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La Chine est-elle 
encore communiste ?
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Inégalités sociales

Selon un rapport du crédit Suisse AG, la Chine devrait dépasser le Japon en tant que deuxième pays le pays le plus riche au monde en 2016. Une accumulation de richesses qui va de pair avec une aggravation des inégalités sociales, alors que le coefficient Gini qui les mesure a déjà atteint un niveau extrêmement élevé, au point de rapprocher le pays de la structure sociale des très capitalistes Etats-Unis.

Pierre  Picquart

Pierre Picquart

Pierre Picquart est docteur en Géopolitique de l’Université de Paris-VIII, spécialiste en Géographie humaine, expert international, et spécialiste de la Chine.

Il a rédigé notamment La Chine dans vingt ans et le reste du monde. Demain, tous chinois ? en 2011.

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L’Empire du Milieu est-il communiste ou capitaliste ? Beaucoup diront que le système bicéphale chinois est une preuve supplémentaire attestant que le capitalisme est l’un des bons outils de l'économie, puisque la Chine l'utilise. D’autres, argumenteront des points de vue divers, tel que le capitalisme est un instrument d’adaptation ou une transition nécessaire pour accéder au véritable socialisme. D’aucuns, que le communisme « à la chinoise » évolue et qu’il se transforme pas à pas, de façon pragmatique, en s’intégrant dans notre globalisation.

Tenter d’appréhender la civilisation chinoise comme son nouvel essor ou porter une appréciation sur ce pays moderne - qui est toujours en développement - n’est pas chose facile. Les raisons en sont multiples : au-delà de la langue, de l’éloignement géographique, de pages d’histoires qui s’ignoraient et de cultures différentes, il y a des appréhensions, car il s’agit bien du cinquième de l’humanité et de la fulgurante ascension de la nouvelle Chine.

L'ascension chinoise marque le retournement des forces en présence

Parce qu’il faut lever ces interrogations, ces questionnements occidentaux sont légitimes. Mais aussi, nous devons faire l’effort d’améliorer nos connaissances sur la Chine. Les points de vue médiatisés sont très souvent réducteurs, voire erronés, hâtifs et bien trop stéréotypés. La Chine a accompli, en seulement quelques dizaines d’années, ce qu’aucun pays au monde n’a pu réussir, au regard de son considérable retard et de son imposante population.

De plus, certains ont tendance à considérer que nos modèles actuels sont les meilleurs et qu’ils ont vocation à se transposer partout et plus ou moins à l'identique, et que ceux qui ne leur ressemblent pas, sont peu ou prou inadaptés, mauvais ou absurdes. C’est notre vision du monde. Cependant, si les problématiques chinoises restent très nombreuses et si les réformes de la Chine sont plus discrètes que sa transformation économique, ses mutations politiques, sociales, environnementales et démocratiques avancent au même rythme que sa croissance.

D’ici peu, quel sera le comportement de la Chine qui devrait être la première puissance mondiale ? Avant 2020, la Chine aura déjà acquis le rang de champion économique du monde en se hissant à la première place du podium de notre planète. Plus tard, les auteurs décriront sans doute que cette décennie 2010 - 2020 a été un moment clé de notre époque, qui a vu le retournement des forces en présence. Car la Chine est un compétiteur pour l’ensemble de la planète, surtout pour les ex-grands du monde que sont les pays Européens et les États-Unis.

La Chine a répondu à la crise par une nouvelle politique de développement

Ce basculement de l’histoire résulte de facteurs complexes en Occident et ailleurs, qui ont favorisé une politique unilatérale et ultralibérale, la désindustrialisation, des profits à court terme, un manque de vision, le dynamisme des pays émergents, la mondialisation non régulée, etc. De plus, pour accélérer le tout, nous avons assisté à l’une des plus graves crises économiques et financières de notre histoire. La crise américaine est vite devenue occidentale puis planétaire… Pour y répondre, l’Occident s’est fortement endetté. Pendant ce temps, les pays émergents ont poursuivi leur montée en puissance.

La Chine a été très réactive. Elle a anticipé et répondu rapidement à la crise en lançant une nouvelle politique de développement. Elle a investi des sommes colossales pour la croissance de ses provinces et de ses entreprises, en choisissant des secteurs stratégiques de pointe pour son avenir. Elle a utilisé cette épreuve comme un levier, pour la transformer en une grande force positive.

Du fait de cette grande tornade financière mondiale, il n’en fallait pas plus pour que la Chine et des nouvelles économies émergentes s’affranchissent de leur infériorité, en poursuivant leur envol.  Une des clefs de ces réussites incontestables et de ces contradictions apparentes, c’est le « pragmatisme chinois » et la capacité de la Chine, « le plus grand chantier planétaire », à se transformer et à évoluer au rythme de ses enjeux comme de son développement favorable.

L'évolution chinoise est aussi politique

L’évolution politique chinoise est bien réelle. Si l’opinion internationale estime que la Chine n’a connu principalement que des réformes économiques, sans réformes politiques, la réalité est ailleurs. Depuis la réforme et l’ouverture, la Chine a procédé dans son système politique à de nombreuses réformes importantes, au moins dans les trois points suivants :

  • réformes importantes dans le système de la direction du Parti et de l’État,
  • progrès rapide de l’État de droit,
  • progrès énormes dans la construction sociale.

