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Chronique de l’année bipolaire du président Macron
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Bilan annuel

Une moitié d'année à être plus que César pour finir 2018 en Pompée.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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John Schlesinger, grand historien et principal conseiller de John F. Kennedy consacra un magnifique ouvrage aux « 1000 jours de la présidence Kennedy ». Mille jours : deux années et demies. Pour Emmanuel Macron, le terme de cette période de mille jours sera atteint à la fin décembre 2019… Dans un an désormais. Il sera temps alors de vérifier si le changement considérable que le président élu en mai 2017 voulait conduire à marche forcée et imposer à la France aura non seulement pu être poursuivi après la crise socio-politique déclenchée au milieu du mois de novembre 2018 mais s’il aura produit les effets escomptés pour transformer le pays comme initialement annoncé. Contentons-nous, au terme de la première année civile de plein exercice du président Macron, de dresser ici une forme d’une année qui fut avant tout bipolaire.

Six mois à être plus que César…

Au premier semestre 2018 tout semble réussir au plus jeune président de la République que la France s’est donné. Il avait bien connu un « trou d’air » inattendu au retour des vacances d’été 2017, mais la magie Macron avait semblé fonctionner encore puisque dès l’automne 2017 sa cote était remontée. Parallèlement à cela les oppositions à la politique conduite par l’exécutif semblaient plus ébranlées que jamais, incapables de s’unir (on voyait même au sein de LR le tandem dirigeant « Wauquiez- Calmels » se déchirer quelques mois après avoir été constitué) impuissantes à masquer aux Français que leurs ambitions personnelles tenaient lieu de projet politique.

Au plan social, tout l’enjeu porte sur les ordonnances portées par la ministre du Travail Murielle Pénicaud. Le cœur du débat est la réforme du statut de la SNCF. Tous les observateurs, la classe politique, les pro et les anti-Macron retiennent leur souffle pour savoir s’il va réussir (ou pas) à accrocher » le « scalp » de la CGT-Cheminots à sa ceinture. Symbolique quand tu nous tiens et quand tu n’as plus grand sens.

En dépit d’une longue grève intermittente qui dure plus de trois mois sans paralyser du tout le pays, l’exécutif traverse sans encombre une séquence qui était considérée comme un crash-test à la fois politique et social. Il y a bien cette « Fête à Macron » que le député Ruffin veut organiser après un « 1er mai » bien plus violent que les précédents où les «  Black Blocks » montrent, chaines d’infos en continu à l’appui, leurs capacités destructrices, mais ce qui devait être (déjà) une attaque frontale contre le président n’a qu’un succès aussi limité qu’éphémère. Comme tous les dossiers les plus épineux qui étaient considérés comme explosifs pour l’exécutif (par exemple l’arrêt de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et l’évacuation de la ZAD, la mise en place de Parcoursup pour intégrer l’enseignement supérieur, le projet de réforme d’une vache sacrée qui a sombré dans le ridicule depuis longtemps : le baccalauréat, etc.) sont réglés ou mis en route sans trop de vagues, tout semble sourire à celui qui passe pour « Jupiter » dont l’exercice du pouvoir, pour rester dans l’Antiquité romaine, s’apparente plutôt à celui de César. Il règne autant qu’il préside. Pour autant, quand Emmanuel Macron achève ses 365 premiers jours à l’Elysée, le 14 mai 2018, les résultats économiques n’ont rien de spectaculairement probants, le chômage baisse plus lentement que dans les pays voisins, la France n’est pas plus exemplaire que les autres en matière de transition écologique et plusieurs signaux faibles montrent qu’une tension sourde traverse la société française : crises des EHPAD, questionnements de plus en plus nombreux sur l’absence de « mise en marche de la jambe gauche » du projet présidentiel, signes convergents d’un accroissement de l’écart existant entre les plus riches et les plus pauvres des Français.

