Cléopâtre VII « On m’a traitée de salope, mais j’ai exercé le pouvoir pendant 20 ans, pour le bien de mon peuple et pour les femmes »<!-- --> | Atlantico.fr
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Cléopatre, incarnée par Elizabeth Taylor
Cléopatre, incarnée par Elizabeth Taylor
©Capture d'écran Youtube / DR / Twentieth Century Fox

Ces personnages de l’histoire qui ont changé le monde

Cléopâtre a été une des premières femmes de l’histoire à défendre tout au long de sa vie, la cause des femmes. Elle a préservé son peuple de l’arrogance des hommes… les féministes modernes ne lui sont guère reconnaissants. Entretien imaginaire avec la reine des reines.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Cléopâtre est sans doute la première femme de pouvoir à avoir été trainée dans la boue. On l’a beaucoup traitée de salope. Alors qu’elle n’a pas cessé de défendre son pays et la cause des femmes. L’histoire et le cinéma en ont fait une star mondiale… Elle avait bien gagné ce droit de nous raconter son histoire et de donner sa lecture de la société actuelle. IL s’agit là d’un entretien imaginaire mais pas imaginé. Il correspond à la vérité historique telle qu’elle ressort du travail des historiens de l’Antiquité fascinés par ses performances. 

La plus connue et la dernière des reines d’Égypte est en fait la 7ème de son nom. Fille de Ptolémée XII et de Cléopâtre VI, elle se voit obligée de se marier à son frère, Ptolémée XIII, puis à la mort de celui-ci, son plus jeune frère encore, Ptolémée XIV. Ces désagréments de rang lui ont donné un caractère obstiné, Cléopâtre était prête à tout pour son royaume. Son goût des alliances politiques, ou son talent pour trouver des amants haut placé, en ont fait une femme de pouvoir respectée, dont le mythe perdure aujourd’hui. Cléopâtre, féministe avant l’heure ?



JMS : Cléopâtre, Majesté, bonjour. Permettez-moi, pour commencer, de vous dire combien je suis impressionné par la ressemblance que vous avez avec Elizabeth Taylor...

Cléopâtre : On me le dit souvent en effet. Elle a fait un film très inspiré de ma carrière, mais ça n’est qu’un film, et elle n’est qu’une actrice. Elle n’a pas pris de risque. Moi j’en ai pris... Elle a gagné beaucoup d’argent, moi pas. Alors, ne parlons plus de cette usurpatrice si vous le voulez bien. 

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JMS : Majesté, Blaise Pascal a écrit que si le nez de Cléopâtre avait été plus court, la face du monde en aurait été changée. Quand avez-vous pris conscience que votre beauté pouvait paralyser les hommes et vous aider à prendre le pouvoir ? 

Cléopâtre : Je ne sais pas. Vous me flattez. Très jeune, sûrement. Mais je ne voudrais pas que vous perdiez votre temps et moi le mien. A cause de mon nez, de mes seins et de ma chute de reins, on m‘a traité de salope. Certains m’ont même surnommée « la plus grande putain de la vallée du Nil ... », quel honneur, ai-je alors pensé !  Alors pour clore ce chapitre, je voudrais vous dire que je suis une femme. Qu’il a fallu que je me batte pour accéder au pouvoir et qu’il a fallu que je me batte encore plus pour le conserver, parce qu’à cette époque, 60 ans avant Jésus Christ, la Méditerranée était menacée par les ambitions de l’empire romain, qui voulait étendre son hégémonie, non seulement sur l’Europe tout entière mais aussi sur le bassin méditerranéen et particulièrement sur l’Égypte. Et bien au-delà encore, sur tout l’Orient. 

Eh bien, pour que l’Égypte garde son indépendance, ses richesses et ses valeurs, il m’a fallu déployer des trésors d’imagination et obliger les dirigeants romains, Jules César d’abord et Marc Antoine ensuite, à passer une alliance avec nous. Arrêter la guerre contre l’Égypte et cohabiter sans plus. 

