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Chômage : la France enfermée dans son rôle de mauvais élève la zone euro…merci qui ? Ce que la France a perdu dans la baisse du chômage à cause du quinquennat Hollande et pourquoi elle a sous performé la zone euro en la matière
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Cancre

Le chômage baisse en Europe et c'est une bonne chose. Mais la France - étonnement - baisse moins que ses petits camarades.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Entre juin 2016 et juin 2017, le taux de chômage de la zone euro est passé de 10.1 à 9.1% de la population active alors que le taux de chômage français est passé de 10 à 9.6%, soit une importante contre-performance par rapport au continent. Comment expliquer une telle situation ? Quels sont les freins qui mordent encore sur la France pour que celle-ci ne puisse pas profiter d'un contexte favorable au niveau européen ? 

Jean-Paul Betbeze : D’abord, la bonne nouvelle est celle de la baisse du taux de chômage en zone euro, enfin. La baisse de 1 point de pourcentage sur un an poursuit la tendance, sachant que le point haut du chômage a été de 12% en 2013, le point bas ayant été de 7% en 2008. La crise mondiale, d’origine américaine, a donc atteint la zone euro avec un an de retard, conduisant en plus à une crise des dettes souveraines en 2011. Les Etats-Unis subissaient le choc (taux de chômage au maximum à 10% en 2009, avec une baisse des salaires jusqu’à -5% au même moment), sachant que les taux courts passent très rapidement de 5,25% à 0% jusqu’à fin 2016 et que les taux longs sont ramenés à 1,4% (la banque centrale achetant des titres publics, jusqu’à 4500 milliards de dollars). Les Etats-Unis ont subi le choc par la baisse des salaires et l’ont amorti par celles des taux, courts et longs, l’idée étant de repartir au plus vite en reconstituant le patrimoine des ménages (leur maison, garantie de leur emprunt) et en soutenant les valeurs boursières (la bourse, garantie de leurs retraites).

La zone euro paye encore sa politique d’alors. La crise a profondément affaibli le tissu économique, bancaire, fiscal et social en zone euro, y freinant la remontée – d’autant que les politiques de soutiens budgétaires et monétaires ont été lentes et trop mesurées. La zone a certes été atteinte plus tard, un an, mais surtout de façon différenciée, chocs énormes en Grèce, Portugal puis Espagne, avec une réaction très lente des Etats (Allemagne en tête) et de la BCE pour la baisse des taux courts et plus encore pour mener des actions hors normes (achat de bons du trésor), avec là aussi du retard par rapport aux Etats-Unis. Ajoutons que les politiques au sud ont assez vite voulu (dû) réduire la plongée du déficit budgétaire, faisant porter bien plus l’ajustement sur le chômage (25% dans les pays du sud). Tout ceci se paye encore par la baisse de la croissance potentielle (plus le climat politique).

La France a voulu amortir le choc économique et social de la crise. Elle a agi par le déficit budgétaire (qui passe à 7.2% du PIB en 2009) et la dette publique, Grand Emprunt, ce qui y a fait moins monter le taux de chômage qu’au sud, mais au prix d’un affaiblissement des entreprises (baisse des marges) et de la détérioration des comptes publics.

La lente amélioration française s’explique aujourd’hui encore par la combinaison de la situation française d’alors, mauvaise, et de sa politique, mauvaise. Situation économique d’abord, avec des entreprises plus fragiles, moins investisseuses, innovatrices, exportatrices qu’en Allemagne notamment. Une moindre qualité, décelée depuis longtemps, se fait alors payer. Politique ensuite : les « ajustements classiques » par la montée du chômage et la baisse des salaires pour faire remonter les profits sont jugés politiquement impossibles. C’est donc la dette qui étale le problème dans le temps, faute de le résoudre.

« Les freins qui mordent encore » en France sont donc une rentabilité qui n’est pas encore assez remontée, avec la qualité. Le CICE n’est pas encore devenu permanent et est insuffisant par rapport à l’Allemagne et à l’Espagne pour investir et former plus, monter en compétitivité prix et hors prix. La France n’innove pas assez et reste chère. L’Allemagne continue d’avancer et d’être plus rentable, même avec des salaires qui grimpent. L’excédent brut d’exploitation représente 31.8% de la valeur ajoutée (contre un point bas de 27% au pire de la crise) en France, mais 36 à 37% en Allemagne. L’Espagne rattrape à grande allure, par l’export : nettement moins chère, qualité en hausse. 

Quels sont les pays qui sont parvenus à tirer leur épingle du jeu au cours de cette dernière année, et qu'est-ce que la France peut apprendre de ses partenaires ?

