIB, la France avoisine les 2 %. Mais d'autres pays européens sont en retard. Cet effort doit être un effort commun. Il faut que chaque Etat européen fournisse un véritable effort pour encourager la Base industrielle et technologique de défense (BITD) de leurs pays à se développer. Cela doit contribuer effectivement à soutenir une économie de guerre comme en France mais ce processus doit être généralisé. En France, des progrès ont été réalisés. Pour fabriquer un canon Caesar de l'entreprise Nexter, il fallait 30 mois. Depuis la guerre en Ukraine, il ne faut plus que 15 mois seulement. Le temps de fabrication a été divisé par deux. De la même façon, les missiles Mistral de MBDA nécessitaient entre 18 à 24 mois jusqu'à présent. Maintenant il suffit de 15 mois pour fabriquer un missile. Pour les radars de chez Thales, le délai est passé de 24 à 6 mois. Pour les obus de 155 qui sont extrêmement utilisés, notamment en Ukraine, ils sont fabriqués par Nexter. La production mensuelle a été triplée : on passe de 1000 à 3000 obus produits chaque mois. Cela témoigne des efforts qui sont réalisés en France. Cela doit être généralisé dans les entreprises de la BITD et dans la plupart des Etats européens, en Italie, en Espagne, en Belgique, en Allemagne. Les pays de l'Union européenne doivent soutenir toutes les technologies et toutes les industries de l'armement par des commandes publiques régulières qui puissent donc garantir aux entreprises de la BITD une certaine régularité. 

Lorsque j'ai réalisé un rapport sur les munitions, il s’agissait de la principale inquiétude des entreprises. Elles souhaitaient que les commandes publiques soient régulières et prévisibles et régulières. Aujourd'hui, nous sommes donc dans une situation d'économie de guerre et donc par conséquent, cela permet de demander aux entreprises européennes concernées de fabriquer davantage et surtout d'éviter que les États n'achètent sur étagère, achètent à d'autres pays qui ne sont pas européens, comme les États-Unis ou Israël ou à d'autres pays qui pourraient nous fournir des armes et des munitions. L'important est de valoriser la technologie européenne et la production européenne.

Si Donald Trump se retirait partiellement des investissements, est-ce que l'OTAN est capable, dans le cadre des investissements, de produire de la même façon, d'atteindre le même niveau technologique et de faire face aux menaces ?

Jérôme Pellistrandi : Cela resterait difficile car la capacité de production industrielle européenne est inférieure à la capacité américaine. Cela pousserait certains États qui étaient habitués à acheter américain, d'aller acheter français ou allemand. Il y a certains domaines dans lesquels, par exemple pour le ravitaillement en vol, l'offre européenne via Airbus est bien supérieure à l'offre américaine. Mais je vois mal les grandes entreprises américaines comme Lockheed Martin ou Boeing accepter sans réagir que les États-Unis se désintéresserent de l'Europe. Est-ce qu'un retrait partiel des États-Unis ferait que les Européens se retourneraient exclusivement vers le Rafale ou vers l'Eurofighter ? J'ai des doutes. Je vois mal Boeing et Lockheed Martin accepter les yeux fermés que le marché européen leur échappe.

Donald Trump pourrait-il donner la priorité nationale aux entreprises américaines ? Ces entreprises américaines auraient-elles du mal à exporter leurs marchandises par exemple vers les pays de l'OTAN ?

Jérôme Pellistrandi : La problématique pour Donald Trump était une forme d'isolationnisme à l'égard de l'Europe. Mais ce serait exactement pareil pour d'autres pays, notamment je pense à la zone Indo-Pacifique, qui tireraient comme conclusion que l'alliance avec les États-Unis est fragile. Il est vraisemblable effectivement qu’en cas d'élection de Donald Trump les relations avec l'Europe seront “rock'n'roll”. Elles obligeront les Européens à être plus unis, à faire front et peut-être à faire des compromis en faveur de plus d'Europe dans la défense. Mais les grandes entreprises comme Boeing risquent d’avoir du mal à accepter qu'il y ait cette forme de retrait. L'alliance atlantique est un des piliers de la politique de défense des Etats-Unis. Cela va aussi fragiliser d’autres types d’alliances. Les déclarations de Trump sont un coup de tonnerre mais de là à pratiquer un isolationnisme et à se retirer totalement de l'OTAN, cela sera totalement contre-productif notamment pour le business qui est dans l'ADN de Trump.

La France est-elle en avance ou en retard par rapport à ses voisins européens sur cette capacité de transition vers une industrie d'armement ?