J’ai passé ces alliances, j’ai séduit César. J’ai pu exercer le contrôle du pays, mais pour qui croyez-vous que j’aie fait tout cela ? Je l’ai fait pour le bien du peuple. Il fallait se méfier de Rome. Elle a connu une stratégie de conquête à des fins de colonisation. Rome pillait les ressources du pays conquis pour nourrir les romains. 

Et croyez-moi le peuple égyptien sait très bien que je l’ai protégé de ces prédateurs. Le résultat c’est qu’aujourd’hui, ma notoriété comme vous dites, dépasse les frontières du pays.  

JMS : je ne voulais pas vous mettre en colère. Vous êtes fâchée ? 

Cléopâtre : Je ne suis pas fâchée, j’en ai assez qu’on ressorte les mêmes bêtises sur moi. Christine Deviers-Joncour, vous vous souvenez ? Elle a bien été baptisée "la putain de la République" sous Mitterrand, mais vous savez sur quel royaume elle régnait ? Un ou deux ministres... ridicule ! Moi, je suis une pharaonne. J’ai régné sur l’Égypte tout entière. Il n’y a pas d’autre exemple dans l’Histoire. Catherine II en Russie, peut-être ? Alors oui, j‘étais jolie sans doute. Mais pensez-vous que ça aurait suffi ? La nature m’a gâtée et mon père m’a fait donner toute l’éducation qu’on ne donnait pas aux femmes. J’ai eu les meilleurs précepteurs de l’époque. J’ai appris la philosophie, l’histoire, la géographie, les mathématiques, l’astrologie, et je parle six langues : l’arabe, le latin, le grec, l’araméen, le syrien, l’arménien. Je sais nager, danser et chanter juste. Alors les critiques et les insultes, vous vous les gardez ! 

JMS : Ne vous énervez pas, je ne voulais pas vous froissez.  Quand et comment êtes-vous montée sur le trône ?

Cléopâtre : A la mort de mon père, tout simplement en mars 51 avant Jésus Christ. Sauf que le testament de mon père me désignait comme successeur avec mon frère cadet qui avait dix ans de moins. Selon la coutume, je ne pouvais pas régner seule. Eh oui, je suis une femme. 

JMS : Et comment ça se passait avec votre frère ?

Cléopâtre : Très mal. J’ai essayé de changer la coutume, je ne voyais pas pourquoi en tant que femme, je ne pouvais gouverner seule. Mon frère et ses amis m’ont accusé de comploter, ils ont mobilisé les habitants d’Alexandrie et j’ai dû fuir en Syrie où j’ai recruté des mercenaires arabes. 

L’arrivée des armées romaines va changer la donne. Jules César a réussi à vaincre Pompée qui était son grand ennemi en juin 48 avant J.C. en le poursuivant jusqu’à Alexandrie. Les romains étaient plus en avance que les Égyptiens sur les mœurs…

JMS : Jules César a prétendu que vous aviez aidé Pompée dans sa fuite.

Cléopâtre : Oui, Jules César venait surtout avec l’intention de récupérer de l’argent et d’annexer l’Égypte. Il s’est installé au Palais des pharaons et je sais qu‘il n’avait jamais rien vu d’aussi beau. Je crois qu’il s’est aperçu alors, que l’Égypte était immensément riche. Le palais était magnifique avec des fresques, des meubles en ébène, brodés d’or. César a demandé à nous voir, mon frère a refusé. Et César est entré dans une colère noire. 

