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Les clichés du libéralisme, épisode #5 - Le libéralisme, c’est la loi de la jungle
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Série du weekend

Chaque samedi, Daniel Tourre défait, avec humour, les clichés que l’on se fait sur le libéralisme. Dans ce cinquième épisode, vous découvrirez le libéralisme a des règles et ce ne sont pas celles des puissants et des plus riches.

Daniel Tourre

Daniel Tourre

Daniel Tourre est notamment l'auteur de Pulp Libéralisme, la tradition libérale pour les débutants (Tulys, 2012) et porte-parole du "Collectif Antigone". 

 

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Avant même le cinquième pastis, des experts à la fête de l’Huma vous expliquent doctement que le libéralisme propose une licence illimitée, dénuée de toutes règles. La société libérale serait ainsi un univers sans foi ni loi sauf celle des plus puissants ou des plus riches. Bref, la loi de la jungle. Cette vision est totalement inexacte.

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Le Droit naturel

Le libéralisme est une politique dont toute la réflexion tourne autour des institutions permettant de protéger des règles de juste conduite. Des règles permettant à chaque personne de vivre en société tout en respectant son individualité. C’est-à-dire des règles permettant à chacun d’être autonome, de mener sa vie, tout en travaillant, en coopérant, en échangeant avec des millions d’inconnus eux aussi autonomes. Ce sont des règles de bon sens : ne pas tuer, ne pas intimider, ne pas voler, rendre à chacun son dû, respecter ses engagements. Ces règles de vie en société s’appliquent à tous, y compris aux États. C’est la tradition du Droit naturel.

Le Droit naturel ne fait pas référence à la « nature » sauvage, les petits zoizeaux, le shampoing à la camomille, la jungle ou l’herbe verte.

"Nature : ensemble des caractères fondamentaux propres à un être ou une chose » comme le dit si bien un gros livre un peu ennuyeux à lire de A à Z mais si pratique pour comprendre une langue."

La nature pontaine

La nature d’un pont est par exemple d’enjamber un obstacle. La nature humaine est bien sûr beaucoup plus compliquée à définir que la nature pontaine, mais cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas ou qu’il est impossible d’en définir les contours.

L’existence d’une nature pontaine ne signifie pas que tous les ponts respectent la nature pontaine. Il peut y avoir des ponts « malades », un gros trou au milieu du tablier, ou des points mal conçus. Le fait que des ponts s’éloignent de leur nature n’est en aucun cas la preuve que la nature pontaine n’existe pas. Comment l’ingénieur exercerait son métier s’il n’avait pas un modèle idéal vers lequel faire tendre le pont ? De même, le fait que des hommes ou des cultures s’éloignent de la nature humaine n’est en rien un signe d’absence d’une nature humaine.

Droit naturel, réactionnaire ?

En entendant le terme «Droit naturel», l’autre réflexe immédiat est de le classer dans les niaiseries assez vieille droite entre «droit de cuissage» et «sexe des anges», bref, quelque chose de réactionnaire. Et bien non, aujourd’hui comme hier, le droit naturel n’est pas « un truc de réac’ ».

Ces derniers considèrent que les lois sont bonnes si elles viennent des ancêtres qui ont toujours raison même quand ils ont tort. Pour eux, les Hommes ont d’abord besoin de vivre en paix. La tradition doit être respectée car elle permet à chacun de connaître sa place, sans conflit ou amertume inutiles.

Or affirmer qu’il existe une nature humaine et un Droit naturel, étalon de mesure de la Justice, c’est potentiellement vouloir modifier les institutions pour qu’elles s’y conforment. C’est mettre le trouble dans le cœur des hommes, les pousser à contester l’ordre établi, les inciter à la guerre civile. On ne peut pas donner tort aux réactionnaires : le Droit naturel est corrosif, potentiellement révolutionnaire.

Droit naturel versus nazi

Du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946 se tient à Nüremberg un procès international jugeant les crimes d’un régime ayant mis l’Europe à feu et à sang et organisé l’holocauste. Petit problème : sur quelle base juger ces hommes ? Les exécutants nazis n’ont fait que respecter les lois de l’État. On ne peut être criminel si l’on respecte les lois de l’État, non ?

Ben si. On peut. Mais ce n’est pas très tendance de l’admettre chez les étatistes. A Nüremberg, les juristes ressortent alors de la naphtaline une pensée défendue par les libéraux et enterrée (un peu vite) au début du XXe : la tradition du Droit naturel. Elle affirme qu’au-dessus des lois posées par l’État, il existe un Droit naturel universel et intemporel –même imparfaitement connu- d’où découlent un certain nombre de règles auxquelles doivent se conformer les lois posées par l’État si elles veulent être justes.

Vieille de 2500 ans, la tradition du droit naturel n’aura finalement été exclue de la réflexion politique que quelques décennies par les socialistes et les fascistes, avant de faire un retour discret par la fenêtre. Quelques petites dizaines d’années dans lesquelles se concentrent les plus grandes catastrophes politiques de l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas par hasard.

"Si la Justice n’est pas un principe naturel, ce n’est pas un principe du tout. Si elle n’est pas un principe naturel, il n’existe pas quelque chose comme la Justice. Si elle n’est pas un principe naturel, tout ce que les Hommes ont dit ou écrit à son sujet,  depuis des temps immémoriaux, ont été dits sur ce quelque chose qui n’a pas d’existence, toutes les luttes pour la Justice dont on peut témoigner, toutes les plaidoiries et les combats Si la Justice n’est pas un principe naturel, alors il n’y a pas quelque chose comme l’injustice, et tous les crimes qui ont eu lieu dans ce monde ne sont pas des crimes mais simplement des événements comme la pluie ou le lever de soleil ; événements dont les victimes n’ont pas davantage de raison de se plaindre qu’ils peuvent se plaindre du jaillissement des torrents ou n’ont été qu’un fantasme, une vague rêverie et non la réalité de la croissance de la végétation."

Lysander Spooner
La loi naturelle ou la science de la Justice


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