Robert Ranquet : La France est bien placée. Il n'y a pas si longtemps, nous avions des industries d'armement conséquentes et dans tous les domaines. Mais depuis un certain nombre d'années, tout cela a été réduit avec les restrictions budgétaires. Un certain nombre d'usines ont été fermées, en particulier dans l'armement terrestre, dans les constructions navales. La construction aéronautique, elle, a toujours de bonnes capacités, tout comme les chaînes industrielles de construction des missiles.. Avec un budget conséquent, il serait possible de reconstituer cela assez rapidement. Cette transformation de l’industrie est faisable.

Alors que la guerre en Ukraine a révélé certaines limites de la production d'armements européens, avec par exemple les canons Caesar ou certaines munitions, l'Europe a-t-elle les moyens, de manière solidaire ou coordonnée, d'accélérer ce processus de construction d'une industrie de l'armement ?

Robert Ranquet : Tant que la guerre n'est pas sur notre territoire, il ne faut pas y compter. Les pays européens sont en concurrence en matière d'armement. Ils ne vont pas spontanément se mettre à coopérer. Ils ne se mettront à coopérer que si les gouvernements eux-mêmes sont poussés par un danger absolument pressant et vital, et s'entendent alors pour vraiment passer collectivement en économie de guerre.

Jérôme Pellistrandi : Je pense que le verre est quand même à moitié plein. De grands progrès ont été réalisés. La guerre en Ukraine est un catalyseur et un accélérateur. Les questions de défense se font dans le temps long alors que la menace peut surgir dans le temps court.Les grands programmes structurants d'armements qui s'étalent parfois sur un demi-siècle ne s'improvisent pas en l'espace de quelques mois. Cela demande beaucoup de discussions, de compromis. Mais il y a eu des progrès, des accélérations. Il y a par exemple la réactivation du triangle de Weimar entre la France, l'Allemagne et la Pologne. C'est une bonne chose dans le contexte géopolitique actuel.

Que faudrait-il pour que cette organisation européenne soit encore plus solide ? Qu'est-ce qui manque encore aujourd’hui ?

Jérôme Pellistrandi : Il faut une volonté commune sur des programmes très concrets et un leadership. Ce qui fait la force de l'OTAN, c'est qu'il y a un leadership américain. La difficulté pour l'Union européenne concerne cette question du leadership. Qui le détient ? La Commission européenne ou l'Allemagne par sa puissance économique ? Une alliance militaire a besoin d'un leadership. Est-ce que la France, l'Allemagne ou l'Angleterre sont en mesure d'assumer ce leadership européen ? La réponse n'est pas simple.

Il faudrait un certain temps pour arriver à se développer suffisamment sur le plan de l’industrie militaire. Combien de temps faudrait-il pour développer une force commune à l’échelle européenne ? 

Jérôme Pellistrandi : Bâtir une armée européenne est une illusion. Même l'OTAN n'est pas une armée commune car on combat pour son drapeau. Voilà. Penser qu'on arrivera demain à avoir un soldat européen comme on aurait un soldat otanien est une illusion.

Les peuples ne sont pas prêts à accepter cela. Mais sur de nombreux domaines, il y a des convergences. Lorsqu’un programme de système de combat aérien qui pourrait être un jour le successeur du Rafale est lancé, ce système va engager notre industrie et va engager nos armées pendant plus d'un demi-siècle. 

L'actuel Rafale français a fait son premier vol de démonstration en 1986. La France vient de commander 42 Rafales supplémentaires qui entreront en service à partir de 2027. Ces avions ont une durée de vie de 40 ans. Ces programmes structurent l'industrie, l'économie, la recherche et le développement pour un demi-siècle. Ce temps long est lié à cette industrie. 

Est-ce que les pays Baltes ou les pays d'Europe de l'Est comme la Pologne ne sont-ils pas à la pointe de cette industrie d'armement au regard de la menace par rapport à Poutine par exemple ?

Vincent Bru : Ces pays, comme la Roumanie également, sont vraiment aux premières loges par rapport à une menace éventuelle de la Russie. Mais je ne pense pas que la Russie puisse  directement attaquer la France ou un État de l'Union européenne. Cela aurait des conséquences militaires et politiques dramatiques. 

Il faut véritablement qu’il y ait une prise de conscience de ces Etats que notre avenir, notre paix, notre sécurité sont entre les mains des États Européens, qui doivent faire preuve d'une vraie solidarité, et entre celles de l'OTAN.