JMS : C’est à ce moment-là que vous êtes entrée en scène, si j’ose dire. César a réquisitionné un appartement dans ce palais, il tourne en rond comme un fou furieux quand on frappe à sa porte. Un Égyptien se présente alors avec un immense tapis. Les gardes se méfient du cadeau, César, un peu calmé, l’accepte. Le coursier déroule le tapis avec précaution et fait apparaitre - oh surprise - une très jeune femme quasiment nue. La jeune femme c’est vous... César est stupéfait, et vous, vous lui dites simplement « bonjour ! »  

Cléopâtre : Ça s’est passé comme cela, oui. Je lui ai dit « puisque vous vouliez me voir, me voilà nue et sans défense ». Il faut savoir que mon frère m'avait poussée à l’exil au fin fond du désert. Je crois que Jules César a été impressionné par cette arrivée très hollywoodienne et assez érotique, ma foi ! 

JMS : Sans doute, il vous a décrite comme merveilleusement belle et correspondant aux critères de beauté de la Rome antique. Vous aviez à peine 20 ans et lui 52. Jules César, à l’époque, est l’empereur le plus puissant du monde, il a gagné toutes les batailles, séduit toutes les femmes qu’il voulait, et même les hommes. C’est le plus courtisé et César consomme beaucoup, il a conclu de multiples unions à des fins stratégiques mais en dehors, il a collectionné les maitresses, les esclaves comme les princesses, les filles de joie ou les filles de roi, qu’elles soient libres ou mariées. Et ce jour-là, il découvre Cléopâtre. 

Malgré votre jeune âge, vous n’étiez pas farouche avec les hommes !

Cléopâtre : Non, j’aimais les hommes, je l’avoue. J’avais eu une grande histoire avec Gaïus, le fils de Pompée mais ça n‘avait pas duré. Sinon, les mœurs étaient très libres à cette époque. Le sexe n’est pas immoral, c’est une activité saine et nécessaire à l’équilibre personnel. Bref, ça ne choque personne et je peux vous dire qu’au palais de mon père, il y avait toujours un esclave disponible pour participer à des jeux érotiques. Donc, j’ai été initiée très jeune. 

J’ai compris très vite que Jules César n’allait pas me reprocher mon audace. Il m'a prise et nous avons passé la nuit ensemble. Le plaisir et l’amour étaient au rendez-vous. C’était plus que bien. 

Au petit matin, je savais que j’avais gagné. Mon frère qui apprend que j’ai couché avec César, sait, lui, qu’il a perdu. 

JMS : Alors, vous êtes arrivée au pouvoir grâce à votre amant, vous êtes finalement plus une Première dame qu’une reine…

Cléopâtre : On était bien loin de ces considérations à l’époque !  Les Égyptiens n’étaient pas patients. Ce qu’il fallait, c’était gérer le pays. César ne voulait pas d’histoire, il aurait pu anéantir le pays, il va nous le laisser, à mon frère et moi. Jules César veut respecter le testament et rétablir mon frère et moi comme cosouverains. Il voulait veiller à l’équilibre de ce pouvoir à deux têtes. Ça pouvait aussi lui rendre service. Moi, je m‘en moquais un peu, ma liaison avec lui se passait très bien. Il était fou amoureux. 

Mon frère n’acceptait pas cet accord. Il a donc essayé de se débarrasser de Jules César qu’il trouvait, disons, encombrant, il a tenté de l’empoisonner, puis de fomenter une révolte du peuple d’Alexandrie. N'importe quoi ! Que des échecs. 

Très énervé, Jules César a alors lancé ses légions contre les soldats qui avaient été payés par mon frère qui a été obligé de s’enfuir par le fleuve. Il est tombé dans l’eau du Nil et a disparu noyé. On a retrouvé son corps quelques jours plus tard. Personne n’a pleuré et moi, je n’ai pas porté le deuil. L‘avenir pour moi, était plus clair. Le trône d’Égypte m’appartenait, Jules César me protégeait. 

J‘étais enceinte. Les dieux étaient avec moi.  L’avenir qui s’offrait à cet enfant, qu'on allait appeler Césarion, pouvait être glorieux. Je le voyais régner plus tard sur l'Orient et l’Occident, et réaliser le rêve d’Alexandre le Grand. Pourquoi en plus, ne pas imaginer qu’Alexandrie ne devienne pas la capitale de ce monde réunifié ? J’y pensais, et d’autres aussi. 