Actuellement, certains des meilleurs capitalistes dans le monde vivent et travaillent en République Populaire de Chine. Son gouvernement, son assemblée et ses acteurs sont le moteur des réformes économiques, sociales, environnementales, technologiques, financières, culturelles... Ils participent au développement de la nation et aux ajustements du capitalisme.

La Chine est en train de s’imposer dans tous les secteurs et dans tous les domaines grâce à sa croissance, ses réformes, ses investissements à l’étranger, ses multinationales, ses échanges commerciaux, son développement intérieur et sa puissance financière considérable.

Des déséquilibres sociaux et économiques

La Chine possède les plus grandes réserves de change du monde ! Avec ses 3 200 milliards de dollars de réserve, elles sont exponentielles. L’Empire du Milieu s’affirme comme le nouveau poids lourd de la finance mondiale. Il devient le futur leader du commerce international. Les plus grandes banques mondiales sont chinoises. Créancier des États-Unis, la Chine devient aussi le grand argentier du monde et de l’Europe.

Deuxième pays le plus riche au monde en 2016... Néanmoins, cette accumulation de fortune en Chine ira de pair avec une aggravation du fossé des richesses dans le pays. Pour ne pas perdre son harmonie sociale, la Chine doit se réformer et faire face à de nombreux enjeux.

Dans de nombreux secteurs et régions, les résultats relatifs à la croissance intérieure brute (PIB) ont été privilégiés et une politique de « succès rapides et de profits immédiats » a été encouragée, causant une pénurie de ressources, la détérioration de l’environnement. Cinq déséquilibres sont à noter dans la structure économique :

  • tandis que le taux d’épargne est élevé, celui de la consommation est inégal,
  • la croissance économique dépend trop du secteur secondaire (regroupant les activités liées à la transformation des matières premières), alors que le développement du secteur tertiaire (secteur produisant des services) doit se développer,
  • la structure de l’investissement n’est pas rationnelle, avec une consommation intensive des ressources et un trop faible taux d’innovation technique,
  • le développement durable doit s’accorder aux ressources, à l’environnement et à l’écologie,
  • l’écart entre les revenus se creuse : le coefficient de Gini [1] a dépassé le seuil d’alerte et continue d’augmenter.

    Si la croissance est trop rapide, il sera difficile de résoudre les inégalités et la restructuration économique sera freinée, tout en encourageant l’inflation. Si le haut niveau d'inégalité aux États-Unis devient aujourd’hui un gros problème que ressentent bien les américains, la Chine est tout autant concernée, ceci malgré des avancées économiques incontestables. Dans le domaine macroéconomique, il reste beaucoup d’interrogations : sur la croissance, la fluctuation des prix, l’immobilier, la réforme de l’impôt sur le revenu, la création d’un impôt foncier, le potentiel des industries émergentes, etc.

    Au regard de ces problématiques, le gouvernement chinois a récemment pris des mesures pour une nouvelle restructuration :

  • l’élimination des moyens de production obsolètes,
  • l’annulation du remboursement des taxes à l’exportation sur les produits hautement polluants et particulièrement gourmands en ressources naturelles,
  • le renforcement de l’économie d’énergie et la réduction de l’utilisation des matières premières,
  • l’augmentation du salaire minimal,
  • la régulation du marché immobilier.

    Le Plan quinquennal 2011- 2015 devrait mieux protéger ses travailleurs, stimuler la demande domestique, diminuer l’écart des revenus entre les habitants urbains et ruraux, dans les différentes régions et industries.

Alors, la Chine est-elle communiste ou capitaliste ?  

La Chine devient une économie de marché, ou l’État s’assume pleinement. Il planifie et il intervient pour que « la main invisible » du capitalisme libéral soit contrôlée. Parmi trois citations de Deng Xiaoping : « Peu importe la couleur d'un chat, ce qui compte, c'est qu'il attrape les souris » ; « Le développement est la pierre de touche » ; « S'engager dans le capitalisme enrichira des Chinois, mais ne contribuera pas à améliorer le niveau de vie de la majorité ». D’où les réformes actuelles, une recherche d’équilibre et le capitalisme qui n’est qu’un outil parmi d’autres.

En un mot, la Chine est plus puissante que ce que l’on imagine. Il n’y a pas une grande Chine continentale, mais une immense Chine, « la planète chinoise », avec ses réseaux, et sa riche et vaste diaspora mondiale ! Il y a la « Chine » et la « Grande Chine » !Et la Chine en mutation change chaque mois. Ces Chines ont toutes les couleurs de la réussite et de la diversité.

Tel un adolescent surdoué et qui grandit très vite, le peuple Chinois regarde son avenir et son immense pays, communiste, socialiste et capitaliste... évoluer et se transformer radicalement, sans savoir aujourd’hui, comment il évoluera demain. Mais ce peuple, attentif aux difficultés et aux nouveaux enjeux, est désormais fier de cette réussite qu’il ne doit qu’à lui-même.


[1] Le coefficient de Gini est une mesure du degré d’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée. Cette mesure a été développée par le statisticien italien Corrado Gini, d’où cette appellation. Le coefficient de Gini représente un nombre variant de 0 à 1. Le coefficient 0 signifie une égalité parfaite où tout le monde a le même revenu ; le coefficient 1 indique l’inégalité totale : par exemple, une personne possède tous les revenus, les autres n’ont rien, c’est le cas extrême.

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