Combien de morts dans le conflit israélo-palestinien depuis 1948 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les corps des civils tués lors des attaques terroristes du Hamas sont recouverts dans la ville de Sderot, dans le sud d'Israël, le 7 octobre 2023.
Les corps des civils tués lors des attaques terroristes du Hamas sont recouverts dans la ville de Sderot, dans le sud d'Israël, le 7 octobre 2023.
©BAZ RATNER / AFP

Mise au point

Le conflit israélo-palestinien apparaît de plus en plus violent depuis le 7 octobre 2023 et les attentats menés contre Israël par le Hamas.

Henry Laurens

Henry Laurens

Henry Laurens est historien et universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe depuis 2003.

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Atlantico : Le conflit israélo-palestinien apparaît de plus en plus violent depuis le 7 octobre 2023 et les attentats menés contre Israël par le Hamas. A combien peut-on estimer le nombre de morts, depuis un mois ? Le nombre de décès s’est-il intensifié ?

Henry Laurens : Pour l’heure, nous ne disposons que des statistiques mises à disposition par Israël et par le Hamas. Le nombre de morts connus, depuis les attentats du 7 octobre 2023, s’élève donc à plus de 1400 morts(otages non compris) environ, du côté israélien. Du côté palestinien, ce nombre grimpe à environ 10 000 décès dits civils.

Ceci étant dit, il faut évidemment rappeler que ces informations doivent être prises avec des pincettes : nous manquons encore de recul et les chiffres dont nous disposons ne sont pas assez précis. De plus, il faut aussi tenir compte du fait qu’ils seront bientôt obsolètes, puisque le conflit continue.

Cela ne signifie pas pour autant que le conflit actuel représente une intensification du nombre de décès, comparativement à celui de 1947-1949 au moins. A l’époque, les pertes israéliennes étaient estimées à 1% de la population d’Israël. Le nombre exact s’avère difficile à calculer puisqu’à partir du 15 mai 1948, Israël bénéficie de l’arrivée d’une vague de migrants dont un certain nombre meurent au combat dans les semaines qui suivent. En tout et pour tout, on estime aujourd’hui le nombre de morts entre 6000 et 7000 du côté israélien pour 13 000 environ du côté palestinien. C’est un ratio assez comparable, dans la mesure où les palestiniens était alors deux fois plus nombreux que les israéliens. Du côté d’Israël, les pertes concernaient essentiellement des soldats ou des combattants. En revanche, du côté de la Palestine, l’essentiel des morts étaient civils.

La situation actuelle est très différente, en cela qu’elle est marquée par les atrocités commises par les gens du Hamas. La haine qu’éprouve le Hamas à l'encontre des Israéliens n’a d’ailleurs pas besoin, contrairement à ce que laissent entendre certains, par un discours politique : elle résulte, et cela ne justifie en rien les récents attentats, de l’histoire et des conditions de vie dans la bande de Gaza. C’est d’autant plus dramatique que les sondages montrent aujourd’hui que la population de Gaza voulait, dans sa majorité, une solution politique plutôt qu’un affrontement. 

Le conflit israélo-palestinien dure depuis des décennies. En 1947, l’ONU décide d’un plan de partage de la Palestine pour permettre la création de l’Etat Hébreu. Quel a été le nombre de morts exact depuis le début des combats ?

Nous avons des statistiques plus ou moins précises concernant le nombre de morts qu’a pu faire le conflit israélo-palestinien depuis ses débuts. Selon les périodes – car celui-ci a parfois été plus meurtrier, parfois moins –, elles peuvent être estimées à l’individu près du côté israélien, du fait des recensements. Du côté palestinien, on a des listes nominatives pour 1947-49. Ensuite ce sont des estimations. 

La plus grande difficulté, pour identifier le nombre exacts de décès liés à la guerre israélo-palestinienne, c’est la dimension très interconnectée de certains conflits. Il devient difficile de savoir quelles morts attribuer à qui. Je m’explique : en 1948, des soldats sont également tombés sous les coups de l’armée jordanienne, de l’armée syrienne, des troupes irakiennes ou égyptiennes. Tous les combats n’ont pas été menés que contre les Palestiniens. En 1956-1957, Israël a aussi perdu des soldats contre l’Egypte, mais on sait aussi que plus d’un millier de Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. De même, un certain nombre de Palestiniens ont été tués au combat ou exécutés par l’armée israélienne, surtout à Gaza.