JMS : Le peuple d’Égypte réagissait comment ? 

Cléopâtre : Le peuple n’aimait pas trop les Romains, mais César avait renoncé à ses projets d’annexion ou de colonisation. D’abord, parce qu’il passait le plus clair de son temps à Alexandrie avec moi et je faisais en sorte qu’il trouve cela agréable sans beaucoup travailler. Ensuite, je crois qu’il pensait que son armée n’était pas capable d’occuper le pays. Le Nil l’angoissait. 

Enfin, mon problème à moi était d’assurer la sécurité économique de l’Égypte et cette sécurité dépendait des récoltes, donc du climat et des crues du fleuve. La principale source de richesse venait du Nil qu’il fallait dompter. Mais il fallait aussi vendre les moissons. L’Égypte était le premier producteur de blé de la région. Et notre premier client, c’était Rome. Donc, si on vendait correctement les récoltes, on pouvait constituer des réserves pour affronter une mauvaise année. J’avais besoin de Rome. 

L‘essentiel de notre accord avec Jules César portait sur la gestion du blé. Il avait besoin de ce blé. Ou bien, il le volait en pillant la campagne, ou bien il l’achetait. Je lui ai fait comprendre qu’il valait mieux l’acheter pour ne pas réveiller mes mauvais côtés. Ça lui couterait moins cher.  

JMS : il a donc compris ce deal qui lui permettait de sécuriser les approvisionnements en blé de Rome a un prix beaucoup moins élevé que ce que lui aurait couté une guerre. Mais politiquement, l’Égypte avait quel statut ? 

Cléopâtre : L‘Égypte était sous protectorat romain, mais le protocole me réservait la totalité du pouvoir. Je signais tous les actes administratifs et financiers. 

JMS : Votre liaison était de notoriété publique. Il habitait dans votre palais mais vous, Vous alliez à Rome parfois ? 

Cléopâtre : Le monde entier était au courant de notre liaison, le monde entier savait que nous allions avoir un enfant et Jules César passait son temps à Alexandrie, ce qui commençait à lui poser problème à Rome. En l‘an moins 46 avant Jésus Christ, l’empereur va donc décider, sur le conseil du Sénat, de quitter l’Égypte pour faire la revue de ses troupes d’occupation et rentrer à Rome. C’est à ce moment-là qu’il va me demander de venir séjourner à Rome. J’y suis restée presque deux ans, avec, il est vrai, de fréquents retours sur Alexandrie. Mais deux ans, c’est long…

JMS : Y avait-il des raisons politiques à votre mal aise ? 

Cléopâtre : Tout était politique chez Jules César. Je pense qu’il voulait me montrer à son peuple, je crois qu'il voulait aussi signifier qu’il était personnellement lié au premier fournisseur de céréales de Rome. En clair avec moi, les romains ne manqueraient jamais de pain. Je leur apportais une assurance alimentaire.

Parce que vous imaginez bien que les romains ne m’aimaient guère. J‘étais la putain de l’empereur, une conquête de César, et en plus, il n’était pas question que j’offre une descendance à César.  D’où la rumeur persistante que Césarion n’était sans doute pas de lui. Cicéron par exemple me détestait. Il le disait partout et l’écrivait.

Plus sérieusement, je crois que les responsables politiques de Rome, les sénateurs par exemple, pensaient que j‘étais là pour préparer un déménagement de la capitale de l’empire sur Alexandrie. J‘y pensais certes, mais Jules César ne m’en a jamais parlé. C’était un beau projet, reconnaissez-le !

JMS : Les circonstances en ont décidé autrement, puisque César a été assassiné…

Cléopâtre : Je sais peu de choses sur son assassinat. La mort de César a été une surprise totale. Je savais que l’exercice du pouvoir à Rome était compliqué mais je n’imaginais pas que le pouvoir de César était si fragile.  Je sais que le testament ne mentionnait même pas le nom de notre fils Césarion. Mais seulement les deux héritiers officiels de César, Octave et Marc Antoine, qui vont d’ailleurs se partager le pouvoir. 