Parmi ces signaux faibles qui devraient, dans une société du big data, être mieux captés donc entendus et finalement pris en compte, par le pouvoir en place (quel qu’il soit) en figure un que les décideurs ne perçoivent pas dans son intensité réelle : celui de la limitation de vitesse sur les routes sans séparateur central à 80 kms/h. Pour les urbains (a fortiori les Parisiens), pour tous ceux qui s’intéressent à la sécurité routière, qui estiment que le nombre de morts sur les routes est encore notoirement excessif, cette mesure est considérée comme légitime et parfaitement justifiée. En réalité elle ne passe pas du tout pour les usagers des 400 .000 kilomètres de routes concernées. Et d’ailleurs le plus « politique » des ministres, celui qui a certainement le plus de « nez », qui « sent les Français » comme un chien de chasse capé, Gérard Collomb, ne se prive ni de le dire en privé au président Macron, ni en public à son premier ministre. Il faudrait toujours écouter non pas les consciences morales mais les réalistes politiques : ils n’excitent pas les belles âmes dans les salons, sont la risée des intellectuels faiseurs et donneurs de leçon, ne brillent pas sur les plateaux télé, mais évitent les jacqueries en écoutant les bouseux (ou les arrière-petits-enfants des Canuts lyonnais).

Survient la trêve de la Coupe du Monde de football. Elle n’en est pas vraiment une d’ailleurs. Le temps est à la nostalgie, celle de 1998. Si l’équipe de France l’emporte, en finale, il n’y a pas pour autant l’enthousiasme collectivement partagé du 12 juillet 1998. Personne ne sait trop bien expliquer cette forme d’atonie.

Un autre signal faible, totalement anecdotique, vient même entacher la ferveur populaire. Le citer confirme même sa dimension ridicule : le bus à plateforme qui descend les Champs-Elysées, ramenant les « héros de 2018 » de Moscou à Paris, roule trop vite et ne permet pas au public présent en masse sur les Champs de manifester son enthousiasme et de voir ainsi les nouveaux champions du monde. Et puis, comme si cela ne suffisait pas, ceux-ci arrivés à l’Elysée n’en ressortent plus. Ils  partagent la soirée avec ce qui très vite passe pour être ces satanés « élites » et autres « privilégiés » alors que la réalité est tout autre : les champions sont au milieu de plus de 2000 jeunes gamins footballeurs issus des « quartiers » qui veulent tous les voir et être photographiés avec eux. Mais l’effet se révèle désastreux. Le « peuple » (il y a fort à parier que nombre d’entre eux se pareront d’un gilet jaune quatre mois plus tard) reste dans l’attente de ses vedettes modernes qui ne viendront pas au balcon du Crillon, dans la nuit. César aurait dû faire en sorte qu’à défaut de « panem » ce même peuple jouisse un peu du « circenses »…


… six mois à finir presque Pompée.

On apprendra, bien plus tard, dans le feuilleton de « l’affaire d’été » Benalla et consorts que le même Benalla aurait été le véritable responsable de la vitesse de l’autocar descendant les Champs-Elysées (on ne prête qu’aux riches…). Comme un dernier clou fermant un cercueil. Car s’il est un aphorisme romain qui prend en 2018 tout son sens c’est bien celui-là : « La Roche Tarpéïenne est proche du Capitole ». Quelques jours après un 14 juillet bien plus calme que le précédent, sans départ précipité du Chef d’Etat-Major des Armées, sans nécessité de rappeler « Qui est le chef ? », débute la « fin du commencement » pour reprendre une célèbre formule.

En réalité, dès le mois d’avril 2018 la cote de popularité du président de la République a amorcé une pente descendante. Elle passe sous la barre des 40% en juin 2018 (pour la première fois depuis 14 mois) et ne cesse de descendre jusqu’à aujourd’hui. C’est au sortir de l’été et de l’affaire Benalla, en septembre que la baisse est la plus importante : une perte de 5 points pour s’établir à 30% d’opinions positives (sondages réguliers pour la PQR). Depuis lors, avec la crise des « Gilets jaunes », la descente s’est accélérée. Selon le baromètre mensuel du « Journal du Dimanche », de janvier à novembre 2018, Emmanuel Macron a vu diviser par deux son « capital confiance » : de 50% à 25% d’opinion « très favorables ou favorables ». A titre de comparaison, pour la même période de temps, entre janvier et novembre 2008 Nicolas Sarkozy est passé de 47% d’opinion favorables à 44% et François Hollande, de janvier à novembre 2013  de 38% à 20%...