La zone euro est en reprise économique forte : 0,6% au deuxième trimestre, 2,1% est possible pour l’année : il faut en profiter. L’Espagne vient d’enregistrer une croissance de 0,9% au deuxième trimestre, on attend 0,6% en Allemagne et, avec 0,5%, la France entre dans le peloton de tête (0,8% en Autriche, mais 0,2% en Italie). L’euro monte par rapport au dollar, ce qui peut freiner. La question de la BCE est donc de prolonger la situation avant de réduire ses achats (2018), puis de réduire son portefeuille, puis de monter ses taux, la Fed devant augmenter ses taux courts bien avant elle.

La première et principale leçon est que la remontée de l’emploi est lente et passe par la compétitivité salariale (faire monter lentement les salaires, pas facile à expliquer) et surtout la compétitivité par la qualité (par l’investissement et la formation permanente, pas facile à faire). La deuxième leçon est que la qualité passe par la continuité et la motivation dans l’entreprise, ou plus exactement par le système d’entreprises (Grandes, moyennes et petites), plus écoles d’ingénieurs, Facultés et IUT. La France souffre d’un système de production intermédiaire qui est encore fragile, effet de salaires et d’impôts élevés, plus actionnariat insuffisant. La troisième leçon est que le dialogue social doit être enrichi : salaires, mais plus encore formation, compléments de retraites et actionnariat salarié. 

Les pays qui s’en sortent sont ceux où la rentabilité des entreprises est remontée : il faut le reconnaître. C’est tout l’enjeu des ordonnances en cours, mais on n’ose pas aborder directement et simplement la question. Dialogue social, barèmes des prudhommes, types de contrats, branches, normes… sont des moyens pour permettre d’atteindre plus de rentabilité, qui permet ensuite plus d’emploi. Ceci sans oublier la fiscalité (ISF notamment…). Mais on voit que le lien profit, investissement, emploi est plus complexe et distendu en France qu’avant, notamment avec la révolution technologique, qui demande plus de compétences. Enfin, et plus que jamais, rien ne sera possible sans explication sur les enjeux. Si la France rate cette reprise, ce sera dramatique. Nous sommes en retard en matière d’emploi, parce que de rentabilité, et donc fragiles en matière de déficit et de dette publique.

La France a-t-elle, tout comme la zone euro, véritablement les moyens d'atteindre une situation de plein emploi ? A quelles conditions, et dans quels délais ? 

Oui la France a les moyens, mais pas seule et pas sans plus d’explications sur les enjeux.

Pas seule : rien ne sera possible, outre des avancées sur la gouvernance de la zone (surveillance des budgets), sans des efforts conjoints (protection, surveillances, armements…). Il ne s’agit pas de tout attendre de l’Allemagne (des hausses de salaires et de programmes d’investissements par exemple), ni de copier des modèles. La France ne pourrait, par exemple, résister au choc espagnol et n’a pas la sociale des pays du nord.  

Pas sans explications : la France dispose de beaucoup de points forts (capital humain, formation, entreprises, savoirs faire, image de marque…) mais elle résiste aux changements. C’est même parce qu’elle a atténué la crise (avec Sarkozy) qu’elle peine actuellement à remonter et s’interroge, en attendant des résultats rapides. Mais l’impatience est le danger du moment. C’est le SMIC qui « tient » la consommation, mais qui pèse aussi sur les marges des PME et TPE, et pèse donc sur l’emploi. La flexibilité dans une économie qui n’a pas fini sa mutation est donc obligatoire, pour atteindre une nouvelle organisation, technologique, sociale et politique. Le changement que nous vivons est global et multidimensionnel. Plus facile à dire à faire au pays des « avantages acquis ».

Nous réussirons en comprenant ce qui se joue : notre place dans un nouveau monde (Chine, Etats-Unis, Afrique…), sans trop savoir le dessiner, mais en ayant confiance en nous, et sans utiliser surtout les théories et approches du passé (Marx, Keynes notamment). C’est toujours « après » que l’on comprend les ajustements et agencements, avec les théories qui naîtront peu à peu. Aujourd’hui, le taux de chômage est une mesure des efforts faits et à faire, et des succès réalisés par les autres – avec les coûts énormes payés et à payer. Mais la baisse du taux de chômage ne pourra se faire ici « à l’américaine, à la japonaise, à l’allemande… ». Il faut avancer sur notre méthode, mais en parlant bien plus clairement. « Dans quels délais ? », en fonction de notre dialogue social.

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