Moi, dans ces conditions, j'ai quitté Rome très vite, en pleine confusion pour rentrer à Alexandrie et reprendre les commandes de l’Égypte. 

Alors les choses ont été, là encore, un peu compliquées parce que je suis revenue en plein risque de famine, parce que le Nil était resté paresseux comme on disait, il n’était pas sorti de son lit pendant deux ans de suite. Donc pas de crue, pas d’irrigation, pas de récolte. Réchauffement climatique déjà peut être !!!

Faute de blé, je craignais des émeutes, d’autant qu’il y avait des légions romaines qui avaient commencé à piller certains greniers. 

La situation a été très confuse. Je n‘avais encore que 29 ans avec dans les bras, le fils de César que personne ne voulait reconnaître. 

JMS : La rencontre avec Marc Antoine qui a succédé à César, va, une fois de plus, faire basculer le destin. 

Cléopâtre : Je connaissais Marc Antoine depuis longtemps. Marc Antoine était officier dans l’armée romaine et je l'avais rencontré quand j‘avais 15 ans. Il nous avait un peu aidé à mettre de l’ordre dans la succession de mon père. Je l’ai revu beaucoup plus tard, lors de mon séjour à Rome et à ce moment-là, il était général. Nos rapports ont été, disons plus intimes, mais sans lendemain. 

Après la mort de Jules César, le monde sous influence romaine est partagé en deux. L’Occident et l’Orient. Octave va prendre l’Occident et s’installer à Rome et Antoine sera chargé de gérer l’Orient. On s’est donc retrouvé à Alexandrie.

JMS : Et alors, il avait besoin de vous et vous de lui ? 

Cléopâtre : En quelque sorte. Je le connaissais bien, je savais ses faiblesses. A son arrivée, j’ai invité Antoine à dîner sur un bateau que j’avais fait aménager pour la circonstance avec beaucoup de bijoux, de fleurs et de nymphes. Des mets délicats et des coussins moelleux. Le Nil, le coucher de soleil et la tiédeur de la nuit. C’est merveilleux, une croisière sur le Nil. 

Ainsi a commencé une liaison torride qui a duré plus de 10 ans. J‘avais 29 ans et lui 45 ans. 

Pendant ces dix années, nous avons profité l’un de l’autre. D‘abord, les choses étaient plus faciles que du temps de César. Les Égyptiens avaient plus confiance en Marc Antoine. Ensuite nous avons fait deux enfants, deux jumeaux, un garçon et une fille. Enfin, nous nous protégions mutuellement. Je savais que je pouvais compter sur ses moyens militaires en cas de désordre et lui savait qu’il pouvait compter sur mes approvisionnements en blé. 

JMS : Mais votre objectif était de reconstituer un vaste empire de l’Orient sur lequel vous auriez régner ? 

Cléopâtre : C’est terrible parce qu’en politique, vous avez toujours des conseillers ou des amis qui vous suggèrent des ambitions supérieures à celles que vous aviez au départ. J’étais très prudente. Step by step

Ce que je sais, c’est que Marc Antoine avait des problèmes avec Rome. Octave le soupçonnait d’avoir des intentions hégémoniques ou belliqueuses. 

Marc Antoine avait des ambitions, certes, mais vers l’Orient. Certaines initiatives ont tourné au désastre, la guerre en Arménie contre les Parthes par exemple. Il fallait assumer ces échecs et trouver à les financer. 

Parce que quand vous gagnez la guerre, vous trouvez l’argent dans le pays vaincu, mais quand vous perdez la guerre, vous devez payer la facture. 