Autant comme l’affaire Benalla a été l’occasion pour une presse par trop complaisante depuis 14 mois de « lâcher les freins » et de surenchérir dans la « pseudo-affaire d’Etat », autant comme ce qu’elle a pu révéler du mode de fonctionnement de l’exécutif et de la majorité présidentielle, à cette occasion, dans la stratégie de riposte, s’est révélé plus que catastrophique. Car, quand même, revenons au sens des mots… Une « affaire d’Etat », la Cinquième république en a connu et pas des petites : l’affaire Ben Barka sous le général de Gaulle ; l’affaire Boulin sous Giscard (toujours pas résolue) ; l’affaire du Rainbow Warrior sous Mitterrand ; celle des « écoutes de l’Elysée » (idem). On réservera un statut particulier aux multiples scandales entachant les présidences Chirac et Sarkozy où il était plus question d’ailleurs de mises en cause personnelles des chefs de l’Etat (avant leur élection par exemple) que de l’Etat lui-même. Dans les trois premiers dossiers cités précédemment il y a à chaque fois mort d’hommes et une succession de mensonges d’Etat plus ou moins révélés, plus ou moins percés au jour, contre la volonté de représentants de l’Etat qui organisent sciemment le secret, la disparition des preuves, etc.

Où sont les cadavres dans l’affaire Benalla ? Où est le SAC ? Où sont les fameux « barbouzes » de l’affaire Ben Barka ? Peu de risque que l’on maquille une autopsie (comme dans l’affaire Boulin) puisqu’il n’y a pas de corps à disséquer… Peu de risque qu’une « troisième équipe de plongeurs de combat » ne coule une péniche amarrée en bordure de Seine, près de l’Elysée comme on le Rainbow Warrior de Greenpeace a été coulé dans le port d’Auckland. 
Il a donc fallu en faire des tonnes pour qu’un lampiste se prenant pour un centurion tombe de son escabeau. Pour autant ce qu’a révélé cette « affaire » est bien plus explicite que les faits eux-mêmes. D’abord une communication élyséenne incapable de sortir du piège de l’héroïsation de César. Un long silence, des fuites plus ou moins orchestrées, une succession de provocation. Devant les députés LREM, voulant remobiliser son camp, une fois de plus tétanisé devant un épisode politique qui aurait sans doute fait rigoler de Gaulle, Giscard, Mitterrand et Chirac, Emmanuel Macron, le 25 juillet 2018 lance : « S’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’ils viennent le chercher ». C’est idiot et inefficace. Sans compter que les « ils » vont se révéler de plus en plus nombreux… Voilà une communication qui emprunte à Nicolas Sarkozy dans le côté bravache : au Guilvinec, le président élu en 2007 s’adresse à un marin-pêcheur qui le gratifiait d’un qualificatif bien peu protocolaire : « C’est toi qui a dit ça ? Viens ! Descends me le dire en face !... Viens ». Le marin-pêcheur fait deux fois la taille du président, mais ce dernier est entouré de dix officiers du GSPR… Mais la communication du président Sarkozy était-elle un modèle ?

Emmanuel Macron n’a cessé de multiplier les petites phrases destinées à faire du « buzz ». Inconscience ou provocation ? Effet de loupe médiatique où 15 secondes de « son » tiennent lieu de couverture du déplacement présidentiel ?  Parce que « l’info coco faut que ça soit court et percutant »… ?. Parce que l’écriture « Petit Journal » / « Quotidien » est devenue le format normal de la médiatisation de la vie politique ? Toujours est-il qu’il faut avoir le génie de la répartie quand on est président de la République et que l’on entend lors d’un déplacement officiel : « Mort aux Cons ! », que l’on s’arrête, que l’on toise l’importun (ou le courageux…) de son double-mètre et que l’on lâche : « Vaste programme, mon ami… Vaste programme !... ». Mais n’est pas de Gaulle qui veut.