Les estimations actuelles évoquent environ 23 000 morts, au total, du côté Israélien depuis 1860. Le choix de la date peut paraître étrange, c’est certain, mais c’est la base retenue par la donnée statistique. Dorénavant, en tenant compte des développements récents, le nombre de décès doit avoisiner les 25 000 morts. Les chiffres, du côté palestinien, sont plus approximatifs, d’autant qu’il faut aussi tenir compte des conflits inter-arabes, comme la guerre du Liban. En tout et pour tout, on évoque généralement 100 000 décès palestiniens. 

Sait-on quelle période du conflit s’est avérée la plus meurtrière ?

Comme dit précédemment, la période la plus meurtrière du conflit s’est très probablement jouée entre 1948 et 1949. Par la suite, la situation a oscillé entre des conflits dits “à basse intensité”, c’est-à-dire avec un mort par semaine ou tous les quinze jours par exemple, et des phases d’extrême violence comme cela a pu être le cas en 1956. Cette année-là, on a compté 67 morts en seulement une semaine. Ensuite, l’Egypte et Israël sont entrés en guerre pendant trois ans, qui a fait autant de morts que la Guerre des Six Jours du côté israélien.

Il ne faut pas non plus oublier la guerre de 1973, qui a duré trois semaines, et les guerres du Liban depuis 1975 qui ont fait des centaines de morts du côté israélien, essentiellement des soldats. Le nombre de Palestinien doit être de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers surtout des civils.

La région a été déchirée par de nombreux autres conflits, notamment en Irak ou en Syrie. Ces conflits-là ont-ils été plus meurtriers que la guerre israélo-palestinienne ? Comment expliquer, dans ce cas, l’importante différence de traitement médiatique ?

Il est vrai que le conflit israélo-palestinien est loin d’être le plus meurtrier dans la région. Depuis 2011, la guerre en Syrie a fait environ 500 000 morts… ce qui représente bien plus de décès sur une période de temps considérablement plus courte. En Irak, les chiffres font l’objet de discussions et de débats importants, mais tout le monde s’accorde à dire que le nombre de morts est considérable, d’autant plus si l’on prend en compte la période Saddam Hussein, la guerre Irak-Iran, ou le conflit de 2003. Sans oublier, bien sûr, l’Etat Islamique.

Il faut aussi évoquer le Soudan ou l’Ethiopie, qui ont fait face à des conflits considérablement plus meurtriers que n’a pu l’être la guerre israélo-palestinienne. C’est vrai, également, pour le Yémen. Dès lors, il apparaît évident que ce qui rend le conflit opposant Israël et la Palestine si spécial, ce n’est pas le nombre de morts.

Le conflit israélo-palestinien constitue une situation d’exceptionnalité, d’abord parce qu’il a lieu sur la Terre Sainte et ensuite parce que c’est une guerre saturée d’histoire. Du côté occidental, elle s’articule autour de la Shoah et du côté palestinien, elle renvoie à l’histoire de la colonisation. C’est cette situation d’exceptionnalité, nécessaire à la réalisation de l’Etat Hébreu, qui fait qu’il est impossible de décider de sanctions économiques et financières contre Israël sans être taxé de racisme ou d’antisémitisme… alors même que de telles mesures auraient été perçues comme politiques si elles avaient été prises contre le Venezuela, l’Iran ou le Zimbabwe par exemple. Dans les faits, il devient très difficile de ramener Israël à la dimension courante et c’est la même chose pour la Palestine. Cela étant, ce niveau d’exceptionnalité n’avait jamais été aussi poussé qu’actuellement.

N’oublions pas non plus qu’il s’agit d’un conflit qui se vit aussi bien sur le terrain qu’à l’extérieur. Il provoque des chocs dans les sociétés occidentales aussi bien que dans le grand-sud. 

Enfin, il faut aussi parler de la concurrence victimaires qui se joue entre Israël et la Palestine (mais qui ne concerne évidemment pas que ces deux acteurs). Depuis la fin des années 1970, le statut de victime est devenu le paradigme dominant dans le monde et c’est pourquoi chaque groupe humain va revendiquer d’avoir, dans son histoire, plus de victimes que les autres. Ou, au moins, d’avoir vécu des tragédies plus importantes. C’est pour cela que l’on illustre la violence de l’autre, du côté israélien comme du côté palestinien, par les images d’enfants tués. Bien sûr, ces enfants morts sont symptomatiques de ce qui se passe sur le terrain mais le choix de les mettre ainsi en avant n’est pas non plus anodin : il est ici question du message que l’on souhaite envoyer, de la représentation que l’on veut donner à voir.

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