Je pense que Marc-Antoine voyait trop grand, il gagnait des contrées sur lesquelles il n’avait pas les moyens d’organiser un contrôle administratif et militaire. Je me souviens d’un retour triomphal à Alexandrie, je me souviens du jour où il a proclamé Césarion roi des rois de l’Orient, pour me faire plaisir. Mais tout cela était mal préparé politiquement, et finissait par déplaire aux populations. Je sais qu’à Rome, on n’acceptait pas ces démonstrations de puissance.  

JMS : La guerre entre Octave et Marc Antoine s’est avérée inéluctable ?

Cléopâtre : Octave craignait le pouvoir de Marc Antoine qui restait très populaire au Sénat. Octave n’a pas accepté la nomination de Césarion « roi des rois » parce qu’il savait que Césarion était le seul fils de César. Césarion avait donc une certaine légitimité aux yeux des romains. Marc-Antoine utilisait cette légitimité. Moi je le laissais faire.  Donc, Octave à Rome y voyait une menace. Octave était parano ... il pensait que je voulais moi aussi, venir prendre le pouvoir à Rome. Je n’y avais pas songé, mais je dois dire qu‘Octave m’a un peu convaincue que ça devait être possible.

La guerre est, de ce fait, devenue rapidement inévitable. Le conflit a été très confus, et très coûteux. Octave ne sait pas faire la guerre et Antoine est très désordonné. Très présomptueux. En plus, il boit et sort la nuit. Il est fatigué et parfois déprimé par cette vie de débauche…

JMS : La fin du film est très décevante, vous auriez pu soigner votre sortie. 

Cléopâtre : Comme souvent, les grands films, plein d’ambitions, se terminent mal, mais ça n‘a pas d’importance. Quand Antoine rentre en Égypte, il ne prend aucune disposition pour retarder les projets d’invasion d’Octave. Quand Octave arrive en vue d’Alexandrie, la rumeur court que je me suis suicidée, du coup Marc Antoine, désespéré, se donne la mort au Palais. Moi, je fais envoyer Césarion à l’abri au Soudan où nous avions quelques amis fidèles. 

J’ai revu Octave - il avait demandé à me voir. On a parlé et je n’ai pas compris ce qu’il voulait faire de moi. 

Voulait-il passer un accord pour s’attacher les bonnes grâces du peuple qui m’aimait bien, voulait-il me pousser au suicide ? Je pensais qu’il allait m‘emprisonner, et non. Donc je suis reste calme et sereine. 

 JMS : « Avec ses deux plus fidèles servantes, Iras et Charmion, écrivit Plutarque, Cléopâtre se donne la mort le 12 aout 30 av J.-C. en se faisant porter un panier de figues contenant un ou deux serpents venimeux. » Vous avez donc fini par vous suicider ?

Cléopâtre : C’est inexact, Octave m’a fait assassiner.  Alors je sais que Plutarque a fait un récit incroyable de mon suicide, mais c’est un roman. C’est complètement faux ! La seule chose intéressante, c’est que ça permet à Plutarque de rappeler une nouvelle preuve de l'attachement de la reine aux traditions égyptiennes. « Le cobra pharaonique », c’est vrai, passait pour conférer l’immortalité. Alors, il a été gentil dans sa méchanceté. Ce Plutarque avait une langue de vipère. 

JMS : Mais vous êtes immortelle ? 

Cléopâtre : Moi je ne sais pas. Mais l’Égypte que j’ai protégée, est surement immortelle, tant que le Nil, ce fleuve immense, lui, apportera la richesse. Allez-y … et puis je vais vous dire pour terminer l‘Égypte immortelle que j’ai tant aimée valait bien que je me fasse traiter de salope...

Pour aller plus loin : 

Cléopâtre la fatale, par Hortense Dufour, Flammarion 

Les Enfants d’Alexandrie, par Françoise Chandernagor, Albin Michel 

Les Salopes de l’histoire, Agnès Grassmann, Acropole

Les entretiens imaginaires par Jean Marc sylvestre éditions saint Simon 





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