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Clément Viktorovitch, l’expert en rhétorique qui devrait décrypter ses propres discours
©DR / Capture d'écran YouTube / CNews

Procédés rhétoriques

Ce politologue, chroniqueur médiatique spécialisé en rhétorique, s’est fait une spécialité de décoder celle de ses adversaires idéologiques. Un seul hic : il abuse lui-même de procédés rhétoriques malhonnêtes…

Nicolas Moreau

Nicolas Moreau

Diplômé d'école de commerce, Nicolas Moreau a exercé en tant qu'auditeur pendant une décennie, auprès de nombreux acteurs publics, associatifs et privés.

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Clément Viktorovitch est un habitué des plateaux TV. Après être passé chez Laurence Ferrari et Pascal Praud, où il jouait le rôle du débatteur de gauche, il s’est imposé aux côtés de Mouloud Achour sur Clique TV, l’émission du soir de Canal+.

Chaque jour, ce professeur de rhétorique à Sciences Po analyse à sa manière les discours politiques du moment, avec l’objectif affiché de donner des clés de compréhension aux citoyens, afin de les armer face aux procédés rhétoriques auxquels ils sont confrontés.

L’ennui, c’est que lui-même abuse de ces procédés malhonnêtes. La vidéo qu’il a postée le 23 avril est très instructive à ce sujet. Décryptage.

Lien vers la vidéo : https://twitter.com/i/status/1253394375268356101

Une dialectique faussée

De nos années lycée, nous avons gardé ce souvenir des plans dialectiques qui nous étaient imposés, et qui se présentaient sous la forme thèse, antithèse, synthèse. L’idée était de présenter deux thèses opposées et équilibrées, puis de les dépasser dans la synthèse.

Clément Viktorovitch revisite ce plan à sa manière, en déséquilibrant totalement le rapport entre thèse et antithèse, de manière à en arriver à une synthèse penchant du côté qu’il a choisi au préalable. Pour ce faire, il propose des arguments faibles pour la thèse qu’il veut pourfendre (la police est légitime), et des arguments forts pour l’antithèse qu’il veut défendre (les jeunes de banlieue sont persécutés). Ce faisant, il feint la neutralité afin de mieux imposer son point de vue en synthèse, par le truchement de ce procédé rhétorique déloyal.

La technique : poser un contexte orienté, mentir par omission et comparer l’incomparable

Afin de s’assurer du traitement le plus malhonnête possible, il convient avant tout de poser un contexte favorable à ses opinions, ce que fait Clément Viktorovitch en situant son cadre de réflexion dans un continuum de pensée socialiste, passant en revue Hobbes (« L’Homme est un loup pour l’Homme »), Rousseau (« le contrat social »), Marx (par l’approche dominant / dominé sous-jacente à son discours sur le 93 et Paris), et le socialisme moderne (par l’usage d’un vocabulaire politicien tel que « quartiers populaires » pour ne pas dire « cités », ou l’habituel « jeunes de banlieue » non stigmatisant).

La touche finale est apportée lorsque la définition du monopole de la violence légitime de Weber lui permet de sauter, sans lien logique ni explication, à la conclusion que « La violence est le quotidien normal de la police ». En rhétorique, on appelle ceci un sophisme.

Une fois posé ce contexte misérabiliste et hostile à la police, il peut avancer sa thèse, son antithèse, et les défendre ou les pourfendre afin d’arriver à la synthèse souhaitée.  

Côté thèse : maximiser les violences policières

Une fois qu’il a avancé, sans le prouver, que le maintien de l’ordre était nécessairement violent (ce que la Pax Romana avait déjà infirmé il y a deux millénaires), il concède que la violence est légitime quand elle respecte l’état de droit. Mais en omettant volontairement de parler des mécanismes de l’état de droit (justice, IGPN, etc.), il pose une situation ou le maintien de l’ordre ne peut jamais être légitime.

Puis il illustre cette illégitimité par des cas d’affaires impliquant des morts au cours d’interventions policières : Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005, Amine Bentounsi en 2012, Adama Traoré en 2016, et Aboubacar Fofana en 2018.

En les citant nommément, il les humanise et fait appel à l’émotion chez le spectateur. Là encore, il s’agit d’une méthode rhétorique classique, visant à déplacer le débat depuis la sphère logique vers la sphère de l’émotion, afin de masquer des incohérences argumentatives et persuader au lieu de convaincre. En rhétorique, on parle « d'argument ad misericordiam ».

Il définit de la sorte la police par ses victimes.

L’antithèse : minimiser au maximum les violences des jeunes de banlieue contre la police

A cette police illégitime et meurtrière, Clément Viktorovitch oppose des « jeunes » déshérités et abandonnés, vivant dans des banlieues méprisées et sous financées. (En comparant le 93 à Paris, mais pas à la Creuse, à l’Aisne ou aux Ardennes, où la pauvreté n’induit étrangement pas autant de violence anti policières).

Par omission encore, toutes les violences contre la police sont occultées, qu’il s’agisse des provocations, des insultes, des coups, des crachats ou des meurtres. Pourtant, dans une année « normale », environ 20 000 policiers sont blessés, et 25 sont tués. L’attentat de Colombes du 27 avril nous le rappelle amèrement.

Mais on le voit, là où la police était définie par ses victimes clairement nommées, les jeunes de banlieue sont définis par l’incendie partiel d’une école à Gennevilliers, un délit sans victime et d’une gravité incomparable à la mort de citoyens.

Bien que Clément Viktorovitch dénonce l’incendie de l’école avec fermeté, il compare en réalité une police meurtrière et illégitime à des jeunes de banlieue persécutés, abandonnés, et coupables d’un incendie anodin.

La malhonnêteté intellectuelle saute aux yeux, et naturellement sa synthèse ne peut pencher que du côté des jeunes de banlieue.

La synthèse : comprendre (les jeunes de banlieue)

Il se propose donc de dépasser les accusations contre les jeunes de banlieue, ainsi que les excuses dont ils jouissent, afin de « comprendre » en guise de synthèse. Mais après un développement à charge contre la police, et à décharge contre les jeunes, sa synthèse ne peut se faire qu’en faveur des jeunes de banlieue, qu’il convient de comprendre, de soutenir par des mesures financières, et de protéger par un contrôle accru de la police. Rideau.

Le rhétoricien finalise le tableau avec l’usage du stratagème numéro 11 d’Arthur Schopenhauer, qui dans son livre « l’Art d’avoir toujours raison » préconisait de présenter ses conclusions comme des faits. Carton plein.

Pour sa prochaine vidéo, suggérons à Clément Viktorovitch, l’expert en argumentations malhonnêtes, de décrypter son propre discours.

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