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Christian Saint-Etienne : "Nature du CDI, seuils sociaux, charges sociales... si nous faisons sauter ces verrous, le taux d'emploi augmentera de façon colossale"
©Reuters

Offensive

Baisse de charges, réforme du contrat de travail, baisse du nombre de fonctionnaires, Nicolas Sarkozy revient avec un programme économique offensif en vue des élections présidentielles de 2017.

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne

Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la Chaire d'économie industrielle au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Il a également été membre du Conseil d'Analyse économique de 2004 à juin 2012.

Il est également l'auteur de La fin de l'euro (François Bourin Editeur, mars 2011).

 

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Atlantico : Dans une interview donnée au journal Les Échos, Nicolas Sarkozy revient sur la dégressivité des allocations chômage en y ajoutant une dimension contraignante reposant sur la formation. Ne s'agit-il pas d’une double erreur de diagnostic, qui consiste d’une part à faire payer les chômeurs pour le manque d'emplois qui caractérise l'économie française, et d'autre part à imaginer que la formation permettra de créer des emplois, ceci en pointant le fait que le nombre d'emplois non pourvus qui caractérise la France n'est pas une anomalie par rapport aux autres pays ou à la conjoncture elle-même ?

Christian Saint-Etienne : Votre question serait valide s'il n'y avait pas dans le programme que Nicolas Sarkozy expose dans Les Échos ce matin (jeudi) d'autres éléments permettant, justement, de débloquer le système. Il propose notamment une réforme du contrat de travail, qui est de nature à augmenter le taux d'emploi structurel en France, comme on le voit en Italie à la suite de la réforme du Jobs Act de Matteo Renzi. C'est un point absolument décisif, qui va d'ailleurs au-delà de la simple remarque sur la réforme du contrat de travail. Beaucoup de gens pensent que c'est la croissance qui crée les emplois. C'est, bien sûr, un élément très significatif de la création d'emplois, mais la logique part très souvent dans l'autre sens : c'est la création d'emplois qui contribue à la croissance. Beaucoup d'artisans, de PME ou de TPE seraient prêts à créer des emplois, mais ne le font pas pour trois raisons fondamentales.

  • La première, c'est la nature du contrat de travail. Quand vous signez un CDI, la seule clause de rupture, c'est la faute. Donc il faut impérativement introduire des clauses de rupture comme la fin de mission, la fin de chantier, la réorganisation d'entreprise... C'est le premier verrou à faire sauter.

  • La deuxième concerne les seuils sociaux, un point absolument capital.

  • La troisième réside dans le poids des charges sociales.

Si nous faisons sauter ces verrous, ce serait de nature à augmenter le taux d'emploi structurel en France, à savoir le rapport entre les gens qui travaillent et la population en âge de travailler. Vous avez raison d'affirmer que nous sommes très loin derrière les autres États européens. Quand vous mesurez l'emploi en France, rapporté non pas à la population en âge de travailler mais à la population totale, vous obtenez 41% de la population française qui travaille effectivement, contre plus de 50% en Allemagne. Imaginez que, sur ces neuf points de différence, vous puissiez en corriger ne serait-ce que quatre par des réformes structurelles... Pour une population de 65 millions d'habitants, cela ferait environ 2,6 millions d'emplois en plus. C'est absolument colossal, et c'est par là qu'il faut commencer.

Si les réformes de déblocage de la création d'emplois et d’amélioration du système de formation précèdent la dégressivité des allocations chômage, à titre personnel je suis pour. Mais si vous appliquez la dégressivité d'entrée de jeu, et que vous faites les réformes du contrat de travail et du système de formation/apprentissage dans un second temps, c'est injuste dans la mesure où, comme vous l'avez précisé, les chômeurs ne peuvent pas trouver très facilement un emploi si l'économie n'est pas libérée.

De la même façon, malgré l'échec de la politique de baisse de charges mise en place par le gouvernement actuel, Nicolas Sarkozy souhaite à nouveau baisser ces charges pour un montant de 17 milliards. Comment comprendre cet acharnement sur une politique qui tarde à démontrer ses bénéfices pour l'économie française ?

Je serai moins sévère que vous sur la politique de baisse des charges, mais la façon dont on les a baissées et les mécanismes qui ont été mis en œuvre pour les baisser conduisent à ce que l'essentiel des bénéficiaires sont les services. En effet, les services doivent toucher environ 70% des montants versés d'abaissements de charges. Vous avez raison de pointer que cela n'a pas aidé de façon significative le secteur manufacturier, mais c'est parce que les mécanismes n'ont pas suffisamment corrigé les écarts de compétitivité manufacturiers. Nous n'avons pas de reprise de nos exportations, et notre défense des marchés internes est insuffisante. Je suis donc moins sévère sur la politique de baisse des charges ; je suis en revanche très sévère sur les mécanismes qui sont très généraux et qui auraient dû être centrés sur le secteur manufacturier.