Le risque de la réponse démagogique comme sortie de crise

Affaibli par la durée (18 mois de présidence c’est déjà très long pour l’ogre médiatico-politique pourtant gavé par les réseaux sociaux) Emmanuel Macron termine l’année 2018 en n’étant pas certain d’avoir réglé la pire crise qu’ait connu la France depuis la guerre d’Algérie. Car ne nous y trompons pas : la révolte des Gilets Jaunes n’a pas grand-chose en commun avec les événements de Mai 68. Elle est bien plus comparable, par sa violence (10 morts en 5 semaines : c’est littéralement ahurissant, sans parler des dégradations dans toutes les villes de France y compris des petites), par sa remise en cause des institutions, par les outrances constatées (appels répétés à l’assassinat du chef de l’Etat, simulacres d’exécution, etc.) à une crise insurrectionnelle portée par une masse majoritairement inorganisée, profondément divisée idéologiquement, encouragée par des boutefeux irresponsables. Trois points communs rassemblent ces Français : la haine d’Emmanuel Macron détesté pour tout ce qu’il est et montre ; le rejet de la démocratie représentative ; le refus de tous les corps intermédiaires (organisations politiques, syndicales, mais aussi des médias qui, pourtant, ont plus que médiatisé activement une masse qui a, à peine, dépassé, au plus fort de la mobilisation, 300.000 personnes dans toute la France soit moins de 0,5% des Français…). Aucun gouvernement n’aurait de réponse aisée face à une telle mise en cause du fondement même d’un système démocratique. La revendication désormais principale, inscrite à l’agenda politique depuis que l’exécutif a délié les cordons de la bourse, est née de rien et venue d’une coupable coagulation du « rouge » et du « brun ». C’est un simulacre de démocratie, le Referendum d’Initiative Citoyenne. Comme l’antisémitisme est aussi une marque de fabrique bien présente dans les discours de certains « Jaunes » on rappellera à quelques promoteurs du RIC que l’aphorisme « Vox populi, vox Dei » est présent dans le Livre d’Isaïe… ça les refroidira peut-être. Il reste que dans un tout récent sondage Odoxa pour Le Figaro et France Info (21 décembre 2018), 78% des personnes interrogées dans le panel se déclarent « tout à favorables » (37%) ou « plutôt favorables » (41%) à ce dispositif contre 22% opposées (17% « plutôt opposées » et 5% « très opposées »). Voilà donc un « remède » dont personne n’a la moindre idée des conséquences institutionnelles à venir qui risque d’être administré au « patient France » dans la plus parfaite des surenchères électorales doublée de la démagogie la plus coupable. Quiconque aura le courage de crier « gare » passera, au choix, pour un « antidémocrate » ou un représentant de « ces salauds qui nous gouvernent ». D’autant qu’il se trouvera bien quelques intellectuels perdus pour justifier le fait que le peuple a toujours raison.

On conçoit ici que la superbe arrogance (ou perçue comme telle) de César-Macron au premier semestre de l’année 2018 se soit métamorphosée en suprême-modestie chez Emmanuel-Pompée au second. Rien n’indique que les mécanismes classiques de régulation des crises en vigueur depuis 1958 fonctionnent encore au cours de l’année 2019. La crédibilité du président de la République semble largement atteinte. Mais il en va en politique comme dans tous les autres domaines : « Quand je me regarde je m’inquiète, quand je me compare je me rassure ». L’exécutif chérit peut-être cet aphorisme en constatant dans quel état se situent « ses » oppositions. A l’exception d’une : le Rassemblement national qui semble être la seule formation à récupérer quelques soutiens en provenance des Gilets Jaunes. Pas certain que cela soit rassurant pour le président Macron. Prochain rendez-vous : le 26 mai 2019 pour les élections européennes… Cela fera 742 jours qu’Emmanuel Macron sera à l’Elysée.

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