Chochottes ou objectivement à plaindre ? Les Français plus suicidaires que les autres Européens, y compris ceux des pays où la crise est beaucoup plus violente<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme simulant un suicide sur une voie de chemin de fer.
Un homme simulant un suicide sur une voie de chemin de fer.
©Reuters

Made in France

La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a inauguré mardi 10 septembre l'observatoire des suicides, elle souhaite prendre en main ce problème de santé publique. Selon une étude, 27% des actifs auraient déjà pensé à mettre fin à leurs jours. La France connait un taux de suicide supérieur à ses voisins européens : l'individualisme serait un des facteurs explicatifs.

Atlantico : La France n'arrive que 25ème sur 52 au classement des pays où la population est la plus heureuse. Les Français sont-ils réellement plus malheureux que leurs voisins européens ? Ou bien la situation est-elle plus contrastée que le laisse entendre ce classement ?

Michel Debout : Tout dépend de ce que chacun pense du bonheur pour lui-même et pour son pays. Dans le monde, du fait de la crise et des problèmes sociaux, les populations ont tendance à moins croire en l’avenir qu’il y a un certain nombres d’années, et même parfois de penser qu’il n’y a pas de solution à leurs problèmes. Tout cela donne un sentiment négatif global, ce qui est vrai en France mais pas seulement. Existe-t-il une spécificité française ? La crise n’est pas pire en France qu’ailleurs, si on compare à la Grèce à l’Italie ou l’Espagne.... Ce qui est important c’est que les Français retrouvent confiance en eux collectivement, cette nécessité du retour du collectif est vraiment à l’ordre du jour. Car on a vécu, au cours de ces dernières décennies, un mouvement très individualiste : il faut retrouver le sens des valeurs communes et du bien-être commun.

Pierre Coté : C’est déjà la troisième fois qu’on prend le pouls du bonheur de Français, on constate que dans ces trois classements la France se trouve à peu près au même rang. L’indice de bonheur moyen des Français et de 67,50 alors qu’au Québec il est 75,80, soit presque 9 points d’écart, et les Danois seraient les plus heureux. Quand on regarde les classements, les Français s’évaluent moins heureux que les autres.

Comment différencier les explications objectives de celles plus subjectives ?

Michel Debout : Le mal-être est quelque chose de vécu par des individualités. La réalité objective c’est l’évolution de certains indicateurs économiques, sociaux et relationnels. Par exemple, on sait que le nombre de chômeurs augmente tout comme le surendettement. On peut penser que les personnes qui sont dans ces cas sont dans des situations beaucoup plus difficiles à vivre.

Il y a aussi l’écart entre ce que les gens voudraient pour eux, et ce qu’ils ont vraiment. On s’aperçoit qu’on se satisfait par rapport à un objectif fixé au préalable, une fois ce dernier atteint on a tendance à se comparer aux autres. Paradoxalement, on ne va pas se trouver heureux d’avoir atteint l’objectif mais malheureux de ne pas être au niveau des autres. L’individualisme est devenu une référence sociétale et politique et cela explique ce pessimisme ambiant.

Pierre Coté : Il y quatre facteurs principaux qui peuvent expliquer le "malheur" des Français. Tout d’abord ils disent ne pas vivre la vie dont ils rêvaient, ensuite il y a le facteur des relations de couple, puis vient celui de la reconnaissance notamment au travail, et enfin la confiance en l’avenir. Sur ce dernier point, qui à certainement un rapport avec la crise. Il y a une sorte de pessimiste ambiant chez les Français. Plus on est positif, plus on est optimiste, plus cela influence positivement le niveau de bonheur des gens.

On observe également que lorsqu’on leur pose la question, les Français sont plus attirés vers une vie dans le passé que les québécois par exemple : 75 % contre  66%. Il y a comme une nostalgie des années 1960, de plus les Français avouent avoir des relations familiales conflictuelles.

Quelles conséquences cela a-t-il sur la société ?

Michel Debout : Il y en a plusieurs. Tout d’abord, si l’on veut que la société progresse il faut croire en l’avenir, c’est une nécessité pour les individus et pour le pays. Ensuite, dans un moment où l’on a l'impression qu’il n’y a  pas d’avenir pour soi, à ce moment on observe des replis mortifères, des épisodes dépressifs, voir même des suicides. 

Selon une étude publiée par Technologia, 27% des actifs ont déjà pensé au suicide et 12% ont déjà été confrontés au suicide aux cours des douze derniers mois. Le taux de suicide dans notre pays, de 14,7 pour 100 000 habitants, est au-dessus de la moyenne européenne (10,2 pour 100 000 habitants). Comment expliquer ce chiffre ? Les facteurs sont-ils uniquement conjoncturels ?

Michel Debout : Il y a des facteurs de solidarité, peut-être que notre pays n’a pas assez développé ces solidarités, on observe des ruptures au niveau de la vie familiale… Tout cela fait que plus de personnes ont pensé à ce geste morbide. Mais il faut être prudent, une ancienne enquête montrait que 13% de la population avait déjà pensé au suicide, en 2005. Si on la compare avec les chiffres aujourd’hui, on peut supposer que ces augmentations sont dues à la crise, car c’est le facteur principal qui a changé.

Mais tout ceux qui y pensent, ne passent pas à l’acte : d’où la nécessité de la prévention.

Pierre Coté : La crise n’explique pas tout, car le bonheur est avant tout quelque chose d’individuel. Si on prend l’exemple de la Grèce ou de l’Italie, où la crise semble plus forte et n’a pas significativement fait évoluer le niveau de bonheur. Le taux de suicide n’est pas directement lié au taux de bonheur. Il est certes un indicateur, mais il ne dit pas tout. Au Québec, le taux de suicide est le plus élevé de l’Amérique du Nord, voire du monde et pourtant le niveau de bonheur est plus élevé qu'en France.

La fin de la crise est-elle la seule solution pour redonner le moral aux Français ? Quels sont les autres points à améliorer ?

Michel Debout : Évidemment la sortie de crise, ne plus être dans une spirale négative, se projeter positivement dans l’avenir : cela va influer sur le moral de chacun. Ce qu’on vit dépend de la réalité sociale dans laquelle on se trouve. Il faut également réfléchir, au diagnostic des dépressions qui peuvent être soignées par une approche médicale. Améliorer la prise en charge des états dépressifs, pour redonner un sentiment de mieux-être aux personnes.

Pierre Coté : Évidemment la fin de la crise peut aider. Mais il faut que les politiques s’attaquent au niveau de bonheur des individus, et qu’ils prennent des mesures concrètes pour y arriver. L’indice relatif au bonheur donne des informations pour faire un constat et analyser les facteurs pour progresser sur le niveau de bonheur.

Les pouvoirs publics prennent-ils ce problème suffisamment au sérieux ? Faut-il y voir une question de santé publique ?

Michel Debout : L’observatoire des suicides a été mis en place cette semaine car le suicide constitue un grave problème de santé publique. Ici, on franchit une nouvelle étape sur la prévention suicidaire. Il faudra que les politiques publiques suivent les propositions qui pourront être faites par ce nouvel outil, qui ne sera pas que statistique.

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