Ce que Nicolas Sarkozy propose, c'est d'une part continuer la baisse des charges au niveau du SMIC, à hauteur de 7 milliards d'euros. J'y suis favorable, mais en même temps nous serons déçus du résultat si nous ne faisons pas ce que j'ai dit précédemment, c'est-à-dire la réforme du contrat de travail et du système de formation. C'est un tout. Si vous faites la dégressivité des allocations chômage et la baisse des charges sans réformer le contrat de travail et le système de formation, vous avez une perte d'efficacité considérable. L'efficacité de la dégressivité des allocations chômage et de la baisse des charges au niveau du SMIC est divisée par trois, peut-être plus, si vous ne faites pas simultanément les autres réformes. C'est fondamental.

De façon plus globale, l'ancien chef de l’État souhaite baisser les dépenses publiques à hauteur de 100 milliards d'euros sur l'ensemble du quinquennat, soit mettre en place une politique dite d'austérité. Or, ces politiques ont été très contestées ces dernières années, notamment lorsqu'elles sont menées sans une politique macro-économique contracylique. Ne s'agit-il pas d'un leurre de mener cette politique-là sans avoir de levier permettant d'absorber cette baisse de dépenses au niveau macro-économique ? 

C'est une question faussement simple. Il y a en réalité deux baisses de charges de nature très différentes, qu'il faut distinguer. Des baisses de charges qui réduiraient uniquement la demande immédiate sans effet sur l'offre. Effectivement, c'est un peu ce qu'on pourrait évoquer à propos de la dégressivité des allocations chômage. C'est-à-dire que si vous appliquez une dégressivité des allocations chômage sans faire les réformes du contrat de travail et du système de formation/apprentissage, cela a en effet un effet négatif sur la demande et pas d'effet positif sur l'offre (ou très faible). Cela peut donc réduire l'activité à court terme. Mais si vous faites ces réformes structurelles en même temps que la dégressivité des allocations chômage, cela a un effet positif sur l'offre. Quand on regarde ce qu'il se passe à l'étranger, les effets positifs sur l'offre sont supérieurs aux effets sur la demande.

Il y a une autre réforme qui, elle, n'a que des avantages, c'est l'allongement de la durée de cotisation et le recul de l'âge de départ à la retraite. Cela a un effet extrêmement positif sur l'offre puisque cela augmente la population active, le tout sans effet négatif sur la demande. C'est une mesure qui ne pose donc aucun problème.

Nicolas Sarkozy évoque aussi la non-reconduction de l'emploi public. Cela réduit la dépense, mais si vous avez pris en parallèle des mesures qui développent l'emploi privé, vous n'avez pas non plus d'effets négatifs. En ce qui concerne les mesures de baisses de dépenses, tout dépend du contexte dans lequel on les prend et de la politique d'ensemble qui est menée. Si vous baissez sèchement les dépenses sans faire de réformes structurelles et sans une politique d'ensemble qui favorise l'investissement et le développement des entreprises, on tombe effectivement sous le coup de la critique que vous faites. Mais si on inscrit les mesures de baisses de charge dans une politique d'ensemble, je pense alors que l'effet sur l'offre est plus puissant que l'effet sur la demande.

Dans son livre paru la semaine dernière, Nicolas Sarkozy fait part de sa volonté de changer le mandat de la BCE en le calquant sur le mandat de la Fed américaine (stabilité des prix et plein emploi). S’agit-il de l’élément de politique macro-économique contracyclique qui permettrait d'absorber les réformes proposées ?

Dans les faits, la BCE a très largement appliqué le mandat américain plutôt que celui du traité de Maastricht, puisqu'elle pratique une politique de relance très forte. Cela donne des résultats mitigés pour l'instant pour les raisons structurelles que l'on connaît : la zone euro n'a pas les institutions permettant un développement durable. Dans l'état actuel des institutions de la zone euro, la BCE fait le maximum. Si elle avait eu le mandat américain, elle n'aurait pas fait plus...

Plus spécifiquement, concernant les fonctionnaires, la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux serait à nouveau instaurée. Pourtant, lors de la période 1997-2007, au cours de laquelle la France a connu une croissance moyenne de 2%, la part de la rémunération des salariés du public fut en moyenne de 13% du PIB, soit exactement son niveau actuel. Dès lors, comment comprendre une telle mesure ?

Durant la période où Nicolas Sarkozy a été au pouvoir, de 2007 à 2012, il a supprimé 100 000 emplois dans les effectifs de l’État, mais les collectivités locales en ont créé plus. Donc l'emploi public n'a pas baissé sous Sarkozy, c'est l'emploi de l’État qui a baissé. C'est pour cela que Nicolas Sarkozy indique dans cette interview qu'il fera une réforme de la Constitution pour obliger les collectivités locales à appliquer le principe du « 1 sur 2 ».

Il y a eu beaucoup d'études de la Cour des comptes sur ce sujet depuis une quinzaine d'années. Depuis plus de 30 ans et les lois Gaston Defferre de 1982, les transferts de compétences expliquent moins de 30% de la création d'emplois des collectivités locales. Tout le reste est lié aux décisions spécifiques des collectivités, dont une bonne partie en raison du développement des intercommunalités, qui se sont fortement développées sans qu'on réduise l'emploi au niveau des communes. Mais ceci est un autre sujet...

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