Dans le cadre de l'Union européenne, la question de la souveraineté est un sujet très important. J'ai soulevé, lors de la rédaction du rapport, la difficulté concernant la dépendance aux semi-conducteurs, les composants électroniques utilisés notamment dans les technologies de l’armement. L'Europe et la France sont extrêmement dépendantes de l'Asie et particulièrement de la Chine et de Taïwan. Avec les tensions à Taïwan avec la Chine, il est possible d’être très inquiet. Les États-Unis ont décidé de renforcer leur production dans le domaine des semi-conducteurs, des composants électroniques pour avoir une solide production américaine. L'Europe cherche aussi à favoriser la production de composants électroniques au niveau européen pour justement ne plus être dépendants de Taïwan et de l'Asie de manière générale. L'Union européenne a enfin compris qu'elle devait assurer sa sécurité par elle-même. Cette sécurité dépend évidemment de la mise en place de l'économie de guerre à l'échelle européen et de la production par des entreprises européennes d'armements et de munitions.

Robert Ranquet : Ces pays ont des capacités limitées sur le plan de la défense et de l’industrie militaire, à l’exception de la Pologne. En revanche, ces nations sont en première ligne. Elles alertent depuis de nombreuses années sur le fait que la Russie présente une véritable menace. Jusqu'ici, ils n’ont pas été trop écoutés. Les puissances européennes étaient davantage préoccupées par ce qui se passait sur leur flanc Sud et au Moyen-Orient. Les pays de l'Est de l’Europe regardaient avec inquiétude du côté de la Russie. Les derniers développements semblent plutôt leur donner raison La menace russe n'est plus du tout hypothétique, surtout pour les pays Baltes qui sont en première ligne.

Est-ce que techniquement et technologiquement, les grandes sociétés de défense pourraient-elles aider l'industrie à faire cette transition vers une industrie d'armement ?

Robert Ranquet : Le savoir-faire des entreprises qui sont dans l'armement pourrait être transmis à d'autres entreprises si la nécessité se faisait sentir en y détachant des ingénieurs. Mais il faut bien être conscient qu’aujourd'hui, dans bon nombre de nos industries, il n’y a pas de réserve de techniciens et d'ingénieurs qui permettraient d'aller les implanter dans des industries classiques pour produire des armes.

Mais aujourd’hui, une grande partie des armements qui sont produits aujourd'hui en Europe sont tributaires de technologies américaines et de brevets américains. Des morceaux de ces technologies sont achetés aux Américains et ils exercent sur elles un contrôle extrêmement précis. Ils ont déjà utilisé ce genre de moyens de pression. Ils ont montré dans le passé qu’ils sont capables de fermer le robinet d'approvisionnement de ces matériels ou de ces équipements. Les Américains continueraient à nous fournir sans difficulté les technologies dont nous sommes dépendants ? Ils pourraient potentiellement mettre un embargo sur un certain nombre de technologies.

Vincent Bru : Beaucoup d'entreprises dans le domaine de la défense sont duales. Elles ont à la fois une production d'armement ou de munitions. Elles ont également des activités civiles, non militaires. La question, lors de la rédaction du rapport, était de savoir s’il était possible de faire basculer des ouvriers, des salariés, des secteurs non militaires vers la production dans les secteurs militaires. En cas de nécessité, cela aurait conduit à l’arrêt des productions civiles pour avoir plus de personnes qui pourraient travailler en trois huit afin de produire davantage d’armes et de munitions.

La réserve opérationnelle peut aussi être mise à la disposition des entreprises. Il y a également la réserve civile qui pourrait être mobilisée dans des usines pour produire davantage. Le problème des ressources humaines est majeur, en même temps d'ailleurs que le problème de l'investissement. Pour créer des chaînes de production et pour les démultiplier, il faut évidemment des locaux, du matériel. Cela est extrêmement lourd. Beaucoup d'entreprises avaient évoqué ces difficultés lors de nos échanges à l’occasion de la rédaction de ce rapport sur les munitions. Cela nécessite des investissements parfois extrêmement élevés. L'État et l'Union européenne doivent accompagner cette mutation vers une économie de guerre et soutenir nos industries. Cela sera bénéfique pour l'activité industrielle de manière générale. Des progrès technologiques ont permis des avancées considérables dans le domaine civil. Cela sera profitable pour nos industries françaises et européennes. Il est important de garder un savoir-faire. Pour éviter de perdre ce savoir-faire, la production de poudre à Périgueux a été relancée. Nous avions les poudreries royales qui remontent à plusieurs siècles. Ce savoir-faire français avait disparu. Les poudres pour les munitions étaient fabriquées en Suède et dans d'autres pays comme en Allemagne. La France importait ces poudres. La décision a été prise de réimplanter en Dordogne, à Périgueux en particulier, une fabrication de poudres qui sont nécessaires pour nos munitions. Un secteur industriel va donc se réimplanter grâce au savoir-faire d'ouvriers qui peuvent le transmettre.

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